lundi 6 mai 2013

La Syrie aujourd'hui : une « bombe à fragmentation » pour le Proche-Orient (Art.140)


LES FAITS

Il y a eu d’abord, une intense activité de l’aviation israélienne dans le ciel de la Méditerranée orientale. Il y a eu ensuite, des rumeurs, dans la presse israélienne et américaine. Et maintenant, c’est chose confirmée par plusieurs sources indépendantes, israélienne et occidentale. Israël a bel et bien mené plusieurs raids au cours de la semaine écoulée contre des cargaisons et des réserves de missiles de type Fateh-110, un armement envoyé par l’Iran au Hezbollah. Après avoir tenté de jouer l’autruche, le régime syrien a fini par reconnaitre que le dernier raid, celui mené dans la nuit de samedi à dimanche, a bien eu lieu, mais il a prétendu dans un premier temps que les avions de chasses israéliens ont visé un centre de recherche militaire dans la banlieue de la capitale syrienne, avant de se ressaisir pour indiquer que les Israéliens auraient raté leurs cibles en touchant un élevage de poulets; si, si!; non, non, vous n'êtes dans une comédie; la ruse des dirigeants arabes pour sortir du ridicule face à Israël, en usage depuis 1948 !


Sur le "plan sérieux", le gouvernement de Bachar el-Assad a aussitôt adressé une lettre de protestation à l’ONU, pour mettre la communauté internationale en garde, « cette attaque rend la situation régionale plus dangereuse et prouve que les rebelles sont les outils d'Israël à l'intérieur du pays ». Refusant de confirmer les raids, le président américain, Barack Obama, a quand même pris soin de préciser, « je continue à croire que les Israéliens, de manière justifiée, doivent se protéger contre le transfert d'armes sophistiquées à des organisations terroristes comme le Hezbollah ». La ligue des impuissants pays arabes, larguée comme à l’accoutumée, a quant à elle demandé au Conseil de sécurité « d’agir immédiatement pour arrêter les raids israéliens ». Et comme si notre pays n’avait pas suffisamment de problèmes, le chef du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, a prévenu la veille du 1re raid, « la Syrie a de vrais amis dans la région qui ne permettront pas que ce pays tombe entre les mains des Etat-Unis, d’Israël et des infidèles (allusions aux groupes extrémistes sunnites). » Eh bien, difficile de faire plus compliqué !
 
POURQUOI ?

Passons sur les commentaires émotifs, délirants, contradictoires ou de propagande, sur ce bombardement, qu’ils émanent des pro ou des anti-régimes. Israël n’est pas un allié du régime de Damas, pas plus qu’il ne soutient les rebelles syriens, comme l’affirment d’une manière grotesque le gouvernement de Bachar el-Assad et le Hezbollah. L’Etat hébreux n’a qu’une seule préoccupation : sa sécurité.

Dans la tyrannie des Assad, il faut bien reconnaitre qu’Israël voit un régime qui lui assure une quiétude frontalière inespérée. Comment oublier la moquerie libanaise, « assad bé lebnaine, arnab bel joulaine » (lion au Liban, lapin au Golan). Du jamais vu de mémoire de colon ! Depuis la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, quelques années après l’avènement au pouvoir du 1re tyran des Assad, aucun incident majeur n’a eu lieu le long des frontières entre les deux « pays ennemis ». Un événement aussi grave que l’annexion du Golan par Israël en 1981, n’a pas déclenché les hostilités entre les deux pays. Rien, que dalle. Il n’a jamais fait aussi bon de vivre dans cette région d’Israël que sous les règnes des Assad, père et fils. Le théâtre des règlements de compte entre la Syrie et Israël, fut comme d’habitude, le Liban.

Dans le maintien du régime de Bachar el-Assad à Damas, Israël, autant que les pays occidentaux, s’assure que l’arsenal syrien reste dans de « bonnes mains ». Entre des islamistes ayant fait allégeance à Al-Qaeda et un tyran comme Bachar el-Assad, qui la veille de la révolution syrienne négociait avec les Israéliens en Turquie, aucune hésitation pour l’Etat hébreux. Il faut reconnaitre que les sujets d’inquiétude sur cet arsenal peu commun, ne manquent pas. On a d’un côté, les armes de destruction massive (ce sont les armes chimiques), et de l’autre côté, les armes classiques (avions, chars, missiles, artillerie, mines, armes légères, explosives... des armes accumulées depuis l’époque soviétique sur 43 ans!). Il est évident qu’Israël et les pays occidentaux préfèrent que les armes syriennes restent entre les mains d’un régime autoritaire plutôt qu’elles ne passent entre les mains des fous d’Allah. Mais, le maintien du régime syrien ne présente pas que des avantages pour les Israéliens et les Occidentaux. L’inconvénient majeur si Bachar el-Assad reste à Damas est la préservation de l’axe Téhéran-Damas-Dahiyé, pleinement opérationnel, ce qui constitue une menace potentielle et permanente pour l’Etat hébreux et pour les Etat-Unis. La conséquence la plus néfaste pour ces deux pays avec un tel maintien, étant de rendre toute intervention militaire occidentale contre l’Iran, afin de détruire ses installations nucléaires, hasardeuses, voire même inenvisageables, tellement la situation pourrait devenir explosive.

Dans l’enlisement du conflit syrien entre le régime d’Assad et les rebelles, Israël voit un affaiblissement de tous ses ennemis, ce qui détournerait l’attention, la préoccupation et la priorité de ces derniers. Ce qui n’est pas si mauvais que ça pour un Etat en conflit avec les pays qui l’entourent.

Voyons maintenant ce qui pourrait se passer si les rebelles syriens prenaient le dessus sur le régime d’Assad. Cette éventualité constituerait également une bonne chose pour l’Etat hébreux car elle conduirait à l’ébranlement de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah. Mais, il ne faut pas se leurrer, cet axe ne sera pas rompu, loin de là, grâce à l’option « Etat des Alaouites ».

Toutes les chancelleries dignes de ce nom, ce qui exclut la nôtre d’emblée avec son guignol-ministre des Affaires étrangères, savent que cette option peut constituer une sortie de crise, qu’elle soit adoptée sous une forme indépendante (peu probable) ou autonome (comme pour le Kurdistan irakien), si c’est un choix volontaire des protagonistes (pas d’emballement, nous n’y sommes pas du tout !), ou une sortie de secours, lorsque le clan alaouite de Bachar el-Assad aura la certitude de perdre le contrôle de la Syrie. Cela arrivera lorsque la digue nord-sud, Alep-Idlib-Hamat-Homs-Damas-Deraa, mise en place par le régime alaouite de Bachar el-Assad avec l’aide chiite du régime des mollahs et du Hezbollah (engagés à certains verrous stratégiques en Syrie, comme à Damas et à Homs), cèdera à l’assaut des vagues révolutionnaires sunnites qui déferlent sur ce front. Jusqu’à quand tiendra cette digue ? Il est difficile de le dire avec certitude. Il n’empêche que l’acharnement des forces du régime et de ses milices sur Banias, où plusieurs massacres auraient été commis ces derniers jours dans les quartiers sunnites de cette ville qui se situe sur la côte méditerranéenne entre Tartous et Lattaquié, confirme que Bachar el-Assad ne tolérera aucune résistance dans ce qui pourrait constituait sa zone de repli, cette région à majorité alaouite, l’ancien Etat des Alaouites du mandat français. En tout cas, le nouveau découpage de la Syrie, près de cent ans après les accords Sykes-Picot, pourrait constituer un élément positif pour Israël et négatif pour les pays arabes. Diviser pour régner est une stratégie payante, car elle permettra d’affaiblir l’ennemi juré d’Israël.

Mais, comme rien n’est aussi simple au Proche-Orient, le chaos syrien, parti comme c’est parti, présente trois risques majeurs pour le Proche-Orient tout entier, pour la Syrie elle-même, mais aussi pour les pays arabes comme pour Israël.
1. Plus les rebelles mettront du temps à prendre le dessus sur les forces gouvernementales, plus l’extrémisme gagnera du terrain au sein de la rébellion. L’enlisement de la situation en Syrie ne peut que nourrir les rancœurs extrémistes même des plus modérés. Néanmoins, il serait malhonnête de tout mettre sur l’inaction arabo-occidentale. Depuis le début du soulèvement populaire en Syrie il y a 26 mois, la révolution syrienne se déroule sous l’ombrelle religieuse et les cris d’Allah wou akbar !
2. La chute d’Assad pourrait offrir aux djihadistes sunnites de Jabhat al-Nosra, d’Al-Qaïda, des salafistes et des Frères musulmans, qui n’ont rien à envier aux djihadistes chiites du Hezbollah, l’opportunité de s’installer durablement en Syrie, notamment sur le front du Golan, avec tout ce que cela implique au niveau loco-régional.
3. Le chaos syrien constitue un terrain favorable pour la dissémination de l’arsenal syrien, conventionnel et non-conventionnel, notamment des armes chimiques, dans trois directions : le Hezbollah libanais, l’Internationale djihadiste et le Hamas palestinien. Ainsi, le morcellement de la Syrie représente en quelque sorte une « bombe à fragmentation » pour tout le Proche-Orient, les pays arabes compris, et pas uniquement pour Israël. C’est la plus grande menace pour tous les pays de la région à l'heure actuelle.

LA SUITE ?
 
Aujourd’hui, la question que tout le monde se pose au lendemain de la reconnaissance non officielle par Tsahal -les fuites à l’AFP, on connait !- du bombardement de ce « récalcitrant » centre de recherche militaire dans la banlieue de Damas, se résume en deux mots : la suite ? Désolé, pour les scénaristes en puissance à l’imagination sans borne, la réponse est tout aussi simple : la même ! Même quoi ? La même suite que nous avons connue le 29 janvier 2013, après les frappes israéliennes sur plusieurs convois d’armement syrien qui s’apprêtaient à franchir l’Anti-Liban en direction de la Bekaa, dont des missiles russes sol-air de type SA-17. A l’époque aussi, les scriptes du régime avaient évoqué le même centre de recherche militaire de Jamraya, près de Damas. Décidément, ces Israéliens ne sont plus ce qu’ils étaient ! Ce qui est sûr, c’est que le conflit syrien continuera de plus belle. Le clan Bachar el-Assad essayera de rester au pouvoir coute que coute. Les Russes ne lâcheront pas le régime syrien. Les rebelles syriens n’abandonneront pas la stratégie de la guérilla. La population syrienne sera sacrifiée sur l’autel de la liberté. Les réfugiés syriens au Liban doubleront. Le Hezbollah se battra à Qosseir contre les rebelles syriens comme il l’a fait à Maroun el-Rass contre les forces israéliennes. Plus le régime syrien sera coincé, plus il alimentera la milice chiite en armes et moins les politiciens libanais donneront l’ordre à l’armée libanaise de rendre la frontière syro-libanaise hermétique. La situation au Proche-Orient n’a jamais été aussi compliquée et aussi explosive.

Et pourtant, encore une fois, mieux vaut pour tout le monde, notamment pour les Libanais et pour les Syriens, qui sont dans l’œil du cyclone, de ne pas tirer des plans sur la comète. Aucun dirigeant, qu’il soit américain, israélien, français, anglais ou même iranien -ils ne sont pas si fous que ça les mollahs !- n’engagera les troupes de son pays, dans une guerre, encore moins dans un bourbier, si les intérêts de son pays ne sont pas sérieusement menacés. Les responsables militaires et politiques israéliens n’ont cessé de le répéter depuis le début de l’année : « Chaque fois que des informations parviendront à Israël sur un transfert de missiles ou d'armements de Syrie au Liban, ils seront attaqués ». Que personne ne se trompe, Israël n’a pas visé directement le régime syrien pour l’affaiblir, encore moins aider les rebelles à prendre le dessus. Israël n'a qu'une seule préoccupation: le devenir de l'arsenal syrien ! Au passage, il faut savoir que les dépôts de missiles iraniens de l’aéroport de Damas étaient gardés par des miliciens du Hezbollah et de la Force Al-Qods, les forces spéciales des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran.

LE DILEMME


Les pays arabes et occidentaux, ainsi qu’Israël, se trouvent face un dilemme en Syrie. Certes, le maintien de Bachar el-Assad permettra de mieux contrôler les armes chimiques (si on a la certitude que la Russie a la capacité de convaincre le régime syrien de ne pas en faire usage encore, qui pourrait convaincre les groupes extrémistes?), mais il compliquera la donne sur le dossier nucléaire iranien (un casse-tête mondial, et pas uniquement israélo-américain), le jour où l’option militaire sera retenue par les Etats-Unis. A l'inverse, le repli de Bachar el-Assad permettra de mieux aborder le dossier nucléaire iranien, notamment l’option militaire, mais risque de transformer la Syrie en une « bombe à fragmentation » pour tout le Proche-Orient, jetant les pays arabes et Israël dans le même bateau. Dans tous les cas, acculé par les rebelles, Bachar el-Assad fera tout son possible pour que ça soit le cas.  

Le nucléaire iranien et le chimique syrien, sont des armes de destruction massive. Elles ne connaissent pas de frontières. Les populations du Proche et du Moyen-Orient, qu’elle soit libanaise, syrienne, palestinienne, israélienne ou iranienne, n’ont rien à gagner à ce que des armes aussi nocifs soient présentes dans leur pays (il existe 200 têtes nucléaires en Israël !), encore moins entre les mains de régimes totalitaires (comme en Syrie et en Iran) et de groupes extrémistes (comme le Hezbollah, Hamas, Jabhat al-Nosra, Al-Qaeda, etc.).

POUR CONCLURE

C’est aux Libanais et aux Syriens eux-mêmes de trouver la bonne stratégie pour atteindre leurs objectifs et surtout adapter cette stratégie à la réalité du terrain, afin de stopper la souffrance et la désolation qui frappent leurs vies et remettre leurs pays sur la voie de la paix et de la prospérité. Chaque pays œuvre d’abord pour ses propres intérêts. C’est peut-être égoïste, injuste et immoral, voir même révoltant, mais il en est ainsi. Il vaut donc mieux ne pas compter sur les pays arabes et les pays occidentaux, encore moins sur la Russie ou sur Israël.

Les Libanais doivent aujourd’hui se poser deux questions : quels sont leurs intérêts et qui les détermine ? Si la réponse à la première question est complexe, celle à la seconde ne l’est pas du tout. Est-ce à l’Etat libanais de décider souverainement de la politique général du pays dans l’intérêt du peuple libanais ou c’est à une milice inféodée à un régime théocratique étranger de le faire ? Le Hezbollah reconnait noir sur blanc dans le livre du cheikh Naïm Qassem n’agir sur les questions stratégiques que sur ordre du Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei, el-wali el fakih. Le choix se fera donc aux prochaines élections législatives, en toute démocratie.  


Les Syriens eux aussi, doivent se poser les mêmes questions. Si la barbarie du régime de Bachar el-Assad est une constante, aujourd'hui, il est légitime de se demander si les décisions de l'hétéroclite rébellion syrienne sont toujours mûrement réfléchies et si dans chaque décision, on prend suffisamment en compte la teneur des représailles et l'endurance de la population? Hélas, les choix de la population syrienne se limitent à des options aussi mauvaises les unes que les autres : l’oppression, par la tyrannie du régime syrien de Bachar el-Assad ; le suicide, avec la stratégie de la guérilla adoptée par les rebelles ; la guerre, qui nécessite de déverser encore plus d’armes des deux côtés des champs de bataille ; le chaos, si l’Armée syrienne libre (ASL) ne « maîtrise » pas les djihadistes et surtout les négociations. De l’avis de tous, la solution en Syrie est politique, uniquement politique. Négocier, ce n’est pas capituler, c’est parvenir à ses objectifs aux moindres frais. C’est sans doute le choix le plus difficile à faire et peut-être aussi le plus « sage », dans l’intérêt de tout le monde, sans exception. Sinon, il faut se préparer au pire et en être conscient.


Mise à jour 8 mai 2013 : Kerry et Lavrov pour un conseil de transition en Syrie regroupant gouvernement et opposition.

Commentaire :

Certains crient déjà victoire, la diplomatie russe avait raison depuis le début du conflit. Franchement, il n’y a pas de quoi nommer Poutine et Lavrov au prochain Prix Nobel de la paix ! Ils n’ont pas fait grand-chose quand les manifestations en Syrie étaient pacifiques et les Syriens se faisaient massacrer à un rythme de 500 personnes/mois, de mars à décembre 2011, ce qui a donné la mauvaise idée à certains de la militariser en croyant que cela allait accélérer la chute du dernier tyran des Assad! Rien, que dalle, à part fournir des armes à un régime fasciste et bloquer trois résolutions au Conseil de sécurité de l'ONU pour protéger leur poulain, son clan et leurs intérêts en Syrie ! Ma3lé...

La militarisation du conflit syrien fut une erreur (L’afflux de réfugiés au Liban : le problème de la militarisation du conflit en Syrie). On serait bien en dessous des 70 000 morts aujourd'hui et plus proche du départ d'Assad! En tout cas, ces 70 000 morts peuvent devenir 150 000, si l'appel de Kerry et de Lavrov n'est pas entendu. Il faut que les protagonistes, et ceux qui les soutiennent, en soient conscients, pleinement conscients, avant qu'ils ne décident de la suite.