mercredi 24 juillet 2013

L’Europe a inscrit le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, point barre. Et au Liban, qu’avons-nous fait ? (Art.165)


Il n’y a pas pire, que de se prendre pour le nombril du monde. Déjà la planète bleue toute entière n’est qu’une poussière de la Voie lactée, ba2a Lebnenn woul 10 452 km²! Mettons notre chauvinisme dans le congélateur, ainsi que notre nombrilisme dans la foulée, et soyons francs avec nous-mêmes pour une fois. Le Liban occupe une place médiatico-diplomatique au niveau international, bien plus importante qu’il ne mérite en réalité. Ma3lé, soyons donc dignes et humbles de cette chance que beaucoup nous envient. Le distinguo européen entre « branche militaire » et « branche politique » en ce qui concerne une organisation comme le Hezbollah peut prêter au sourire, surtout du côté oriental de la Méditerranée ! Mais, pas à la moquerie. Là, ça serait vraiment déplacé de notre part.

Non, ce distinguo ne relève absolument pas d’une grande naïveté de la part des 28 pays européens. Pour être précis, disons qu’il s’agit d’un langage prudent propre à toute diplomatie, surtout à celle qui a plusieurs milliers de soldats en mission sous le drapeau de l’ONU dans le Sud-Liban, et qui ont payé de leur vie dans le passé, dans une région à haut risque, considérée comme étant sous le contrôle de la soi-disant milice d'Allah, qui n’hésite pas ameuter les foules chiites pour un oui et pour non, pas plus tard que le weekend dernier, pour faire pression sur l'Union européenne, dans un pays qui n’est pas fichu de renouveler ses institutions et leurs hommes, que cela concerne son gouvernement, son Parlement ou ses forces armées. Pour mieux comprendre la situation, imaginons par exemple, des soldats libanais intervenant dans le Darfour, avec un gouvernement libanais accusant Omar el-Béchir de crimes contre l’humanité ! Hein, vaut mieux jouer au Loto n’est-ce pas ? Donc, vu de cet angle, la décision européenne d’inscrire la branche militaire du Hezbollah sur la liste noire des organisations terroristes est très courageuse.

Avant d’aller plus loin, et afin d’éviter de nous perdre dans les palabres et d’être accusé de partialité, d’abus, de traitrise, j’en passe et des meilleures, définissons le mot « terrorisme ». Cela nous aidera immanquablement à savoir de quoi on parle au juste et à contourner le brouillage des esprits par le Hezbollah et ses relais aounistes à ce sujet. Wou ya waa3it el mal3ouné ! Il existe plus d’une centaine de définitions, Allah wakilkoun. Pour l’ONU, il s’agit de « toute action qui a pour intention de causer la mort à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d'un tel acte est d'intimider une population ou de forcer un gouvernement à prendre une quelconque mesure ou à s'en abstenir ». Pour résumer, disons que c’est « l'équivalent en temps de paix d'un crime de guerre ». Le droit libanais, qui sera d’ailleurs appliqué par le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), précise que le terrorisme désigne « un acte intentionnel visant à répandre la terreur... et l’utilisation de moyens susceptibles de produire un danger commun ». Il faut savoir au passage, que le TSL est la première institution judiciaire internationale à considérer le terrorisme comme un « crime international ». Mais, faisons plus simple. Il n’est nullement besoin d’interroger tous les profs de Sciences-Po et les hommes de droit pour cela (d’ailleurs, la décision européenne est d’ordre politique et non judiciaire), un simple dictionnaire de langue suffit largement. D’après mon Larousse, le terrorisme désigne tout « recours à la violence dans un but politique ». Clair comme l’eau de source. Le sens est même étendu à toute « intimidation par l’exercice abusif d’un rapport de force défavorable à la victime ». Ma fi a7la min el woudou7 ! A chaque mot un sens précis, à chaque sens une situation donnée.

Ceci étant, signalons aussi une évidence, que l’on a eu tendance à zapper par inadvertance au Liban et qui semble avoir échappé à plusieurs analystes libanais. L’Europe défend les intérêts des 508 millions d’Européens des 28 pays de l’Union, et non ceux du Liban, même si 4,2 millions de Libanais considèrent le pays du Cèdre comme le « nombril du monde et de la Voie lactée » ! De ce fait, la décision d’inscrire la branche militaire du Hezbollah sur la liste noire des organisations terroristes, répond exclusivement à un besoin imposé par des impératifs sécuritaires européens précis et rien d’autres, sûrement pas les nôtres. Et pourquoi devrait-il en être autrement ? Franchement !

Pour les déterminer, il faut remonter à l’été dernier et se concentrer sur deux dates clés. Le 7 juillet 2012, un homme libanais, détenteur d’un passeport suédois, est arrêté par la police chypriote à l’aéroport de Limassol à Chypre. L’enquête révéla par la suite qu’il appartient au Hezbollah. Il était chargé d’effectuer des repérages et une surveillance détaillée des déplacements des touristes israéliens en vue de commettre des attentats (relever les horaires des vols, les plaques d’immatriculation, les restaurants casher, etc.). Il a même avoué devant ses juges chypriotes, donc européens, qu’il « recueillait des informations sur les juifs... c’est ce que fait mon organisation dans le monde entier ». Il fut condamné au mois de mars, à 4 ans de prison ferme, pour « la préparation d’attaques terroristes ». Une dizaine de jours après l’arrestation de Chypre, le 18 juillet 2012, de l’autre côté de la Méditerranée, un attentat contre un bus transportant des touristes israéliens à l’aéroport de Bourgas en Bulgarie, fait six morts et une trentaine de blessés. L’enquête est toujours en cours, mais les autorités bulgares ont d’ores et déjà identifié deux suspects appartenant au Hezbollah, détenteurs de passeports canadien et australien.

« Chaque pays qui reconnaît la valeur de la justice doit désigner le Hezbollah pour ce qu'il est, une organisation terroriste ». C’était le souhait exprimé le 21 mars 2013 par Barack Obama, le président américain. La moindre des choses qu’on puisse dire aujourd’hui, c’est que le vœu du président américain est exaucé par les 28 pays d’Europe, à l’unanimité, grâce au concours du Hezbollah lui-même. Déjà, il l’a été il y a quelques semaines par les 6 pays du Golfe. Etant donné l’aveuglement de cette milice théocratique, et son inféodation à l’Etat théocratique iranien, on peut dire, el 7abel 3al jérar, le pire est à venir. Au lieu que cette évolution gravissime des événements, le fasse réfléchir, le Hezbollah et ses sbires profèrent des menaces, à peine voilées, contre les forces européennes de la FINUL, par population chiite interposée, comme si les pays européens n’avaient pas la possibilité de retirer leurs soldats de notre pays à tout moment. Toute attaque contre la FINUL poussera l’Union européenne non seulement à retirer sa participation onusienne, mais aussi, à placer le Hezbollah tout entier et sans nuance diplomatique, sur la liste des organisations terroristes.

Au vu de tout ce qui précède, plusieurs réflexions s’imposent aujourd’hui.

1. Aux Libanais de la mère-patrie.
Oui, le Hezbollah n’est pas né de la dernière pluie, et ses actions ne se limitent certainement pas à l’attentat de Bulgarie et les projections d’attentat à Chypre de l’année dernière. On peut reprocher à l’Union européenne de ne pas en tenir compte, mais il faut tout de même ne pas oublier que ce n’est absolument pas le problème des Européens. Par ses deux actions, commis à Chypre et en Bulgarie en juillet 2012, qui relèvent du « terrorisme », le Hezbollah s’est autorisé, wa ka2enno 3adé, de commettre des délits graves sur le sol du continent européen. Par conséquent, l’Union européenne se devrait de le sanctionner sévèrement et surtout souverainement. Et c’est ce qu’elle a fait avant-hier. Il faut donc ne pas tirer des plans sur la comète, ni chercher midi à quatorze heures !

2. Aux défenseurs du Hezbollah.
Même pas peur et même pas mal, sont des stratégies infantiles, qu’il vaut mieux éviter, au risque de s’enfoncer davantage dans le ridicule. Le Hezbollah est aujourd’hui, et de plus en plus, dans un sacré merdier. La fausse assurance des leaders du mouvement n’y changera rien. Il est considéré comme une organisation terroriste par un grand nombre de pays. Personne n’est à maudire ou à blâmer à part le Hezbollah himself, qui s’est diabolisé tout seul, depuis bien longtemps déjà. Le fait que ses cibles en Europe soient israéliennes n’est pas l’élément déterminant dans sa mise sur la liste des organisations terroristes. On l’a mis justement parce qu’il a commis des actes terroristes sur le sol de l’Union européenne. Tous les acteurs savent que la sémantique européenne, fatwét « la branche militaire », n’est qu’un détail de l’histoire, propre à l’art de la diplomatie, qui consiste à laisser toujours la porte de la communication entrouverte entre les différents acteurs. Et il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Wlak, qu’ils ôtent déjà la kalachnikov de leur drapeau, en signe de bonne volonté et pour dissiper tout malentendu, si bonne volonté et malentendu il y avait !

3. Aux Libanais binationaux.
Les trois libanais impliqués dans les actes terroristes commis en Europe, sont détenteurs de passeports étrangers, et pas n’importe lesquels svp ! Comme si on n’avait pas suffisamment d’ennuis dans les pays arabes du Golfe, il a fallu que le Hezbollah nous pourrisse bien plus la vie. Que vous soyez Canadiens, Australiens, Suédois, Français, Américains, Allemands, quelque soient vos opinions politiques et religieuses, à partir du moment où sur votre précieux sésame, pour passer sans souci, les ports et les aéroports de ce monde, figure comme lieu de naissance, ce maudit pays nommé Liban, vous êtes aujourd’hui « suspects » dans les pays occidentaux. Par ses actes terroristes, le Hezbollah menace la réputation et la vie paisible des Libanais binationaux. Eh oui, vive la résistance !

4. Aux partisans de Michel Aoun.
La décision européenne illustre merveilleusement bien, dans quel pétrin le général Michel Aoun a mis les militants du Courant patriotique libre, ainsi qu’une partie des chrétiens du Liban, en signant ce pacs ahurissant et invraisemblable avec Hassan Nasrallah, le 6 février 2006 : ils sont réduits à défendre l’indéfendable, une organisation considérée comme terroriste par pratiquement tous les pays arabes et occidentaux ! Et à peine, la décision européenne est adoptée, que GMA a volé au secours de son allié. Et quand je pense que certains ont cru naïvement que Michel Aoun était en froid avec le chef du Hezbollah.Quelle mascarade !

5. Aux sympathisants du 14 Mars. 
Dites-moi de grâce, qu’avons-nous fait ? Il a fallu seulement un attentat et une préparation d’attentat, aux 28 pays d’Europe, pour placer le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes en moins d’un an. Et on ose ricaner, ironiser et critiquer, donner des remarques et faire les malins ! Sans remonter à Mathusalem, qu’avons-nous fait après la guerre israélo-libanaise déclenchée par le Hezbollah à la suite d’une opération armée en territoire israélien le 12 juillet 2006 ? On est allé accueillir, au grand complet svp, le 18 juillet 2008, Samir Kuntar, le prisonnier pour lequel le Hezbollah a sacrifié 1200 vies et 50% du PIB du Liban. Si, si, au grand complet ! Et qu’avons-nous fait après l’invasion de Beyrouth et du Mont-Liban par les milices du Hezbollah le 7 mai 2008 ? On est allé négocier, au grand complet svp, le désastreux accord de Doha quelques jours plus tard. Encore un détail. Qu’avons-nous fait, bérabkoun, la veille de la remise de l’acte d’accusation par le Tribunal Spécial pour le Liban aux autorités libanaises le 30 juin 2011, dans lequel on a appris publiquement, que quatre membres du Hezbollah sont poursuivis pour l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et de 21 autres personnes ? On songeait à rentrer dans le gouvernement hezbollahi de Najib Mikati ! Alors, étaient-ce trois occasions ratées pour nous autres Libanais, d’inscrire le Hezbollah sur la « liste libanaise des organisations terroristes » pour son « recours à la violence dans un but politique »? On n’a même pas tenté de le faire pour sa « branche armée »! Wlak, on n’a même pas osé avec la branche armée des Moqdad. C’est pour vous dire. Bassita, 3al 3én moulaïyitén, wou tna3éch moulaya, jirs el 7adib ankata3, min douss réjlaya... Sensationnelle Samira Toufic !

mercredi 3 juillet 2013

Leçon d’Egypte : la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste la démocratie et non la dictature. L’illusion islamiste (Art.161)


La mythologie libanaise
"el cha3eb, el jaïch wél mouqéwamé" 
(peuple, armée et résistance),
cuisinée à la mode égyptienne !
PREAMBULE. Ils ne ratent pas une occasion pour nous le rappeler. Un chat se fait écraser au Caire par un islamiste, on nous dit « falya7koum al ékhwan, mahèk ? » Même si un islamiste tawich el binéyé avec Oum Koulsoum à Gizeh, un schizo sans doute, on nous dira aussi « falya7koum al ékhwan, mahèk ? » Wlak 7ata eza Alia al-Mahdi herself, la célèbre blogueuse égyptienne qui a posé les seins nus, décidait de chanter « sana 7ilwa ya ghamil, sana 7elwa ya raïss », à la Marilyne Monroe devant un Morsi décoincé à la JFK, là aussi, on nous sortira « falya7koum al ékhwan, mahèk ? » On nous a servi « Que les Frères (musulmans) gouvernent (en Egypte), n’est-ce pas ? » à toutes les sauces. Et pourtant, il n’a fallu qu’un an seulement, pour donner raison à Samir Geagea. Les petits malins, nés de la dernière pluie, ont feint d’ignorer pendant tout ce laps de temps, le sens de cette déclaration du président du parti des Forces libanaises. Ils ont fait semblant de ne pas bien saisir que rien n’est au-dessus de la démocratie. Ils ne voulaient pas comprendre que si le libre choix démocratique conduisait les Frères musulmans au pouvoir, eh bien, ils devraient gouverner et il faudrait qu’il en soit ainsi et pas autrement. Ils ne voulaient pas savoir non plus, qu’on ne peut pas, ni sur le plan démocratique ni sur le plan humaniste, souhaiter le maintien des populations arabes, de l’Egypte comme de Syrie, sous des dictatures répressives et sanguinaires, comme celles de Hosni Moubarak et de Bachar el-Assad, uniquement pour faire barrage aux Frères musulmans.

N’en déplaise à certains, la démocratie demeure au-dessus de toute considération. Qui s’autorise à la violer, sera soumis au jugement du peuple un jour ou l’autre et à la vindicte de l’Histoire. Nous sommes déjà au 3e chapitre de l’histoire du « Printemps arabe en Egypte ». Après « Le renversement de la dictature » et « Les élections libres », l’Histoire s’engage pleinement dans l’écriture de « L’illusion islamiste ». Ce chapitre sera sans doute l’un des plus passionnants de l’histoire du pays des Pharaons et l’un des plus mouvementés.

LES PREMICES. « Toutes les forces révolutionnaires et tous les citoyens sont appelés à maintenir leurs rassemblements pacifiques sur les places, dans les rues, les villages et les hameaux du pays, jusqu'à la chute de tous les éléments de ce régime dictatorial ». C’est dans ces termes puissants que le Front du salut national s’est adressé au peuple égyptien dans la « déclaration révolutionnaire numéro 1 ». Franchement, qui ne voudrait pas être Egyptien aujourd’hui dans ce contexte révolutionnaire ?

Pourquoi on en est arrivé là ? Comme je l’ai écrit il y a un an, jour pour jour, dans mon article « Les Frères musulmans au pouvoir en Egypte : faut-il s'en réjouir, s'en foutre ou s’en inquiéter ? », beaucoup d’éléments laissaient présager déjà un soulèvement, tôt ou tard, d’une partie de la population égyptienne. A quoi fallait-il s’attendre, de cette Confrérie dont la doctrine se base sur le dogme du « taw7id », la fusion du religieux et du politique (déjà en place en Iran), d’un parti dont le programme politique de 2007 prévoyait la mise en place d’un conseil religieux pour évaluer les lois égyptiennes et leur conformité avec l’Islam (l’Iran le fait depuis 1979), d’une organisation qui a mis à sa tête en 2010 le 8e Guide suprême de la Confrérie (rien à envier aux mollahs), dont le slogan n’est autre que « L’Islam est la solution » et qui a déclaré la veille des élections présidentielles que « le projet (des Frères musulmans) commence avec la création d'un gouvernement sain et se termine par la mise en place d'un califat islamique juste » (ça rime avec la République islamique d’Iran)? Rajoutez à tout ce qui précède le fait que la moitié des électeurs égyptiens ne s’étaient pas rendus aux urnes lors de l'élection de Morsi, 69 millions d’Egyptiens n’avaient pas voté pour lui et la différence avec son rival à la présidentielle, Ahmad Chafic, n’était que de 1,2% de la population. Donc déjà, tout était de travers dès le commencement.

L'ILLUSION ISLAMISTE. Inutile de se perdre dans tous les détails et les impasses de la politique égyptienne, l’année 1 du règne de la Confrérie de Morsi Ier était digne d’un feuilleton égyptien. En deux mots, Mohamed Morsi paye cher la dérive autoritaire de son régime, sa politique islamiste pour dominer la société égyptienne et tous les rouages de l’Etat et son impuissance à relever l’économie d’un pays en très grande difficulté. Et pourtant, les problèmes ne manquaient pas : la forte inflation, la hausse du chômage, les problèmes monétaires, la grave détérioration des conditions de vie, 4h à 8h de coupures électriques par jour dans certaines régions (si, si ! quelle consolation pour nos autres Libanais, n’est-ce pas ?), les queues qui ont fait leur apparition (pour l’essence, le mazout, le pain), le marché noir qui prospère, l’insécurité (le taux de criminalité a triplé depuis l’éviction de Moubarak, de l’aveu même des autorités), la banalisation du harcèlement sexuel (et l’impunité des auteurs ; on dénombre près d’une centaine de cas ces derniers jours, dont la moitié pour la seule journée du 30 juin ; le harcèlement sexuel comme une tentative méprisable pour dissuader les femmes de descendre dans la rue !) et du harcèlement religieux, l’apparition de milices islamistes (des hommes masqués qui interviennent avec brutalité dans les répressions ; hein, ça vous fait penser aux miliciens du Hezb devant l’ambassade iranienne à Beyrouth, n’est-ce pas ?), etc.

Et au lieu de se pencher sérieusement sur tous ces problèmes, sachant que l’attente de ceux qui ont viré le régime de Hosni Moubarak était énorme, Mohamed Morsi a tenté plus d’une fois de neutraliser le pouvoir judiciaire et le pouvoir militaire dans le but de placer les Frères « jusqu'au quatrième niveau de l'Etat ». Parler du modeste train de vie de Mohamed Morsi, qui n’est pas sans rappeler celui de Mahmoud Ahmadinejad (les deux sont restés vivre dans leur appartement de la capitale), est une bien maigre consolation pour les Egyptiens et inefficace pour calmer la colère de la rue. Un exemple, un seul, le plus récente. Le 16 juin 2013, la nomination de sept nouveaux gouverneurs islamistes a placé pratiquement la moitié des gouvernorats d’Egypte entre les mains des Frères musulmans (dont un islamiste responsable de l’attaque terroriste de Louxor de nov. 1997 qui a couté la vie à 62 personnes !). Ces nominations particulièrement choquantes pour un grand nombre d’Egyptiens, a d’ailleurs mis le feu aux poudres. Officiellement, les Frères et les salafistes ont appelé au « blablabla », mais aussi au « rassemblement », au « dialogue » et à la formation d’un « gouvernement d’union nationale » (alors mes chers compatriotes, ça vous rappelle quelque chose ; lol, n’est-ce pas ?). Sachez au passage, que les salafistes du parti Nour ce sont proposés de jouer aux bons offices ! Lol, encore.

TAMAROD. Tout a commencé le 1er mai. A l’occasion de la fête du travail, des jeunes opposants au régime des Frères musulmans rédigent un petit texte et lancent la campagne « Tamarod » (rébellion en arabe). Hommes, femmes, libéraux, laïques, gauche, droite, cadres, ouvriers, civils, politiciens, hétéros, homos, bisexuels, couche-tôt, couche-tard, enfin bref, des Egyptiens de tous horizons, jeunes pour la plupart se sont fixés un objectif clair, libérer l'Egypte une nouvelle fois à partir de la place Tahrir (libération en arabe), du joug des Frères musulmans cette fois-ci, par « la destitution de Mohamed Morsi » et « l’organisation d'élections présidentielles anticipées ». Pour se faire la rébellion a pris deux formes : dans un premier temps, la pétition (en ligne et dans la rue, depuis le 1er mai) et dans un deuxième temps, les manifestations (dans toute l’Egypte, le 30 juin et les jours suivants).

Après un an au pouvoir l’opposition égyptienne constate, que « Morsi a fait preuve qu'il n'est pas apte à la gouvernance d'un pays comme l'Egypte. » Le mouvement reproche au président des Frères musulmans l’insécurité, l’injustice sociale et les problèmes économiques. Cependant, hélas !, il n’est nullement fait mention des « dérives islamistes » du pouvoir. Pas un seul mot ! Rien, aucune réserve clairement exprimée par exemple sur la nouvelle Constitution, qui est pourtant d’inspiration islamiste. Etonnant quand même. Mais bon, il est sans doute très difficile dans un pays encore attaché à la religion, d’exprimer noir sur blanc, et de le crier sur les toits, ses réticences en matière de religion. Faut-il voir dans « Ensemble, nous pouvons parvenir à une société de dignité, de justice et de liberté », une allusion ? Peut-être ! En tout cas l’Egypte laïc, ce n’est surement pas pour tout de suite. Par contre, les « rebelles » reprochent à Morsi le fait que « l'Egypte continue de suivre les traces des Etats-Unis »! Que veut bien dire au juste ce point ? Pourquoi avoir tenu à le mentionner dans la campagne Tamarod ? Etait-il plus nécessaire de dénoncer que l’Egypte continue à être un pays pro-américain ou que la nouvelle Constitution égyptienne soit islamiste ? Pour être juste, il faut signaler que le Front du salut national, qui regroupe tous les opposants qui ont protesté le 30 juin 2013, exige après la destitution de Mohamed Morsi, la mise en place d’un gouvernement au plein pouvoir pour mettre en route un programme économique d’urgence, la rédaction d’une nouvelle Constitution par un comité d'experts et de juristes, et l’organisation de nouvelles élections présidentielles et législatives dans six mois (et non en 2016 comme c’est prévu).

Toujours est-il, il était clair que les militaires avaient lâché le président égyptien depuis longtemps. Ils ne l’ont jamais soutenu d’ailleurs. Ils ont sans doute leur propre agenda, une raison de plus pour ne pas le couvrir face à la colère du peuple. Jusqu’à là rien de surprenant. Mais la claque de sa vie, Morsi l’a eu des autorités religieuses. Le grand imam d’Al-Azhar, a signifié à Mohamed Morsi que contester l’autorité du président n’était pas en contradiction avec l’islam ! Comprenne qui voudra. Même son de cloche du côté de l’Eglise, qui lui a fait savoir que les Coptes étaient entièrement libres de manifester !

40°C, 47 morts et 1000 blessés (bilan global), n’ont pas empêché Tamarod de se concrétiser par 22 millions de signataires pour la pétition et 17 millions d’Egyptiens dans la rue (30 millions selon CNN... bon, à un moment il faudrait arrêter les compteurs quand même, sinon on bascule dans le ridicule!). C’est le plus grand soulèvement de l’histoire de l’Egypte. Des chiffres tout simplement pharaoniques. Six ministres ont présenté leur démission par solidarité avec les révolutionnaires (aucun ne fait partie de la Confrérie). Comme Erdogan avant lui, comme Bachar aussi (bien que la comparaison est grossière), le régime des Frères accuse les protestataires d’être manipulés par l’étranger. 17 millions d’Egyptiens manipulés, c’est c’là oui ! Fort de ce double succès, Tamarod affirme : « Nous donnons à Mohamed Morsi jusqu'à mardi 2 juillet à 17h pour quitter le pouvoir et permettre aux institutions étatiques de préparer une élection présidentielle anticipée ». Les rebelles avertissent qu’en cas de refus, ça sera « le début d'une campagne de désobéissance civile ». L’ultimatum a expiré, normalement, on y est. D’un autre côté, le Commandement général des forces armées à demander au président Morsi de « satisfaire les demandes du peuple », donnant à tous les acteurs 48 heures pour « assumer la charge imposée par les circonstances historiques que traverse l’Egypte ». A défaut, l’institution militaire a averti qu’elle établira une « feuille de route » pour y parvenir. Certains y ont voient des élections anticipées, d’autres un prétexte pour l’armée de prendre les rênes du pouvoir en main, après un an de guerre froide avec les Frères musulmans. L’ultimatum de l’armée lui aussi vient d'expirer à 17h.

Morsi a déjà fait savoir son refus de partir de son plein gré. « L’Egypte ne permettra absolument aucun retour en arrière quelles que soient les circonstances. » Rejetant l’ultimatum de l’armée, il se dit prêt à « donner sa vie ».  L’armée quant à elle, prépare sa feuille de route. Elle prévoirait la suspension de la Constitution, la dissolution du Parlement, la nomination d’un conseil intérimaire pour diriger le pays (composé majoritairement de civils) et la rédaction d’une loi fondamentale qui tiendrait compte des aspirations de toutes les composantes de la société égyptien et qui serait, détail important, soumise auparavant à l’approbation des autorités religieuses d’Al-Azhar avant de faire l’objet d’un référendum. La laïcité attendra ! De leur côté, les Frères musulmans mettent tout le monde en garde, « Si l'armée lance une action sur le terrain, nous avons un plan pour y faire face. » Et enfin, sachez que le mouvement Tamarod a appelé les manifestants à converger aujourd’hui vers le palais présidentiel pour maintenir la marmite égyptienne sous pression. Du point de vue du Liban, on dirait que sur les bords du Nil, la mythologie libanaise, « el cha3eb, el jaïch wél mouqéwamé » (peuple, armée et résistance), est cuisinée à petit feu à la mode égyptienne ! Une adaptation libre d'une recette qui a fait long feu.

ET MAINTENANT, OU VA L'EGYPTE ? Depuis la chute du régime de Moubarak, tout le monde sait que l’Egypte est entrée dans une phase transitoire. Elle y est, elle y reste. Pour combien de temps ? Nul ne le sait. Et qu’importe où ira l’Egypte à court terme. A long terme, on sait où elle arrivera. Elle peut aller où elle veut à partir du moment où elle se dirige dans le bon sens, le sens du courant de l’Histoire, le sens de la démocratie. Il y a un an, une partie des Egyptiens a pensé qu’un pouvoir religieux serait plus honnête et plus propre que le précédent. Plus à l’écoute et plus libéral aussi. Il lutterait mieux contre la corruption et les injustices. Il améliorerait leurs conditions de vie. Il n’en a rien était. Les Frères musulmans se sont montrés uniquement obnubiler par l’inféodation de l’Etat égyptien aux Frères musulmans.

Aujourd’hui, le risque de dérapage en Egypte est énorme. A l’heure des confusions, il faudrait sans doute rappeler quand même que Mohamed Morsi est le premier président civil de la République arabe d’Egypte. Il a été élu « démocratiquement ». Houston, on a un problème ! Encore une fois, l’Histoire pose un défi à la démocratie en montrant ses limites et ses défauts. Elle nous amène à nous poser deux questions : que faire quand la démocratie « déraille » et faut-il à chaque fois qu’une partie de la population est mécontente d’une politique, changer de régime en violation de la Constitution et des règles démocratiques ? On peut sans doute reprocher à Mohamed Morsi mille et une choses, mais le destituer par la pression de la rue ou par la force des armes est un précédent particulièrement grave et lourd de conséquences. Il peut déclencher une guerre civile, comme en Algérie dans les années 90. Il faut donc en être conscient avant de passer à l’acte et être prêt à en assumer pleinement les retombées si cette option est retenue. Toutefois, rappelons que ce procédé n’est pas suivi dans les pays ayant une tradition démocratique séculaire, notamment les pays occidentaux. L'idéal est qu'il démissionne de lui-même. Mais, il ne le fera pas, faut pas rêver. D’un autre côté, ignorer 17 à 69 millions de personnes (c’est respectivement le nombre de manifestants du 30 juin et le nombre d’Egyptiens qui n’ont pas voté pour Morsi), dans un pays qui en compte 84 millions, est d’une bêtise inqualifiable. La balle est sans l'ombre d'un doute dans le camp des Frères musulmans, autant que dans le camp de l’armée égyptienne. 

EPILOGUE. Dans tous les cas de figure, le Printemps arabe, notamment avec l’exemple égyptien et l’ébullition démocratique qui secoue le pays des Pharaons, apporte la preuve aux sceptiques de tout poil, que la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste incontestablement la démocratie et non la dictature, qui bien au contraire, renforce les islamistes malgré la répression.


ET LE LIBAN DANS TOUT CELA ? Encore une fois, comme lors des dernières protestations en Turquie, un autre pays sunnite en pleine ébullition démocratique (situations comparables mais très éloignées tout de même), je ne peux ne pas faire un parallélisme avec nos petites affaires libanaises. Voilà plus de deux ans, qu’un parti théocratique, le pendant chiite des Frères musulmans et des salafistes, a renversé par un coup d’Etat déguisé en processus démocratique, le gouvernement de Saad Hariri. Deux ans et demi pour le gouvernement Mikati-Aoun-Joumblatt-Berri-Nasrallah. Le bilan est désastreux à tous les niveaux : sécuritaire, économique, sociologique, touristique, conditions de vie, etc. Et le comble dans tout cela, les perspectives sont dramatiques et rien ne se passe pour conjurer le mauvais sort qui nous attend. No Line on the Horizon. Et là aussi, je ne peux m’empêcher dans cette analyse politique, de penser à ce sale pétrin dans lequel le général Michel Aoun a plongé une partie des Chrétiens du Liban. Après avoir été le fer de lance de la renaissance arabe autrefois, être aujourd’hui frileux, ringards, repliés sur eux, en porte-à-faux avec les révolutions démocratiques qui secouent le monde arabo-sunnite, et qu’ils ont toujours prôné, en conflit avec leur environnement sunnite, réduits à défendre l’indéfendable : le régime sanguinaire alaouite de Bachar el-Assad, le régime répressif théocratique chiite des mollahs d’Iran, et la milice « hégémoniaque » théocratique chiite du Hezbollah. C'est tout simplement, pathétique !

POST-SCRIPTUM. Terminons par les blagues du moment. Plutôt les niaiseries du jour. D’un côté, la Syrie de Bachar el-Assad constate que « les Frères musulmans ont échoué à diriger l’Égypte ». Lol, pas la tyrannie des Assad peut-être, entre 1970 et 2013 ? De l’autre côté, l’Iran des mollahs appelle l'armée égyptienne à « respecter le vote des électeurs ». Lol, exactement comme l’a fait la milice des Pasdaran lors des élections présidentielles iraniennes en juin 2009. Wlak késs ékhtoun malla 2orat !