vendredi 19 décembre 2014

Les défenseurs zélés de la France dont la République française se passerait bien (1/3) La « déportation des musulmans » par l’ignoble Eric Zemmour (Art.260)


A la lecture de la presse cette semaine, il y a trois informations qui m’ont attiré l’attention. Elles sont en rapport avec la longue bataille épique engagée ces derniers jours sur mon mur Facebook contre les délires paranoïaques islamophobes de certains esprits hantés. Dans cet article, je me limiterai à la première. Elle concerne le déchainement donquichottien d’un coq de basse-cour, cette volaille de mauvais augure nommée Eric Zemmour, un défenseur zélé de la France dont la République française se passerait bien. L’affaire est révélée il y a quelques jours par le député européen Jean-Luc Mélenchon. L’histoire remonte au 30 octobre. Elle concerne ce xénophobe et islamophobe notoire, qui serait tenter par les méthodes staliniennes aux dernières nouvelles. C’est un moment d’anthologie qui vaut le détour.

Pendant que l’essayiste gémissait sur le sort de la France dans les pages du quotidien italien Corriere della Sera, il déclara sans vergogne que « Les musulmans ont leur code civil, c'est le Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés de s'en aller ». Oubliez l’ânerie de fond de cette allégation, notez bien ce détail gravissime, avec quelle aisance Eric Zemmour a déjà déchu dans sa tête dérangée, les citoyens de confession musulmane, de la nationalité française : les « Français » sont partis des banlieues à cause des « Musulmans », parce que les Musulmans des banlieues ne sont pas Français ? En tout cas, le journaliste italien ahuri par ce qu’il venait d’entendre lui posa alors la question saugrenue : « Mais, que suggérez-vous de faire ? ‘Déporter’ cinq millions de musulmans français, les mettre dans des avions pour les chasser ? ». Zemmour l’interrompt : « Ou sur des bateaux ! » (précision attestée par le journaliste dans Libération du 18 dec.). Et c’est la boite de Pandore qui s’ouvre pour le passéiste du best-seller Le Suicide français. D’habitude quand on lui posait ce genre de questions, « mais que proposez-vous ? », Eric Zemmour répondait immanquablement, « mais je ne suis pas politicien ! ». Et là pour cette question dont la formulation est dérangeante pour tout Français normalement constitué, subitement, il s’est trouvé très inspiré. Voici sa réponse, texto : « Je sais, c'est irréaliste mais l'Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d'Algérie pour revenir en France ? Ou bien qu'après la guerre, 5 ou 6 millions d'Allemands auraient abandonné l'Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? »

Eh oui, c’est gravissime ! L’islamophobe a tenté par la suite de faire diversion en polémiquant au sujet du mot « déporter », qu’il n’aurait jamais prononcé. Et pourtant, le mot y figure noir sur blanc. Dans tous les cas, le problème n’est évidemment pas lexicologique, mais sémantique. « Déporter » désigne l'action de « déplacer une population vers un territoire lointain ou vers un pays étranger », ce dont il était question dans l'interview. Donc en gros, déporter cinq millions de Français, de confession musulmane, dont la religion ne convient pas à ce Français de confession juive, n’est pas une idée infâme en soi. Eric Zemmour ne s’offusque pas, il ne condamne pas, il ne proteste même pas. Notons qu’il a interrompu le journaliste italien pour glisser qu’une telle déportation pourrait se faire par bateau, ce qui confirme que cette idée ignoble ne l'a même pas choqué. Pire, il trouve simplement, avec la naïveté de tout intellectuel xénophobe et islamophobe, que c’est surréaliste, mais réalisable par l’Histoire. Pire encore, Eric Zemmour rajoute juste après, « Cette situation d’un peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes vivent ici, en France, mais ne veulent pas vivre à la française. » Et encore là, il s’autorise sans scrupules, à déchoir ses compatriotes dont la religion ne lui convient pas, de leur nationalité : c’est un « peuple dans le peuple français ». Ah oui, parce que la déportation de cinq millions de personnes est de nature à pacifier la France ? Ou voyons, ses déclarations xéno-islamophobes sont peut-être de nature à franciser la mentalité de tous ces « musulmans dans le peuple français » et  ces « millions de personnes (qui) vivent ici, en France, mais (qui) ne veulent pas vivre à la française » ? J’ai rarement lu des déclarations aussi stupides, et surtout, aussi irresponsables de la part d’un homme public en France. Et quand on lui a demandé, « Mais que signifie : vivre à la française ? », le Français dont la famille faisait partie de la communauté juive d’Algérie, récemment débarquée en France, a détaillé le cahier des charges du « bon Français ». Pour le besoin tragi-comique de ce moment d’anthologie, je morcellerai sa réponse en huit critères :

1. « Cela signifie donner à ses enfants des prénoms français », lol ! Et on fait quoi des noms comme les Zemmour ? Une minute, les Zemmour, c’est pas très français ça ? Il va falloir le franciser, et plus vite que ça ! Que fait-on des prénoms comme les Aaron, Sarah ou le fameux Salomon de Louis de Funès ? Que deviendront les Vanessa, Kevin, Maria et José ? Ah, j’ai oublié, ce sont les Karim, Nadia et Bakhos qui dérangent ! Admettons, et une fois qu’on a réglé le problème des prénoms, on fait quoi des « faciès » pas très français ? Des basanés, des crépus, des bridés ? Des têtes de bougnoules, des têtes de turcs, des têtes à claques comme la sienne par exemple ?

2. « Etre monogame », lol aussi. Toc toc toc, is there anybody out there ? Réveille-toi Zemmour ! Comme si la polygamie est répandue dans l’hexagone ou comme si elle n’était pas interdite en France. A moins, que le petit Zemmour ne veuille interdire l’adultère, ce qui ne m’étonnerait pas vu le personnage. 

3. « S’habiller à la française », lol également. Ce n’est pas un peu du talibanisme ? Et pourquoi, les musulmans s’habillent comment ? Ah, mais il pense au voile sans doute. Et on fait quoi de ceux qui arborent la kippa en toutes circonstances, comme signe ostentatoire de leur appartenance à la communauté juive française ? Il faudra peut-être commencer par balayer devant sa porte.

4. « Manger à la française », sauf pour le porc j’imagine ! Mais aussi le vin, le gigot, les poissons sans écaille, le lapin, les huitres, les moules, la langouste, le homard, les crevettes, les escargots, j’en passe et des meilleurs. «  Manger à la française » sauf qu’il faudra vérifier les méthodes d’abattage des animaux (la shehita), la cachérisation de la viande dans les préparations, l’utilisation de deux batteries de cuisine et deux vaisselles pour éviter de faire des mélanges alimentaires interdits et faire poireauter le serveur au restaurant avant de commander un dessert après avoir mangé un faux-filet ! Parce que sinon, il va falloir qu’il inclut des « Juifs » dans les cinq millions de compatriotes qui ne répondent pas à tous les critères zemmouriens de la « vie à la Française » et qu’il va falloir éloigner du territoire national. Et puisqu’on y est, on fait quoi des rayons casher des Monop ? Just asking. 

5. « Manger du fromage par exemple », lol. N’importe quoi. Pourquoi, tous les musulmans ne mangent pas de fromages peut être ? Mais, il va falloir faire une visite guidée dans le 9-3 ! Et sur ce point, qu’il commence déjà par régler le problème chez ses coreligionnaires pour donner le bon exemple.

6. « Blaguer au café », lol, j’adore la réflexion surtout venant de la part d’un type, qui, comme on dit dans nos contrées orientales, ma biyed7ak la rgriff el sokhinn, qui ne sourit même pas devant un pain chaud.

7. « Faire la cour aux filles », oh comme il est mignon Zemmour le nerd, qui veut apprendre aux musulmans de France à draguer les filles ! Tiens, puisque j’y pense, « vivre à la Française » c’est ne pas toucher au zizi du petit. Ah si, dans le pays de la fille ainée de l’Eglise, on ne circoncit pas les quéquettes.

8. « Aimer l’Histoire de France et se sentir dépositaire de cette Histoire et vouloir la continuer, je cite ici Renan ». Là j’étais tenté la moitié d’un quart de second d’être d’accord, mais vu ce qui a précédé, j’ai laissé tomber. Ce journaliste populiste du Figaro Magazine oublie que nous ne vivons pas sous un régime totalitaire maoïste et qu’on a le droit au pays de la Révolution française et de Mai 68, ne lui en déplaise doublement, de ne pas aimer certaines pages sombres de l’Histoire de France, d’éprouver une vive révulsion pour les campagnes sanguinaires mégalomaniaques de Napoléon et pour la stupidité historique de « l’Algérie française », qui ont fauché gratuitement la vie de millions de personnes en Europe et en Algérie. « La Marseillaise, même en reggae, ça m'a toujours fait dégueuler ». Tiens, c’est un « Français de souche » qui le dit. Il s’appelle Renaud. C’est dans « Où est-ce j’ai mis mon flingue ? » Et je pense, sans trop me tromper, qu’il t’emmerde mon petit Zemmour, avec 40 ans d’avance. C’était dans « L’Hexagone » en 1975. J’invite tous ceux qui ne connaissent pas cette superbe chanson, à la découvrir. Je vous préviens, Renaud est très sévère avec ces compatriotes. Mais bon, qui aime bien, châtie bien ; les zélés, ne font pas forcément de bons patriotes ; mais de bons fayots, si. On dirait que certains vers ont été spécialement écrits pour un arriviste xéno-islamophobes de la trempe d’Eric Zemmour. « Au mois de juin... Ils oublient qu'à l'abri des bombes, Les Français criaient "Vive Pétain", Qu'ils étaient bien planqués à Londres, Qu'y'avait pas beaucoup d'Jean Moulin », n’est pas sans rappeler la réhabilitation méprisable du Maréchal collabo par le passéiste polémiste ! « En septembre... Le fascisme c'est la gangrène, À Santiago comme à Paris, Et le roi des cons, sur son trône, Il est Français, ça j'en suis sûr » et voilà « (qu’)en octobre... Ils exportent le sang de la terre, Un peu partout à l'étranger, Leur pinard et leur camembert, C'est leur seule gloire à ces tarés ». Quelle merveilleuse chanson de circonstance ! Désolé mon petit Zemmour, on ne pourra pas le déporter celui-là, il est « Français de souche » et répond au cahier des charges, bien plus que toi.

Il est sans doute difficile de savoir d’où viennent les phobies d’Eric Zemmour en général et cette aigreur tous azimuts qui suinte de sa bouche en particulier. Il faut reconnaitre que sa psychanalyse serait passionnante. Pêle-mêle, voilà ce que j’ai trouvé d’intéressants : des parents modestes (père ambulancier, mère au foyer ; disons, il a été élevé à la dure, content sans doute de prendre sa revanche sur la société), originaire de la communauté juive-pieds-noirs (Français seulement depuis le 19e siècle, chassés d'Algérie ; encore une revanche à prendre !), il se prénomme « Moïse » à la synagogue (no comment), il reconnait lui-même qu’il avait le « syndrome du premier de la classe » (ah, il y a peut-être un début d’explication ; comme on dit en anglais c’était un « nerd » ; mais il était mauvais dans cette langue), il rate l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration, à deux reprises quand même (ah, l’explication se précise ; « J'étais meurtri car on ne me reconnaissait plus comme premier de la classe. Mais, il est faux de dire que je fais payer cet échec aux élites ! », Le Point 1/4/2010 ; c’est c’là oui, cause toujours !), salaire pénard à 2 000 €/émission à l’époque de On n’est pas couché chez Laurent Ruquier, il se définit comme un « gaullo-bonapartiste » (les « massacres » de l’empereur ne semblent « guerre » le déranger !), j’en passe et des meilleures.

Oubliez le révisionnisme zemmourien qui donne une logique tordue du genre, le régime de Vichy aurait livré les Juifs de France aux nazis pour mieux protéger les Juifs français, ce n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus grave chez le bonhomme. Eric Zemmour craint la guerre civile en France. Ça, c’est grave. Il en parle dans « Le Suicide français ». Il est revenu dessus, après sa polémique sur ses déclarations ignobles à propos de la « déportation » des musulmans de France. Une chose est sure et certaine, ce n’est pas seulement qu’il la craint, il la souhaite surtout. Et il fait tout, pour qu’on y arrive. C’est cela qui est grave dans le phénomène Eric Zemmour. Qu’importe, le sujet de la polémique, il est aujourd’hui légitime de se demander, pourquoi cet homme d’extrême droite a une aussi large assise et couverture médiatiques (RTL, i>Télé, Paris Première, Figaro), malgré les propos infâmes qu’il assène depuis trop longtemps déjà ? Pour beaucoup moins que ça, des gens comme Dieudonné ont été traqué comme la bête du Gévaudan. Les dérapages savamment étudiés d’Eric Zemmour, ne sont pas sans rappeler, ceux de ce dernier. En toute logique, ils devraient conduire à des « poursuites » judiciaires, administratives et médiatiques, de même nature que celles engagées contre l’humoriste français. Faute de quoi, comment justifier ce « deux poids, deux mesures » au sein de la République française. Bientôt, certains mettront les autorités françaises en demeure de choisir entre la libération de la « parole antisémite » et le traitement de la « parole islamophobe » avec la même fermeté ! Critiquer avec décence c’est sain, propager la haine populiste c’est malsain. Tout ce qu'Eric Zemmour réussira à faire, c'est nourrir à la fois l'islamophobie et l'antisémitisme en France. Libérez la parole islamophobe, et vous obtiendrez Eric Zemmour, le prédicateur de la prochaine « guerre civile ». Pour mesurer à quel point Eric Zemmour s'est montré ignoble dans cette interview, il suffit d'imaginer un Tariq Ramadan tenir les mêmes propos, en remplaçant « musulmans » par « juifs » et « Coran » par « Torah » ! Il n'y a pas de doute, cet homme est exécrable.

Nota Bene 1
Malgré toutes les polémiques qu’il déclenche, pour relancer son magma passéiste, Le Suicide français, Eric Zemmour n’arrive pas à la cheville de Valérie Trierweiler. Ah, ça va encore réveiller la plaie de l’ENA !

Nota Bene 2
« La situation actuelle qui fait que les communautés se figent, se durcissent, se séparent sur le territoire de la France, est une situation dramatique qui va conduire à la "libanisation" de la France, avec une guerre civile en perspective entre des communautés qui n'ont plus rien à se dire et qui vont s'affronter parce qu'elles n'auront plus les mêmes valeurs et les mêmes intérêts » (RTL 18 dec. 2014). C'est c'là oui ! Parce que tes déclarations ignobles sont de nature à rapprocher les communautés françaises peut-être ? Foutaises. Bakhos Baalbaki, résident européen, originaire du Liban, où est née la "libanisation", a reçu l’amour de la France dans le lait maternel. Il est de culture arabe, chrétienne, catholique et maronite, soit dit au passage. Il sait d’après la tragédie qui déchire son pays depuis près de 40 ans, qu'au sein d'une République française qui évolue dans le sillage des zélés nationalistes des Eric Zemmour et ses apparentés, identitaires et religieux, islamophobes et christianophobes, antisémites aussi, on ne trouvera que rance, confrontation, et un jour peut-être, la guerre civile.


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dimanche 14 décembre 2014

Peut-on tuer les prisonniers de guerre d’après « l'islam du Coran »? Non! Mais d’après « l’islam de certains chrétiens », si! (Art.259)


Tout a commencé par un statut. Je faisais référence à l'assassinat odieux d'Ali Bazzal. Je pensais aussi à James Foley et à d'autres otages, tués par Daech - Etat islamique, Jabhat al-Nosra, le Hezbollah ou la tyrannie des Assad, père et fils. Je disais qu’il était temps qu’une cellule spécialisée libanaise traque plus efficacement ces terroristes sur les réseaux sociaux. « Il faut ramener cette racaille de psychopathes là où ils devraient être et restés : à l’âge de pierre ! Non seulement tuer des détenus est une violation grave de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, mais les ignares devraient savoir qu’il est strictement interdit dans l’islam de tuer les captifs. » Ma dernière affirmation a dérangé. Je m’en doutais un peu. « Leur prophète (Mahomet) leur a largement montré l'exemple », me dit une amie sur Facebook. Le ton était donné. Après un commentaire délirant de sa part, « ce qui est sûr, c'est que dans le Nouveau Testament on parle d'aimer ou d'amour environ 700 fois et nulle part dans le Coran », et de faits historiques tronqués avancés par une autre amie, « Mahomet a donc fait égorger les mâles, en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws », j’ai décidé de rédiger cet article et mettre quelques points sur les i.

Y-a-il des passages violents dans le Coran des musulmans ? La réponse est oui. Comme il y en a d’ailleurs dans la Bible des Juifs et des Chrétiens aussi. Je vais déranger, mais j’assume. Puisque nous manquons de temps, vous et moi, je me limiterai au sujet des « prisonniers de guerre », l’étincelle qui a enflammé les esprits, un terme qu’on retrouve dans l’argumentation de Jabhat al-Nosra pour justifier l’exécution infâme des militaires libanais, que l’organisation terroriste détient, soi-disant selon les préceptes islamiques.  

Dans la sourate 8, al-Anfal (Le Butin), le verset 70 donne le tempo à ce sujet : « Ô Prophète, dis aux captifs qui sont entre vos mains : "Si Dieu sait qu’il y a du bien dans vos cœurs, il vous accordera de meilleures choses que celles qui vous ont été enlevées. Il vous pardonnera car Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux." » Dans la sourate 47, Muhammad, les choses se précisent au verset 4 : « Si vous rencontrez les impies (au combat), frappez-les au cou jusqu’à les terrasser. Liez-les alors fortement. Ultérieurement, libérez-les gracieusement ou contre une rançon, afin que la guerre dépose ses fardeaux. Parce que si Dieu l’avait voulu, il se serait débarrassé d’eux lui-même, mais il a voulu vous éprouver les uns par les autres. » Ainsi, Allah via Mahomet, si on se place du point de vue d’un musulman, dit donc clairement d’une part, qu’on ne peut pas faire de prisonniers sans livrer bataille (peut-être sanglante, mais il faut livrer bataille quand même), et d’autre part, on ne peut pas tuer les prisonniers de guerre, qui doivent être libérés gracieusement ou contre une rançon. C'est d'une clarté éblouissante. Par conséquent, Jabhat al-Nosra et Daech, ont clairement violé les préceptes coraniques dans ce domaine, en exécutant quatre otages libanais et quatre otages occidentaux, sans parler de toutes leurs actions criminelles qu’elles ont menées en Irak et en Syrie. Que ça soit pour la bonne cause -mettre fin à la tyrannie des Assad- n’y change rien, cela va sans dire.

« Oui mais, il ne faut pas oublier le massacre des Banu Qurayza », m’avertirent mes deux amies séparément. Qui ça ? « La tribu dont Mahomet a fait égorger tous les membres mâles, dès lors qu'ils avaient les poils de la puberté... c’était la tribu juive de Yathrib des Banu Quraydah... en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws ». Incroyable comme l’histoire ancienne ressemble aux chiffres, non seulement on peut la trafiquer elle aussi, mais on peut également lui faire dire ce que l’on veut, ce qui était le cas dans ce débat. Désolé, mais je vais devoir vous conter l’histoire des Banu Qurayza, la tribu des fils de Qurayza. Rassurez-vous, c’est passionnant. Nous sommes en 627. Mahomet et des fidèles originaires de La Mecque sont réfugiés depuis cinq ans à Yathrib, rebaptisée Médine. La ville est alors attaquée par la tribu mecquoise arabe des Quraych, celle de Mahomet, qui veut en finir avec les « musulmans » et leur chef. On dit que la tribu juive des Banu Nadir, celle qui a été expulsée de Médine peu de temps avant, à la suite d’une tentative d’assassinat visant Mahomet, faisait partie du complot. 10 000 hommes pour les assaillants, dirigés par Abu Sufuyan, contre 3 000 pour les défenseurs, dirigés par Mahomet lui-même. Ce dernier tenta de conclure un accord de paix, afin d’éviter un bain de sang, en vain. Celui-ci n’aura pas lieu d’ailleurs. Mahomet a eu l’idée de génie de faire creuser un fossé tout autour de la ville, là où il n’y avait pas de remparts. « S'il n'y avait eu ce fossé auquel ils s'accrochaient ; Nous les aurions exterminés tous ; Mais il était là devant eux, et eux ; Ayant peur de nous, y trouvaient refuge. » A en croire l’historien français Maxime Rodinson, à part quelques escarmouches, les deux ennemis échangèrent pendant trois semaines « des injures en proses et en vers (comme la citation précédente), ainsi que des flèches lancées à une distance rassurante ». En effet, les batailles sanglantes de l’antiquité n’étaient pas dans les mœurs et les pratiques arabes. Tout devait être fait pour les éviter. Un traité conclu auparavant entre les tribus arabes et juives de la région, obligeait toutes les parties à défendre la ville en cas d’attaque. On raconte qu’Abu Sufuyan s’était mis d’accord secrètement avec la tribu juive des Banu Qurayza, pourtant chargée de garder les remparts de la ville. Violant le traité tribal, cette dernière devait laisser rentrer « les ennemis », les Qoraychites. Cependant, une tempête, le froid et le manque de vivres finissent par les disséminer, les obligeant à lever le siège et à rentrer à La Mecque. En tout et pour tout, on dénombra seulement huit morts. Ah si !

Quelques heures après cette victoire, Mahomet et ses troupes assiégèrent la « tribu traitre » sur ordre de l’ange Gabriel, nous dit-on dans une certaine source. Après plusieurs semaines de siège, les Banu Qurayza acceptèrent l’arbitrage de leur allié, Saad ibn Muaaz, le chef de la tribu arabe préislamique des Banu Aws, qui est en même temps, le premier des Ansars, les compagnons de Mahomet. Blessé durant la guerre, et après s’être assuré que les deux parties, les musulmans et les juifs, acceptent son arbitrage, il décréta « que les hommes (de Banu Qurayza) soient tués, que leur biens soient répartis entre les musulmans et que les femmes et les enfants soient bannis ». On raconte que 600 à 900 personnes y périrent égorger. Certaines sources affirment même que seuls deux hommes, Ali ibn Abi Talib, le cousin et le gendre de Mahomet, le futur calife, et Zoubaïr, qui auraient été chargés de cette sale besogne, ce qui est invraisemblable. Indépendamment de la véracité de tous les détails de ces événements, le chiffre semble relever de la mythologie, exagéré dans le but d’impressionner les populations de l’époque.

Il n’y a rien sur la tragédie des Banu Qurayza dans le Coran, à part deux vagues versets (33, 26-27). Tous les récits, réels ou fantaisistes des événements, ont trois origines

D’abord, Sirat rasul Allah, la Biographie de l’Envoyé de Dieu, d’Ibn Ishaq. C’est « l’Evangile des musulmans », selon l’historien tunisien, Hichem Djaït. Le hic est que cet historien arabe est mort en l’an de grâce 768, soit 141 ans après les faits. Non seulement sa version a disparue (comme tous ses livres d’ailleurs), mais tous les faits lui ont été rapportés par son père et son grand-père, un esclave affranchi. Son travail est reconnu, mais critiqué aussi, pour l’exagération et la déformation de certains récits de bataille, faites pour des intérêts religieux et politiques. Certains l’accusent même d’être chiite, soit dit au passage. 

Ensuite, Sirat rasul Allah Muhammad ben Abdallah, La biographie de Mahomet le Messager de Dieu, d’Ibn Hicham. Ce généalogiste et grammairien arabe (qui a étudié les hadiths à Koufa, n’est donc pas historien), est mort, en l’an de grâce 833, soit 206 ans après les faits. Le bémol de sa biographie, c’est que non seulement elle est basée sur celle d’Ibn Ishaq, dont on n’a gardé aucune trace, mais il est parfaitement admis qu’il s’agit d’une version remaniée svp, encore pour des intérêts religieux et politiques. L’islamologue tunisien prévient dans son livre La vie de Muhammad, « Ibn Ishaq (via Ibn Hicham) nous fournit parfois une matière précieuse... Face à ce matériau, il incombe à l’historien d’extraire les informations précises et pertinentes du magma légendaire et fabuleux ». Eh oui ! Une tâche difficile sans doute.

Enfin, Tarikh al-rusul wal moulouk, de Tabari, qui relate l’histoire du monde et des musulmans, dont celle de Mahomet. Mais là aussi, cet historien perse reconnu, exégète du Coran, est mort en l’an de grâce 923. Il n’a écrit ses Chroniques que quelques années seulement avant sa mort, soit près de 300 ans après les faits. Non seulement l’auteur a fait des choix personnels, mais plus grave encore, la version répandue, en Orient comme en Occident, se base sur une traduction perse de la version arabe d’origine, perdue en partie et dont il ne subsiste que quelques fragments. Et là aussi, on sait que la version secondaire perse du vizir Bal’ami, sur laquelle se basent les versions disponibles aujourd’hui, a été radicalement modifiée par son traducteur perse pour des intérêts religieux et politiques (chiites). 

Enfin bref, on voit bien qu’on est loin du récit simplifié rapporté avec beaucoup de certitudes par certains, dont mes amies, qui néglige la grande marge d’erreurs qui entourent ce genre de récits historiques lointains, qui contient des inexactitudes flagrantes même en se référant aux rares sources disponibles et qui zappent certains détails importants, le tout pouvant être fait involontairement, par méconnaissance, ou pire, volontairement, dans un intérêt religieux et politique évident, nourrir l’islamophobie d’aujourd’hui, 1400 ans après les faits originels.

Parenthèse historique refermée, revenons à la trame de l’article : peut-on tuer des prisonniers de guerre dans l’islam ? Il me semble que dans ce domaine beaucoup de ceux qui s’y aventurent pour y répondre, confondent deux choses : le Coran et l’histoire. Dans le texte du Coran, et sans l’ombre d’un doute, comme je l’ai dit précédemment, je persiste et je signe, la réponse est « NON », n’en déplaise à ces islamophobes sans frontières qui aimeraient que ça soit le contraire. Pour l’histoire, tout est à prendre avec beaucoup de précautions. Du point de vue strictement historique, il existe peu de sources fiables autour de Mahomet. Ce point ne fait pas débat. On a d’ailleurs le même genre de problème pour écrire les biographies de Jésus de Nazareth, de Cléopâtre, d’Alexandre le Grand ou de Moïse. Comme le résume si bien Alfred-Louis de Prémare, ce spécialiste français et arabophone de l’islam : « toute biographie du prophète de l'islam n'a de valeur que celle d'un roman que l'on espère historique ». Pour les événements ponctuels, on est parfois plus gâté. Mais, on sait aussi d’une manière générale que l’historicité des événements lointains est sujette à caution. Pour l’historien Hichem Djaït, « la pente naturelle de la Sira (la biographie de Mahomet) et du patrimoine islamique post-coranique visaient à construire cette part de légende, dans le but de concurrencer les autres croyances et d’enraciner l’islam chez le vulgum pecus, précisément à l’heure de l’expansion islamique ». Dans le cas des Banu Qurayza, on voit bien les limites des récits rapportés par Ibn Ishaq, Ibn Hicham et Tabari, sur ces événements qui se sont déroulés il y a près de 1400 ans, dans un contexte de guerre, de conquête et de traitrise, à l’aube d’une grande aventure religieuse et humaine qui marquera l’histoire, et qui s’inscrivent d’une part, dans le contexte d’une époque, et d’autre part, dans la tradition biblique. Hélas, ceux qui n’ont pas une bonne opinion de l’islam, négligent l’une et l’autre. J’avais l’intention au départ de développer les deux aspects. Mais vu la longueur de l’article, et comme c’est déjà l’heure du déjeuner dominical, wa 3enda el bouttoun tadi3ou el 3oukoul, je n’ai abordé que le premier volet, laissant la tâche de traiter le second à une date ultérieure.

Venons-en au mot de la fin, à la morale de l’histoire. Certes, il est nécessaire que les communautés musulmanes effectuent une relecture dépassionnée du Coran et distanciée des « biographies » de Mahomet, mais il est impératif que les communautés chrétiennes, juives et athées fassent de même ! Une relecture dépassionnée et distanciée du Coran et des biographies de Mahomet, bien entendu au cas où je n'ai pas été bien compris. Nous aurons indiscutablement moins d’islamisme chez les uns et surtout, moins d’islamophobie chez les autres. Et le monde entier se portera mieux.

Nota Bene : Le débat intégral sur mon mur Facebook


mardi 18 novembre 2014

« Les musulmans ont découvert l'Amérique, pas Christophe Colomb », le dernier délire d’Erdogan (Art.253)


Le président turc, Recep Tayyip Erdogan,
lors du premier Sommet des chefs religieux
musulmans d'Amérique latine, qui s'est
tenu le 15 novembre 2014 en Turquie
à Istanbul (Anadolu Agency - AFP)
On ne compte plus les dérages du leader de la Turquie. Recep Tayyip Erdogan apparait au fil des années, de moins en moins laïque et démocratique, de plus en plus islamique et autocratique. Islamisation en douce du pays, atteinte grave à la laïcité, autorisation du voile et de la barbe dans l’administration, moralisation de la société, restriction de la consommation et de la vente d’alcool, limitation des manifestations amoureuses dans la rue, atteinte aux libertés individuelles, atteinte à la liberté d’expression, menaces d’interdiction de Facebook et de Twitter, déni des contestations populaires, répression policière brutale, gaspillage de l’argent public dans des projets nationalistes et mégalomaniaques, clientélisme, règne indirect et sans fin sur la municipalité d’Istanbul, complaisance face à la folie des promoteurs, ottomania, j’en passe et des meilleurs. Enfin, depuis près d’une vingtaine d’années, Atatürk n’en finit pas de se retourner dans sa tombe.

Il y a trois ans, dans un article sur la révolution syrienne, j’avais émis de sérieux doutes sur l'élévation de Recep Tayyip Erdogan au titre de Grand héros de la Nation arabe pour l'année 2011. Et pour cause ! « Voilà un homme qui a inauguré sa carrière en 1998 par la porte de la prison, après une condamnation pour incitation à la haine où dans un discours national, alors qu'il était maire d'Istanbul depuis 1994 (il sera destitué à la suite de cette affaire et emprisonné pendant trois ans), n'a pas trouvé mieux que de réciter le poème d'un nationaliste turc pour qui "les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats"! C'est de l'histoire ancienne peut-être, sauf que le Premier ministre turc n'a pas hésité à déclarer en février 2008 en Allemagne, devant 16 000 compatriotes, que "l'assimilation (des musulmans/Turcs dans les pays occidentaux/en Allemagne) est un crime contre l’humanité", renvoyant par ailleurs aux calendes grecques, la reconnaissance du génocide arménien et le droit démocratique à l'autodétermination de la population kurde. » Aujourd’hui justement, Kobané / Aïn el-Arab, la ville kurde de Syrie, n’en finit pas d’agoniser à cause de la politique honteuse de la Turquie qui a choisi depuis 2011, de fermer les yeux et de soutenir, les djihadistes en Syrie, en détriment des rebelles kurdes, non seulement parce qu’ils sont islamistes mais aussi pour empêcher l’émergence d’un Kurdistan syrien à ses frontières avec la Syrie.  

Toujours est-il, le fait que plusieurs dizaines de personnes de son entourage soient impliquées dans des scandales financiers et malgré sa politique ambiguë avec l’organisation terroriste la plus odieuse de l’histoire contemporaine, « l’Etat islamique / Daech », cela ne l’a pas empêché de délirer, tenez-vous bien, sur la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. A l’occasion du sommet des chefs religieux musulmans des pays d'Amérique latine, qui s’est tenu à Istanbul le 15 novembre, le président turc a déclaré texto : « Les contacts entre l'Amérique latine et l'islam remontent au XIIe siècle. Les musulmans ont découvert l'Amérique en 1178, pas Christophe Colomb... Des marins musulmans sont arrivés en Amérique dès 1178. Colomb mentionne l'existence d'une mosquée sur une colline le long de la côte cubaine. » Et encore, s’il s’était contenté de ce délire révisionniste de l’histoire! Il est allé plus loin : « Je voudrais bien en parler à mes frères cubains, une mosquée irait parfaitement bien sur cette colline aujourd'hui aussi. » Et face à ce prosélytisme à cinq piastres, on s’étonne après du développement d’une certaine islamophobie dans les pays occidentaux!

Flashback. Cette histoire n’est pas sans rappeler le même délire sur la découverte de l’Amérique par les Phéniciens -grands navigateurs, inventeurs de l’alphabet, de la pourpre et du libre échangisme- et qui font la fierté des Libanais, à juste titre et à juste raison. Difficile de savoir qui avait lancé cette légende en premier, mais ce qui est sûr et certain, c’est parce que celle-ci flattait le nationalisme identitaire libanais, elle a été reprise et exploitée par les communautés chrétiennes du pays du Cèdre, notamment par les Maronites. Ce délire s’est basé notamment sur la découverte vers 1872 d’une stèle avec des inscriptions phéniciennes à Paraíba au Brésil. « Nous (sommes) des fils de Canaan, de Sidon (actuel Saïda), de la ville du roi.  Et (le) commerce nous a jetés sur ce rivage lointain, une région de montagnes... Que les dieux et les déesses nous soient propices ! » Comme par hasard, à l’arrivée des spécialistes pour l’examiner, la stèle originelle s’est volatilisée, dès 1874, il ne subsistait qu’une copie. L’inscription est bel et bien phénicienne, ce qui pose problème c’est la stèle elle-même. Comme rien n’est venu étayer la présence phénicienne au Brésil, les archéologues supposent que la stèle de Paraíba était fausse, voire une pièce authentique mais qui a été rapportée après la découverte de Colomb. On suppose qu’elle aurait été créée pour nourrir la passion de l’empereur du Brésil, Pedro II, pour l’univers sémite. Il y a aussi d’autres découvertes dont l’attribution aux Phéniciens est aujourd’hui rejetée par les spécialistes de cette civilisation, notamment le rocher de Dighton (énorme bloc de pierre retrouvé dans le lit d’un fleuve du Massachusetts aux Etats-Unis, sur lequel on retrouve des inscriptions non identifiées) et la falaise de Pedra da Gavea (près de la ville de Rio de Janeiro, qui ressemble à un visage où l’on a retrouvé une inscription phénicienne). Pour être complet le sujet, l’Amérique aurait été découverte aussi par les Romains, les Chinois et les Templiers de France. On n’arrête pas le progrès, ni les délires identitaires nationalistes d’ailleurs. La seule présence précolombienne en Amérique admise aujourd’hui, c’est celle des Vikings au Canada.

Revenons aux éléphants roses de Recep Tayyip Erdogan. Après un brainstorming avec l’ensemble de mes personnalités, je ne vois que trois hypothèses pour expliquer le dernier délire de l’héritier de la Sublime Porte :
1. Dégénérescence prématurée des cellules cérébrales du président de la Turquie. Un phénomène très rare avant l’âge de 99 ans.
2. Hallucination visuelle après l’ingestion du champignon hallucinogène Sclerotia Mexicana Dragon, acheté à un travesti dans un smartshop lors d’une visite secrète à Amsterdam où des témoins affirment qu’Erdogan était déguisé en femme voilée. D’ailleurs, le producteur ne s’est pas trompé en affirmant « attendez-vous à une défonce physique combinée à des effets visuels et des idées philosophiques ». Ah oui, il s’est défoncé Recep !
3. Dérapage savamment étudié qui ne doit rien au hasard et qui prouve pour la énième fois que Recep Tayyib Erdogan n’est qu’un islamiste populiste parmi d’autres.

A ce propos, notez bien que le chef d’Etat turc a sciemment parlé de l’appartenance religieuse de ses explorateurs imaginaires, des « musulmans », et non impériale ou ethnique, une précision qui ne peut pas être exploitée de nos jours. En effet, il ne pouvait tirer aucun profit à remettre cet exploit imaginaire précolombien aux Seldjoukides du Sultanat de Roum (à l’époque où l’empire ottoman n’existait pas encore, des clans de Turcs Oghouzes régnaient sur l’Anatolie de l’Empire byzantin, la Turquie d’aujourd’hui), aux Ayyoubides de la dynastie ayyoubide de Saladin (qui régnaient sur la Syrie et l’Egypte), aux Mouwahiddun de la dynastie des Almohades (qui régnaient sur l’Andalousie et le Maghreb) et encore moins aux Croisés des Etats latins d’Orient (les chrétiens d’Occident qui régnaient sur la côte de la Palestine-Israël, du Liban et de la Syrie et sur Jérusalem depuis 1099). D’ailleurs, c’est ce qui rend son usurpation historique particulièrement ignoble.

Toujours est-il qu’aucun vestige islamique, de quelque nature que ce soit, antécédent à l’arrivée de Christophe Colomb à San Salvador (Bahamas), n’a jamais été découvert entre la Terre de Feu et l’Alaska. Tous les historiens sains d’esprit, musulmans compris, s’accordent pour dire que la mention de Christophe Colomb, exploitée par un historien islamiste turc en 1996, n’était qu’une métaphore pour décrire le paysage de l’époque. Il ne faut pas oublier que la découverte de l’Amérique en 1492 est intervenue 39 ans seulement après la chute historique de la ville de Constantinople entre les mains des Ottomans en 1453, un détail qui a échappé à l’actuel fanatique d’Istanbul. Encore une fois, Erdogan nous prouve à quel point les Européens favorables à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne étaient vraiment à côté de la plaque !

Je terminerai ce tour d’horizon par cette anecdote. Sachez que le site français, Islam & Info, qui assure « l’info par le Musulman, pour le Musulman », a même attribué au début de l’année l’exploration de l’Australie à des musulmans, en se basant sur une soi-disant découverte de cinq pièces de monnaie en cuivre dans le nord du pays, qui dateraient des années 900. James Cook ne serait donc qu’un autre usurpateur, comme Christophe Colomb. C’est ce qui a poussé les rédacteurs du site à conclure : « Décidément, les découvertes sont rarement dédiées à leurs propriétaires quand il s’agit de musulmans. » La 7awla wa la qowata ella bellah ! Entre la barbarie des usurpateurs de l’islam et du califat de « l’Etat islamique / Daech » et les délires des usurpateurs de l’histoire des Erdogan & Co, pauvres musulmans, dans quelle galère vous êtes embarqués parfois par certains de vos coreligionnaires, au nom de l'Islam ! Ah, c’est le cas de le dire. Pour rester dans le sujet principal de cet article, comme les dérages d'Erdogan dans la Turquie laïc d’Atatürk sont bien regrettables, quand on pense que ce grand pays à dominante musulmane a un rôle crucial et majeur à jouer dans le monde arabo-islamique de demain.

jeudi 30 octobre 2014

Vous avez détesté Daech 1.0, voici Daech 2.0 : la « com’ » de l’Etat islamique et les aventures de John Cantlie (Art.249)


Comme dit un adage libanais, ma fi ella el7mar ma be ghayirr ra2yo. Il n’y a que l’âne (l’imbécile) qui ne change pas d’avis. On dit aussi qu’il n’y a pas pire stratège que celui qui sous-estime les capacités de réaction de ses adversaires. Manifestement, Daech a décidé de changer sa tactique de communication. Il faudrait en prendre acte. 

Dans une vidéo postée il y a trois jours sur YouTube, et aussitôt retirée par le géant américain de la vidéo en ligne, mais qu’on peut retrouver ailleurs (comme sur Yahoo News), on peut noter un changement radical dans la façon de communiquer de « l’Etat islamique ». Jusqu’à maintenant, nous étions habitués à la mise en scène sordide de l’exécution d’otage occidental détenu par l’organisation terroriste : un cadre désertique (difficile à repérer), un bourreau arrogant (debout, en noir, visage camouflé et poignard à la main), une victime humiliée (à genou, mains ligotées, en tenue orangée), un message terrorisant adressé à l’Occident (des revendications pour arrêter les frappes aériennes, suivies de menaces d’exécution d’un autre otage) et l’acte ultime de barbarie (la décapitation de l’otage).

Et voilà qu’on découvre dans cette nouvelle mise en scène mise en ligne le 27 octobre, un otage britannique, John Cantlie, engagé de force ou de gré, ce n’est pas clair pour l’instant, à jouer le rôle du « reporter libre » dans la ville syrienne de Kobané, où la guerre fait rage actuellement entre les forces kurdes et celles de Daech. Comme l’affaire n’est pas banale, quelques remarques s’imposent sur cette nouvelle campagne de communication de « l’Etat islamique » qui vise à la fois les populations occidentales, les communautés sunnites d’Orient et d’Occident et les moudjahidines de tout poil de Syrie et d’Irak.

Que les communicants de Daech s’adressent à l’Occident, c’est une évidence, un think ‘tanké’ l’aurait compris. D’ailleurs, le choix de John Cantlie ne doit rien au hasard. Cet homme a failli rejoindre ses aïeux, et pas qu’une fois. Ce qui lui arrive est hallucinant. Il est Britannique, reporter de guerre, âgé aujourd’hui de 44 ans. Alors qu’il tentait de traverser la frontière turque en juillet 2012, il est capturé par des islamistes britanniques en Syrie. Il devait être remis à un groupe djihadiste affilié à al-Qaeda. Blessé en tentant de s’évader, il fut libéré une semaine plus tard par l’Armée syrienne libre. Un de ces compagnons de fortune raconta par la suite que les islamistes britanniques de ce groupe se sont montrés plus vindicatifs que les islamistes arabes, et qu’ils avaient réclamé leur mort parce qu’ils étaient des « infidèles ». Quelques mois plus tard, il n’hésite pas retourner sur le théâtre du conflit, avec James Foley, pour réaliser un documentaire sur son enlèvement. Et rebelote, il est alors de nouveau enlevé avec le journaliste américain en novembre 2012. On n’entend plus parler d’eux jusqu’au mois d’août 2014, où ce dernier sera décapité quelques jours après le début des frappes américaines en Irak. Lui, il n’apparait que le 18 septembre dans une vidéo adressée à l’opinion publique occidentale et intitulée « Prêtez-moi l’oreille », toujours sur YouTube. Assis derrière un bureau, et vêtu d’une tenue de Guantanameros, il affirme « qu’après avoir été abandonné par mon gouvernement (britannique) et que ma vie soit entre les mains de l’Etat islamique, je n’ai plus rien à perdre (...) Je pourrais vivre ou mourir, mais je voudrais saisir cette opportunité pour vous informer (...) Dans les prochains épisodes, je vous montrerai la vérité sur les motivations et les méthodes de l’Etat islamique (...) et comment les médias occidentaux dénature la vérité pour influencer les populations ». Nous sommes au zénith de la manipulation. Entre temps, les méthodes de Daech ont conduit à la décapitation de plusieurs otages occidentaux et libanais, à des exécutions de masse dans les communautés chiites et sunnites, notamment en Irak, à l’expulsion des chrétiens de Mossoul, à la réduction des femmes yazidis en esclavage, à l’attaque des positions de l’armée libanaise dans la Bekaa, à la bataille de Kobané, et un tas d’autres crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, à l’instar de la dynastie tyrannique des Assad que l’organisation terroriste prétend combattre.

Ainsi, John Cantlie n’est pas à sa première. Il est apparu dans cinq vidéos de « l’Etat islamique » en un mois et demi, vêtu à chaque fois d’une tenue orangée. Toutefois, dans celle postée il y a trois jours, on note une rupture dans le choix vestimentaire, le cadre du tournage et le ton du message. Daech apprend vite. Les mises en scène sordides n’ont pas eu l’effet escompté : terroriser les Occidentaux au point de soulever les populations contre leurs gouvernements pour les empêcher d’engager leurs forces militaires contre l’organisation terroriste. C’était tellement naïf. Les voilà donc qui se décident à opter pour la méthode douce. Dans la nouvelle vidéo, sous-titrée en arabe, le spectateur se retrouve dans un cadre urbain, parfaitement identifié, Kobané, une ville du nord de la Syrie qui était sur le point de tomber jusqu’à ce que les frappes aériennes arabo-américaines n’arrêtent l’avancée des djihadistes. Le bourreau s’est converti en réalisateur et s’est éclipsé derrière la caméra. Aucune trace du couteau de la terreur, ou même d’une kalachnikov de combat. La vedette c’est l’otage occidental, la victime est à l’honneur. John Cantlie est habillé en tenue noir, comme les djihadistes, barbichette taillée et moustache rasée, comme beaucoup d'islamistes. Il est debout et se promène librement dans la ville kurde. Il n’y a aucune revendication en 5 minutes et 32 secondes, encore moins de menaces ou d’actes de barbarie. Il y a une sérénité étonnante qui se dégage de cette vidéo, tournée soi-disant sur un théâtre de guerre. Qui prendrait le « faux reportage » en route croirait qu’il est tombé sur l’émission « Des racines et des ailes » ou un documentaire de la BBC. Le message est on ne peut plus clair : « l’Etat islamique » est non seulement toujours présent à Kobané, malgré les frappes aériennes, mais il ne craint rien ni personne. Au loin, on entend quelques rafales d’armes automatiques, seulement, comme pour démentir que la ville est à feu et à sang, comme pour signifier que les combats intenses sont terminés, les djihadistes procèdent à la prise en main de la ville et pour en finir avec quelques poches de résistance. Aucune trace de l’aviation ennemie. Peu de choses rappellent la guerre, si ce n’est la désolation dans la ville en background et un passage de quelques secondes où l’on voit des hommes en uniforme, qui peuvent très bien appartenir à n’importe quelle armée, passés paisiblement sur un trottoir. Le réalisateur djihadiste a pris un grand soin de ne pas montrer leur barbe. Vous l’avez compris, tout est méticuleusement étudié, au point que le reporter britannique apparait d’un sang-froid remarquable. Contrairement aux vidéos précédentes, il est très décontracté. Il se permet même un trait d’humour très british. Alors qu’il parle des « médias occidentaux qui disent que... », il s’interrompt, tourne la tête à droite puis à gauche, et balance d’un ton sarcastique : « je ne vois aucun journaliste d’ailleurs ». A ce stade, il est certainement très difficile de savoir si John Cantlie s’exprime sous la contrainte ou tente en bon acteur, de sauver sa peau, voire s’il n’est pas réellement atteint du syndrome de Stockholm, qui est caractérisé par l’empathie et la sympathie éprouvées par certains otages pour leurs ravisseurs.

Sur le fond, Daech utilise la raison et la logique pour convaincre les populations occidentales. Fini la communication des ténèbres des premiers temps. John Cantlie cite par exemple plusieurs médias occidentaux (BBC, Independent) -il trouve un malin plaisir à rappeler qu’ils sont absents du terrain- et des responsables américains (John Kerry, le secrétaire d’Etat ou Tony Blinken, un conseiller pour la sécurité nationale de Barack Obama), pour démontrer que les affirmations des dirigeants et des journalistes occidentaux sont déconnectées de la réalité. « L’Etat islamique » ne bat pas en retraite, bien au contraire, « la bataille est pratiquement terminée (...) l’ambiance est calme (...) les moudjahidines passent la ville au peigne fin, rue après rue, immeuble après immeuble, d’où les tirs sporadiques qu’on entend ». A aucun moment de ce court-métrage, la guerre n’est présentée comme ayant une dimension religieuse ou ethnique. Par ailleurs, John Cantlie ne s’étend pas beaucoup sur les frappes américaines et arabes, si ce n’est pour prétendre que celles-ci ont tout simplement contraint les moudjahidines à laisser de côté les chars et à privilégier les armes légères pour faciliter la mobilité des hommes dans la ville. Il tente même de titiller les Occidentaux là où ça pourrait les agacer : « les frappes ont coûté un demi-milliard de dollars jusqu’à présent ». Laissant sous-entendre, qu’on n’est au début et que cette guerre coutera in fine des fortunes aux contribuables occidentaux. Il ne se gêne pas pour ironiser le parachutage des armes américaines aux Kurdes. « Les moudjahidines renforcent leurs positions avec les armes et les munitions larguées par les désespérantes forces aériennes américaines, qui sont tombées directement entre leurs mains ».

Il est clair que Daech n’est pas constituée uniquement d’abrutis moyenâgeux de Mésopotamie, du Cham et du Qalamoune. J’ai dit « uniquement », donc il y en a, mais pas que ça. L’organisation attire -ou fait appel, qu’importe- des gens qui réfléchissent, établissent un plan de communication et maitrisent un ensemble de moyens technologiques modernes, nécessaires pour communiquer. D’accord, mais il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Il n’empêche que le dernier reportage, tourné en haute définition svp, est « pro » à tous les niveaux. Pour le réaliser, « l’Etat islamique » a eu recours, comme il l’indique sur l’écran, à un « drone de l’armée de l’Etat islamique ». Ok, là aussi, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. La République islamique d’Iran et le Hezbollah usent et abusent de toutes sortes de subterfuges, drones compris, pour combler leur retard technologique et faire croire que l’obscurantisme religieux ne les a pas relégué dans la préhistoire, ils peuvent se mesurer aux grandes puissances militaires locorégionales, et affronter la coalition arabo-occidentale dans le cas des djihadistes.

En visionnant cette vidéo à plusieurs reprises, j’ai compris qu’il est parfois plus intéressant, et moins coûteux, de donner l’impression d’être fort que de l’être réellement, surtout si on n’a aucune chance de le devenir. Il n’est pas difficile d’imaginer l’abattement des djihadistes en Syrie devant la puissance de feu des avions de chasse américains, français, émiratis et saoudiens, et leur totale impuissance face aux missiles téléguidés de la coalition. Pour compenser cette double frustration militaire, ils se sont alors jetés corps et âme dans la bataille de Kobané. Mais comme je l’ai dit dans un article sur la 4e guerre du Golfe, la terreur, qui a conduit l’armée irakienne à leur offrir Mossoul sur un plateau en argent, fonctionne à double sens. Actuellement, c’est bel et bien la coalition anti-daech qui soulève un vent de panique dans les rangs des djihadistes. Il était donc urgent pour ces derniers de démontrer qu’ils ne le sont pas. D’où la raison d’être de cette vidéo qui s’adresse donc aux moudjahidines de Syrie et d’Irak. Il existait une nécessité impérieuse de remonter le moral des troupes de « l’Etat islamique ». On sait que la propagande fait partie de la communication en temps de guerre. La technologie numérique est ici utilisée d’une manière très intelligente par Daech pour compenser la faiblesse technologique de l’organisation terroriste sur le plan militaire.

Mais ce n’est pas tout. La vidéo du 27 octobre s’adresse aussi aux populations sunnites d’Orient comme d’Occident, dans le but d’impressionner la jeune génération de « l’Etat islamique » d’Irak et du Levant, mais aussi, de « l’étranger ». Quand l’usurpateur du califat et de l’islam, Abou Bakr el-Baghdadi, « calife Ibrahim », appelle les musulmans du monde à rejoindre les rangs des djihadistes, il sait très bien qu’il ne s’adresse pas Hajj Moustafa et à Oum Kolsoum, de Tunis, Paris, Beyrouth ou Londres, mais à leurs enfants. Cette vidéo est faite pour donner une illusion de puissance et faire croire que « l’Etat islamique » se bat à égalité contre la coalition occidentale et arabe. Personne n’est dupe. Daech sait très bien qu’il ne peut pas l’emporter sur le plan militaire dans cette confrontation engagée depuis le mois d’août avec les forces occidentales et arabes, même si l’organisation affirme que « les Américains savent, les moudjahidines aussi, que malgré toute leur puissance aérienne, ce ne sera pas suffisant pour vaincre l’Etat islamique à Kobané ou ailleurs ». « L’Etat islamique » sait que les frappes aériennes l’affaibliront considérablement à terme, même sans troupes au sol. Il sait parfaitement que sa force est ailleurs. Il faut la mobiliser. Elle est dans sa triple capacité à amplifier les instincts identitaires religieux islamiques chez les musulmans, à réveiller les rancunes des communautés sunnites à l’encontre des communautés chiites, et surtout, à attirer la jeune génération. La vidéo vise à redorer le blason des terroristes auprès des Occidentaux de confession musulmane et tenter de recruter de nouveaux candidats djihadistes parmi eux. Le début de sa présentation qui rappelle les jeux vidéos, ne doit rien au hasard.

Est-ce un tournant dans la stratégie de communication de « l’Etat islamique »? C'est en tous cas, une tentative. Tout est soigneusement étudié. La vidéo est faite pour être visionné jusqu’au bout. Elle ne fait pas appel à l’instinct des spectateurs mais à leur raison. Elle s’adresse autant aux populations occidentales qu’aux communautés sunnites et aux moudjahidines. Le triple objectif de Daech est de déstabiliser l’opinion publique occidentale, en la faisant douter, d'assurer un flux de recrutement continu de djihadistes étrangers, notamment des convertis, et de rassurer les troupes sur le terrain, dont la frustration face aux frappes aériennes est grandissante. Une phrase résume bien ce triple objectif, c’est celle de la fin : « La guerre en milieu urbain, la plus dure et la plus complexe de toutes, est la spécialité des moudjahidines ». Je vous ai dit, sur le plan de la « com’ », cette vidéo est parfaite. Hélas, triple hélas !

Une dernière chose. On dit que le diable se cache dans les détails. Et pourtant celui-là saute aux yeux dès le début. Le titre de ce reportage de propagande résume parfaitement la nouvelle stratégie de l'organisation terroriste : « Minn dakhil 3ein el islam » (Inside Ayn al-Islam, A l’intérieur de Ain al-Islam). Vous avez bien lu, ce n’est ni le nom kurde usuel de « Kobané », ni le nom arabe habituel de « Ain el-Arab ». C’est « Ain al-Islam », la « source de l’islam » ! Daech veut se placer au-delà de la division ethnique, en imposant « l’islam » comme l'élément fédérateur. Encore une fois, sur le plan de la « com’ », c’est excellent. Alors, gare à ceux qui sous-estiment leurs adversaires. Il faut donc tenir compte de ce changement tactique de communication. Il y va de l’intérêt des pays arabes et occidentaux, ainsi que du succès de la coalition arabo-occidentale qui est actuellement engagée pour « affaiblir et détruire l’Etat islamique ».