mardi 27 mai 2014

Les Fantômas du machin qu’on appelle l’Europe ! Réflexions sur les élections européennes (Art.231)


Toute crise aussi grave soit-elle cache en réalité une grande opportunité. L’opportunité de reconnaître ses erreurs et d’ajuster la trajectoire, de réformer et de rebondir. Oui mais, à condition de tirer les bonnes leçons. 

1. Historique ou pas, l’abstention était de 57 % aux élections européennes en France. En un mot, les Français s’en foutaient franchement de ces élections et indirectement, ah si !, de ce droit démocratique. On peut comprendre que des électeurs puissent être tellement déçus, au point d’hésiter d’aller voter. Mais, je fais partie de ceux qui ne peuvent pas approuver ce passage à l’acte. Des Français sont morts afin d’offrir au peuple de France la possibilité de choisir librement et périodiquement ses représentants pour peser sur la politique qui le concerne. D’autres citoyens sont morts afin de transmettre cet héritage précieux aux générations futures. Si un système quelconque n’est pas à la hauteur des espérances, il faut œuvrer pour l’améliorer et non pour le saper. En tout cas, pas de problème, qui ne choisit pas ses représentants, d’autres se chargeront de le faire à sa place. C'est la principale leçon des élections européennes, et de toute élection tout court d'ailleurs, aussi bien en France que dans le reste du monde. L’abstention, comme le vote blanc, est un acte ingrat et inutile. Il est loin d'être un choix anodin.

2. À propos, je vous propose de faire un tour d’Europe de l’abstention. C’est très instructif comme vous allez le voir. Plus de 87 % des gens n’ont pas voté en Slovaquie, 81 % en République tchèque, 79 % en Croatie et en Slovénie, 77 % en Pologne, 71 % en Hongrie et en Lettonie, 65 % au Portugal et en Roumanie, etc. Il n’y a que dans 8 pays européens sur 28 seulement, que le taux de participation dépasse celui de l’abstention : Suède, Irlande, Danemark, Grèce*, Italie, Malte, Luxembourg* et Belgique* (* vote obligatoire). Ces chiffres confirment le désintérêt massif des populations européennes pour ces élections, notamment celles des grands pays européens, et spécialement, celles des nouveaux membres. C’est la deuxième leçon des européennes 2014. Avant de râler sur les scores élevés des partis extrémistes en Europe, il faut peut-être s'inquiéter des taux lamentables de l'abstention sur le vieux continent. Avec le recul, on peut se demander si l’élargissement de l’Europe indéfiniment n’était pas une énorme erreur. Il faudrait revenir au principe des trois cercles, une Europe à trois vitesses, avec deux moteurs pour la propulser, la France et l’Allemagne. En tout cas, avec de tels pourcentages d’abstention, il convient d’envisager de remplacer les élections par un tirage au sort des députés. Idée farfelue ? Pas tant que ça. Alors que cette idée trotte dans ma tête depuis fort longtemps, quelle fut grande ma surprise et ma joie, d’apprendre que pour Montesquieu, « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie ».

3. L’année 2014 est un excellent millésime pour le Front National. Marine Le Pen a réussi en l’espace de dix ans à banaliser le vote FN et à le rendre « avouable ». Avec 25 % des voix et 24 sièges, ce score était déjà annoncé par le dernier sondage d’Ipsos, deux jours avant le scrutin. Et pourtant, cela n’a pas mobilisé les électeurs français pour autant, même pas ceux de gauche. Les résultats non plus ! On est très loin de la vive réaction populaire de 2002, quand le Premier ministre sortant, Lionel Jospin, candidat à la présidence de la République, s’est retrouvé exclu de la course par Jean-Marie Le Pen à l’issue du 1e tour. Certes, le FN réalise en 2014 un score historique, mais rapportée aux voix, le parti des Le Pen a obtenu moins qu’en 2002 justement (près de 5 millions de voix). Il faut aussi rappeler le faible score du FN aux dernières municipales de 2014 (5 %, soit près de 1 million de voix) et le score des dernières législatives de 2012 qui se situe en gros dans la moyenne habituelle de ce parti (13,5 %, soit 3,6 millions de voix). Donc, les électeurs français jugent les élections au cas par cas, il faut quand même le rappeler. C’est la troisième leçon du scrutin français.

4. Les partis de gouvernement ne séduisent plus en France. Telle est la photographie du paysage politique en ce moment. C’est la quatrième leçon électorale. Ils sont tous en baisse. Si l’UMP sauve la mise avec 21 % des voix (qui lui donnent 20 sièges), il arrive derrière le FN quand même. Avec près de 14 % (pour 13 sièges), le Parti socialiste et le PRG reçoivent une belle claque. Il n’y a pas de quoi pavoiser pour les autres partis non plus : les centristes, UDI-MoDem plafonnent à 10 % (7 sièges), les Verts, EELV, à 9 % (6 sièges) et le Front de gauche peine à décrocher 3 sièges avec 6 % des voix, la performance du FN aux européennes de 2009.

5. Cinq ans après le séisme de la crise des subprimes aux États-Unis, rien n’a changé radicalement sur le plan économique en France : la courbe du chômage ne fléchit pas et la croissance reste gelée. L’alternance politique n’a pas ramené le printemps économique tant espéré. Dans ce contexte, il faut reconnaitre que Marine Le Pen a réussi a exploité ce point merveilleusement bien. Elle a lié les années de crise à 4 lettres : UMPS, fusion du sigle de l’Union pour un Mouvement Populaire et celui du Parti Socialiste. Simple et court, on ne peut pas faire plus efficace sur le plan marketing et plus populiste sur le plan électoral. Nous voilà donc à la cinquième leçon de ces élections. 

La droite était au pouvoir de 2007 à 2012, elle n’a pas su, ou pu, qu’importe, circonscrire la crise et elle a laissé filer la dette publique de la France. La gauche est au pouvoir depuis 2012. Si François Hollande a commencé son mandat sur les chapeaux de roues -le président français était déterminé à convaincre la chancelière allemande, Angela Merkel, de revoir le projet de Traité européen élaboré à l’époque de son prédécesseur pour imposer l’intégration d’une clause sur la croissance économique dans le contrôle budgétaire- il n’a pas su garder le cap et l’allure par la suite ! S’occuper des « minorités visibles » c’est bien, mais délaisser la « classe moyenne » est fatal dans une bataille électorale. Toutes les sphères de l’État français mobilisées dans l’affaire « Léonarda », expulsée de la France mais qui revient dans l’Union européenne avec un passeport croate, c’est d’un grotesque. Occuper toute la République pendant un an par le « mariage pour tous », était inopportun en temps de crise économique. Enfin, à tort ou à raison, les électeurs de gauche, comme de droite, ont l’impression que leurs représentants les ont tout simplement oubliés

6. Le leitmotiv du Front national sur l’UMPS et l’impuissance de ces « partis de gouvernement » face à la crise socio-économique, n’expliquent pas tout. Il y a aussi autre chose. Il est navrant de constater que l’Europe est devenue au fil du temps, un autre « machin », pour s’inspirer de l’expression célèbre du général de Gaulle, « Le machin qu’on appelle l’ONU ». Certes, la comparaison est exagérée, il n’empêche que nous ne sommes pas loin, et il est temps de réformer cette Union sérieusement, pour éviter l’ankylose du corps européen. C’est la sixième leçon de ces élections.  

Une harmonisation sociale et fiscale est nécessaire. Les disparités européennes dans ces domaines sont néfastes à la construction d'une grande Europe des peuples. Une politique étrangère commune est indispensable pour peser dans le monde d'aujourd'hui, face aux États-Unis, à la Russie ou à la Chine. Remercier la baronne Ashton of Upholland pour ses bons et loyaux services, Catherine pour les intimes, qui ne parle aucune langue étrangère ce qui ne l’empêche pas d’être Haut Représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, est même une urgence vitale pour l’Europe. Elle n'est vraiment pas à la hauteur de l'Europe. Idem pour Herman Van Rompuy, le premier Président permanent du Conseil européen et Président du sommet de la zone euro, un homme compétent sans aucun doute mais qu’aucun Européen, moi compris, n’est capable de définir à quoi il sert au juste et si son poste constitue une valeur ajoutée pour l’Europe.

7. Le désintérêt des populations européennes pour ces élections est également dû en grande partie aux représentants européens de ces populations, des parlementaires qui brillent par leur absence de leurs terres électorales et de leurs lieux de travail ! C'est un comble et c’est la septième leçon de ces européennes. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Faites le test autour de vous, une infime minorité de Français est capable de citer le nom de plus de trois députés européens, la majorité n’en est pas capable d’en citer un, râleurs de tous bords compris. Idem dans les autres pays de l’Union. C’est la honte pour tous les partis politiques européens sans exception. Les 72 députés européens français de 2009 portaient tous le même surnom : Fantômas ! 

On peut parler sans exagération des « Fantômas de l’Europe » pour désigner ces députés européens. On a entendu parler vaguement de quelques noms, on subit leurs décisions impitoyables, mais on ne les voit jamais, pour les Fantômas anonymes, et on ne les entend jamais parler de l’Europe, pour les Fantômas célèbres. Comme le personnage de fiction, ils sont « maîtres de tout et de tous ». Perçus comme les « tortionnaires » des peuples européens, ils sont pourtant les « insaisissables » de l’Europe. Prenons quelques noms connus. Quand avez-vous vu la dernière fois Fantômas Jean-Marie Cavada (liste UMP en 2009, UDI-MoDem en 2014) et l’avez-vous entendu parler de l’Europe ? Et Fantômas Rachida Dati (UMP), Fantômas Michel Barnier (UMP), Fantômas Harlem Désir (PS), Fantômas Vincent Peillon (PS), Fantômas José Bové (Europe Écologie) et Fantômas Bruno Gollnisch (FN) ? Pathétique.

8. Parmi ce beau monde, il y a évidemment les Fantômas europhobes. Ils sont nombreux cette fois, 140 des 750 députés européens. Intarissables pour casser du sucre sur le dos de l’Europe, mais content du virement de fin du mois quand même. L’hypocrisie règne sur cette huitième leçon des européennes ! Alors qu’ils sont farouchement opposés à l’Europe, ils participent massivement aux élections européennes. Il faut dire que l’enveloppe mensuelle d’un député européen, tous frais compris, s’élève à plus de 33 000 €/mois, une somme qui comprend sa rémunération de base (8 000 €/mois, brut), ainsi que celle de ses assistants (21 200 €/mois) et les frais généraux (4 300 €/mois), avec remboursement des frais de voyage à Strasbourg et à Bruxelles svp ! Eh oui, être député européen, c’est le jackpot. C’est une tentation qu’on ne peut pas refuser. Et ce n’est pas tout, l’absentéisme des eurosceptiques et même des europhiles du Parlement est légendaire.

9. À propos, figurez-vous que le règlement du Parlement européen n’inflige pas de retenue de salaire aux parlementaires flemmards. C'est même le principe contraire qui prévaut et qui est accepté par tous les partis politiques européens. Il existe une prime d’assiduité svp, en plus de la rémunération de base. L'indemnité journalière de subsistance est actuellement de 304 € par jour de présence. Et ils veulent que les Européens croient en l’Europe et l'on s’étonne encore de l'indifférence des abstentionnistes ! Imaginez votre employeur, qui vous donne une prime parce que vous allez travailler, mais ne fait rien si vous n’y venez pas. Quelle aubaine.

À l’heure où les populations européennes sont frappées de plein fouet par la crise, où les dettes publiques progressent à un rythme affolant, il faudrait déjà commencer par serrer les vis et fermer les vannes, au moins pour être crédible devant les électeurs européens. Il est par exemple grand temps d’imposer ce principe d'une retenue de salaire aux parlementaires défaillants. Assister à une séance parlementaire ne devrait pas être facultatif. Un député doit être en mesure d’assurer son boulot à temps plein comme tout le monde. Et si le cumul des mandats l’en empêche, il doit être contraint de choisir. La loi devrait être plus stricte sur ce point pour que les Européens croient en l’Europe. C'est la neuvième et dernière leçon des élections européennes de 2014. En tout cas, pour la France il est urgent de le faire. Les députés européens français sont parmi les parlementaires les plus flemmards de toute l'Europe : ils classent la France à la 21e place pour l'assiduité aux séances plénières ! Pour les détails, un survol des enquêtes de VoteWatch Europe est très instructif. Accrochez votre ceinture.

Désolé, mais Rachida Dati (UMP) ne peut pas remplir pleinement ses fonctions de députée européenne en étant en plus, maire du 7e arrondissement de Paris et vice-présidente de l’UMP. La preuve : son score de participation aux votes du Parlement européen lors de la précédente législature la classe 437e sur 766 députés (2009-2014). Pour plus de 1 000 votes en séances plénières, elle n’était pas présente ! Elle ne participe qu'à 27 % des réunions de la commission des affaires économiques et monétaires. Prenons aussi les députés d’Europe écologie. Des gens sympathiques, cool & zen et peace & love, n'est-ce pas ? Franchement, qui n’a pas eu un jour envie de voter pour eux ! Eh bien, il vaut mieux réfléchir à deux reprises avant d’envoyer un de ces poulains à Bruxelles. Ils sont adeptes de l’école buissonnière. Ils ont beau mettre le continent dans leur nom de parti, leur assiduité au Parlement européen laisse beaucoup à désirer : José Bové est classé 407e, Karima Delli 410e, Michèle Rivasi 519e, et last but not least, Eva Joly herself, 693e! L’ex-juge était absente à 2 233 votes en séances plénières sur 5 ans. Il y a d’autres exemples. Vincent Peillon, député européen avant de rejoindre le gouvernement Ayrault (PS), n’a participé qu’à 77 % des votes. Jean-Luc Mélenchon, Front de gauche, ne se donne la peine de participer qu’à 71 % des votes (la grande gueule n’est classée que 669e) et ne participe jamais aux réunions de la commission des affaires étrangères. Le record français est détenu par une inconnue du bataillon, une certaine Christine Revault, du Parti socialiste, 46 % de participation. Faut pas se gêner, hein ! Et tiens, Marine Le Pen, star du scrutin de dimanche, elle boude le tiers des votes, comme le père d'ailleurs et ne participe jamais aux réunions de la commission de l'emploi et des affaires sociales. Ah, si ! Je terminerai ce tour d'horizon hexagonal, par le cas de Harlem Désir, Parti socialiste. Député européen du 20 juillet 1999 au 8 avril 2014, soit près de 15 ans d'aubaine, il a raté près de la moitié des séances plénières à la dernière législature, il n'a pris part qu'à 50,15 % des votes afin de pouvoir empocher ses indemnités de voyage (près de 4 250 €/an), ce qui n'a pas empêché François Hollande et Manuel Valls de le parachuter comme Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes après son éjection du poste de Premier secrétaire du Parti socialiste pour sa misérable performance aux municipales ! Enfin, on a là quelques exemples de tout ce qu'il y a de plus abjects pour dégouter les plus fervents défenseurs de l'Europe.