vendredi 19 décembre 2014

Les défenseurs zélés de la France dont la République française se passerait bien (1/3) La « déportation des musulmans » par l’ignoble Eric Zemmour (Art.260)


A la lecture de la presse cette semaine, il y a trois informations qui m’ont attiré l’attention. Elles sont en rapport avec la longue bataille épique engagée ces derniers jours sur mon mur Facebook contre les délires paranoïaques islamophobes de certains esprits hantés. Dans cet article, je me limiterai à la première. Elle concerne le déchainement donquichottien d’un coq de basse-cour, cette volaille de mauvais augure nommée Eric Zemmour, un défenseur zélé de la France dont la République française se passerait bien. L’affaire est révélée il y a quelques jours par le député européen Jean-Luc Mélenchon. L’histoire remonte au 30 octobre. Elle concerne ce xénophobe et islamophobe notoire, qui serait tenter par les méthodes staliniennes aux dernières nouvelles. C’est un moment d’anthologie qui vaut le détour.

Pendant que l’essayiste gémissait sur le sort de la France dans les pages du quotidien italien Corriere della Sera, il déclara sans vergogne que « Les musulmans ont leur code civil, c'est le Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés de s'en aller ». Oubliez l’ânerie de fond de cette allégation, notez bien ce détail gravissime, avec quelle aisance Eric Zemmour a déjà déchu dans sa tête dérangée, les citoyens de confession musulmane, de la nationalité française : les « Français » sont partis des banlieues à cause des « Musulmans », parce que les Musulmans des banlieues ne sont pas Français ? En tout cas, le journaliste italien ahuri par ce qu’il venait d’entendre lui posa alors la question saugrenue : « Mais, que suggérez-vous de faire ? ‘Déporter’ cinq millions de musulmans français, les mettre dans des avions pour les chasser ? ». Zemmour l’interrompt : « Ou sur des bateaux ! » (précision attestée par le journaliste dans Libération du 18 dec.). Et c’est la boite de Pandore qui s’ouvre pour le passéiste du best-seller Le Suicide français. D’habitude quand on lui posait ce genre de questions, « mais que proposez-vous ? », Eric Zemmour répondait immanquablement, « mais je ne suis pas politicien ! ». Et là pour cette question dont la formulation est dérangeante pour tout Français normalement constitué, subitement, il s’est trouvé très inspiré. Voici sa réponse, texto : « Je sais, c'est irréaliste mais l'Histoire est surprenante. Qui aurait dit en 1940 qu’un million de pieds-noirs, vingt ans plus tard, seraient partis d'Algérie pour revenir en France ? Ou bien qu'après la guerre, 5 ou 6 millions d'Allemands auraient abandonné l'Europe centrale et orientale où ils vivaient depuis des siècles ? »

Eh oui, c’est gravissime ! L’islamophobe a tenté par la suite de faire diversion en polémiquant au sujet du mot « déporter », qu’il n’aurait jamais prononcé. Et pourtant, le mot y figure noir sur blanc. Dans tous les cas, le problème n’est évidemment pas lexicologique, mais sémantique. « Déporter » désigne l'action de « déplacer une population vers un territoire lointain ou vers un pays étranger », ce dont il était question dans l'interview. Donc en gros, déporter cinq millions de Français, de confession musulmane, dont la religion ne convient pas à ce Français de confession juive, n’est pas une idée infâme en soi. Eric Zemmour ne s’offusque pas, il ne condamne pas, il ne proteste même pas. Notons qu’il a interrompu le journaliste italien pour glisser qu’une telle déportation pourrait se faire par bateau, ce qui confirme que cette idée ignoble ne l'a même pas choqué. Pire, il trouve simplement, avec la naïveté de tout intellectuel xénophobe et islamophobe, que c’est surréaliste, mais réalisable par l’Histoire. Pire encore, Eric Zemmour rajoute juste après, « Cette situation d’un peuple dans le peuple, des musulmans dans le peuple français, nous conduira au chaos et à la guerre civile. Des millions de personnes vivent ici, en France, mais ne veulent pas vivre à la française. » Et encore là, il s’autorise sans scrupules, à déchoir ses compatriotes dont la religion ne lui convient pas, de leur nationalité : c’est un « peuple dans le peuple français ». Ah oui, parce que la déportation de cinq millions de personnes est de nature à pacifier la France ? Ou voyons, ses déclarations xéno-islamophobes sont peut-être de nature à franciser la mentalité de tous ces « musulmans dans le peuple français » et  ces « millions de personnes (qui) vivent ici, en France, mais (qui) ne veulent pas vivre à la française » ? J’ai rarement lu des déclarations aussi stupides, et surtout, aussi irresponsables de la part d’un homme public en France. Et quand on lui a demandé, « Mais que signifie : vivre à la française ? », le Français dont la famille faisait partie de la communauté juive d’Algérie, récemment débarquée en France, a détaillé le cahier des charges du « bon Français ». Pour le besoin tragi-comique de ce moment d’anthologie, je morcellerai sa réponse en huit critères :

1. « Cela signifie donner à ses enfants des prénoms français », lol ! Et on fait quoi des noms comme les Zemmour ? Une minute, les Zemmour, c’est pas très français ça ? Il va falloir le franciser, et plus vite que ça ! Que fait-on des prénoms comme les Aaron, Sarah ou le fameux Salomon de Louis de Funès ? Que deviendront les Vanessa, Kevin, Maria et José ? Ah, j’ai oublié, ce sont les Karim, Nadia et Bakhos qui dérangent ! Admettons, et une fois qu’on a réglé le problème des prénoms, on fait quoi des « faciès » pas très français ? Des basanés, des crépus, des bridés ? Des têtes de bougnoules, des têtes de turcs, des têtes à claques comme la sienne par exemple ?

2. « Etre monogame », lol aussi. Toc toc toc, is there anybody out there ? Réveille-toi Zemmour ! Comme si la polygamie est répandue dans l’hexagone ou comme si elle n’était pas interdite en France. A moins, que le petit Zemmour ne veuille interdire l’adultère, ce qui ne m’étonnerait pas vu le personnage. 

3. « S’habiller à la française », lol également. Ce n’est pas un peu du talibanisme ? Et pourquoi, les musulmans s’habillent comment ? Ah, mais il pense au voile sans doute. Et on fait quoi de ceux qui arborent la kippa en toutes circonstances, comme signe ostentatoire de leur appartenance à la communauté juive française ? Il faudra peut-être commencer par balayer devant sa porte.

4. « Manger à la française », sauf pour le porc j’imagine ! Mais aussi le vin, le gigot, les poissons sans écaille, le lapin, les huitres, les moules, la langouste, le homard, les crevettes, les escargots, j’en passe et des meilleurs. «  Manger à la française » sauf qu’il faudra vérifier les méthodes d’abattage des animaux (la shehita), la cachérisation de la viande dans les préparations, l’utilisation de deux batteries de cuisine et deux vaisselles pour éviter de faire des mélanges alimentaires interdits et faire poireauter le serveur au restaurant avant de commander un dessert après avoir mangé un faux-filet ! Parce que sinon, il va falloir qu’il inclut des « Juifs » dans les cinq millions de compatriotes qui ne répondent pas à tous les critères zemmouriens de la « vie à la Française » et qu’il va falloir éloigner du territoire national. Et puisqu’on y est, on fait quoi des rayons casher des Monop ? Just asking. 

5. « Manger du fromage par exemple », lol. N’importe quoi. Pourquoi, tous les musulmans ne mangent pas de fromages peut être ? Mais, il va falloir faire une visite guidée dans le 9-3 ! Et sur ce point, qu’il commence déjà par régler le problème chez ses coreligionnaires pour donner le bon exemple.

6. « Blaguer au café », lol, j’adore la réflexion surtout venant de la part d’un type, qui, comme on dit dans nos contrées orientales, ma biyed7ak la rgriff el sokhinn, qui ne sourit même pas devant un pain chaud.

7. « Faire la cour aux filles », oh comme il est mignon Zemmour le nerd, qui veut apprendre aux musulmans de France à draguer les filles ! Tiens, puisque j’y pense, « vivre à la Française » c’est ne pas toucher au zizi du petit. Ah si, dans le pays de la fille ainée de l’Eglise, on ne circoncit pas les quéquettes.

8. « Aimer l’Histoire de France et se sentir dépositaire de cette Histoire et vouloir la continuer, je cite ici Renan ». Là j’étais tenté la moitié d’un quart de second d’être d’accord, mais vu ce qui a précédé, j’ai laissé tomber. Ce journaliste populiste du Figaro Magazine oublie que nous ne vivons pas sous un régime totalitaire maoïste et qu’on a le droit au pays de la Révolution française et de Mai 68, ne lui en déplaise doublement, de ne pas aimer certaines pages sombres de l’Histoire de France, d’éprouver une vive révulsion pour les campagnes sanguinaires mégalomaniaques de Napoléon et pour la stupidité historique de « l’Algérie française », qui ont fauché gratuitement la vie de millions de personnes en Europe et en Algérie. « La Marseillaise, même en reggae, ça m'a toujours fait dégueuler ». Tiens, c’est un « Français de souche » qui le dit. Il s’appelle Renaud. C’est dans « Où est-ce j’ai mis mon flingue ? » Et je pense, sans trop me tromper, qu’il t’emmerde mon petit Zemmour, avec 40 ans d’avance. C’était dans « L’Hexagone » en 1975. J’invite tous ceux qui ne connaissent pas cette superbe chanson, à la découvrir. Je vous préviens, Renaud est très sévère avec ces compatriotes. Mais bon, qui aime bien, châtie bien ; les zélés, ne font pas forcément de bons patriotes ; mais de bons fayots, si. On dirait que certains vers ont été spécialement écrits pour un arriviste xéno-islamophobes de la trempe d’Eric Zemmour. « Au mois de juin... Ils oublient qu'à l'abri des bombes, Les Français criaient "Vive Pétain", Qu'ils étaient bien planqués à Londres, Qu'y'avait pas beaucoup d'Jean Moulin », n’est pas sans rappeler la réhabilitation méprisable du Maréchal collabo par le passéiste polémiste ! « En septembre... Le fascisme c'est la gangrène, À Santiago comme à Paris, Et le roi des cons, sur son trône, Il est Français, ça j'en suis sûr » et voilà « (qu’)en octobre... Ils exportent le sang de la terre, Un peu partout à l'étranger, Leur pinard et leur camembert, C'est leur seule gloire à ces tarés ». Quelle merveilleuse chanson de circonstance ! Désolé mon petit Zemmour, on ne pourra pas le déporter celui-là, il est « Français de souche » et répond au cahier des charges, bien plus que toi.

Il est sans doute difficile de savoir d’où viennent les phobies d’Eric Zemmour en général et cette aigreur tous azimuts qui suinte de sa bouche en particulier. Il faut reconnaitre que sa psychanalyse serait passionnante. Pêle-mêle, voilà ce que j’ai trouvé d’intéressants : des parents modestes (père ambulancier, mère au foyer ; disons, il a été élevé à la dure, content sans doute de prendre sa revanche sur la société), originaire de la communauté juive-pieds-noirs (Français seulement depuis le 19e siècle, chassés d'Algérie ; encore une revanche à prendre !), il se prénomme « Moïse » à la synagogue (no comment), il reconnait lui-même qu’il avait le « syndrome du premier de la classe » (ah, il y a peut-être un début d’explication ; comme on dit en anglais c’était un « nerd » ; mais il était mauvais dans cette langue), il rate l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration, à deux reprises quand même (ah, l’explication se précise ; « J'étais meurtri car on ne me reconnaissait plus comme premier de la classe. Mais, il est faux de dire que je fais payer cet échec aux élites ! », Le Point 1/4/2010 ; c’est c’là oui, cause toujours !), salaire pénard à 2 000 €/émission à l’époque de On n’est pas couché chez Laurent Ruquier, il se définit comme un « gaullo-bonapartiste » (les « massacres » de l’empereur ne semblent « guerre » le déranger !), j’en passe et des meilleures.

Oubliez le révisionnisme zemmourien qui donne une logique tordue du genre, le régime de Vichy aurait livré les Juifs de France aux nazis pour mieux protéger les Juifs français, ce n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus grave chez le bonhomme. Eric Zemmour craint la guerre civile en France. Ça, c’est grave. Il en parle dans « Le Suicide français ». Il est revenu dessus, après sa polémique sur ses déclarations ignobles à propos de la « déportation » des musulmans de France. Une chose est sure et certaine, ce n’est pas seulement qu’il la craint, il la souhaite surtout. Et il fait tout, pour qu’on y arrive. C’est cela qui est grave dans le phénomène Eric Zemmour. Qu’importe, le sujet de la polémique, il est aujourd’hui légitime de se demander, pourquoi cet homme d’extrême droite a une aussi large assise et couverture médiatiques (RTL, i>Télé, Paris Première, Figaro), malgré les propos infâmes qu’il assène depuis trop longtemps déjà ? Pour beaucoup moins que ça, des gens comme Dieudonné ont été traqué comme la bête du Gévaudan. Les dérapages savamment étudiés d’Eric Zemmour, ne sont pas sans rappeler, ceux de ce dernier. En toute logique, ils devraient conduire à des « poursuites » judiciaires, administratives et médiatiques, de même nature que celles engagées contre l’humoriste français. Faute de quoi, comment justifier ce « deux poids, deux mesures » au sein de la République française. Bientôt, certains mettront les autorités françaises en demeure de choisir entre la libération de la « parole antisémite » et le traitement de la « parole islamophobe » avec la même fermeté ! Critiquer avec décence c’est sain, propager la haine populiste c’est malsain. Tout ce qu'Eric Zemmour réussira à faire, c'est nourrir à la fois l'islamophobie et l'antisémitisme en France. Libérez la parole islamophobe, et vous obtiendrez Eric Zemmour, le prédicateur de la prochaine « guerre civile ». Pour mesurer à quel point Eric Zemmour s'est montré ignoble dans cette interview, il suffit d'imaginer un Tariq Ramadan tenir les mêmes propos, en remplaçant « musulmans » par « juifs » et « Coran » par « Torah » ! Il n'y a pas de doute, cet homme est exécrable.

Nota Bene 1
Malgré toutes les polémiques qu’il déclenche, pour relancer son magma passéiste, Le Suicide français, Eric Zemmour n’arrive pas à la cheville de Valérie Trierweiler. Ah, ça va encore réveiller la plaie de l’ENA !

Nota Bene 2
« La situation actuelle qui fait que les communautés se figent, se durcissent, se séparent sur le territoire de la France, est une situation dramatique qui va conduire à la "libanisation" de la France, avec une guerre civile en perspective entre des communautés qui n'ont plus rien à se dire et qui vont s'affronter parce qu'elles n'auront plus les mêmes valeurs et les mêmes intérêts » (RTL 18 dec. 2014). C'est c'là oui ! Parce que tes déclarations ignobles sont de nature à rapprocher les communautés françaises peut-être ? Foutaises. Bakhos Baalbaki, résident européen, originaire du Liban, où est née la "libanisation", a reçu l’amour de la France dans le lait maternel. Il est de culture arabe, chrétienne, catholique et maronite, soit dit au passage. Il sait d’après la tragédie qui déchire son pays depuis près de 40 ans, qu'au sein d'une République française qui évolue dans le sillage des zélés nationalistes des Eric Zemmour et ses apparentés, identitaires et religieux, islamophobes et christianophobes, antisémites aussi, on ne trouvera que rance, confrontation, et un jour peut-être, la guerre civile.


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dimanche 14 décembre 2014

Peut-on tuer les prisonniers de guerre d’après « l'islam du Coran »? Non! Mais d’après « l’islam de certains chrétiens », si! (Art.259)


Tout a commencé par un statut. Je faisais référence à l'assassinat odieux d'Ali Bazzal. Je pensais aussi à James Foley et à d'autres otages, tués par Daech - Etat islamique, Jabhat al-Nosra, le Hezbollah ou la tyrannie des Assad, père et fils. Je disais qu’il était temps qu’une cellule spécialisée libanaise traque plus efficacement ces terroristes sur les réseaux sociaux. « Il faut ramener cette racaille de psychopathes là où ils devraient être et restés : à l’âge de pierre ! Non seulement tuer des détenus est une violation grave de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, mais les ignares devraient savoir qu’il est strictement interdit dans l’islam de tuer les captifs. » Ma dernière affirmation a dérangé. Je m’en doutais un peu. « Leur prophète (Mahomet) leur a largement montré l'exemple », me dit une amie sur Facebook. Le ton était donné. Après un commentaire délirant de sa part, « ce qui est sûr, c'est que dans le Nouveau Testament on parle d'aimer ou d'amour environ 700 fois et nulle part dans le Coran », et de faits historiques tronqués avancés par une autre amie, « Mahomet a donc fait égorger les mâles, en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws », j’ai décidé de rédiger cet article et mettre quelques points sur les i.

Y-a-il des passages violents dans le Coran des musulmans ? La réponse est oui. Comme il y en a d’ailleurs dans la Bible des Juifs et des Chrétiens aussi. Je vais déranger, mais j’assume. Puisque nous manquons de temps, vous et moi, je me limiterai au sujet des « prisonniers de guerre », l’étincelle qui a enflammé les esprits, un terme qu’on retrouve dans l’argumentation de Jabhat al-Nosra pour justifier l’exécution infâme des militaires libanais, que l’organisation terroriste détient, soi-disant selon les préceptes islamiques.  

Dans la sourate 8, al-Anfal (Le Butin), le verset 70 donne le tempo à ce sujet : « Ô Prophète, dis aux captifs qui sont entre vos mains : "Si Dieu sait qu’il y a du bien dans vos cœurs, il vous accordera de meilleures choses que celles qui vous ont été enlevées. Il vous pardonnera car Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux." » Dans la sourate 47, Muhammad, les choses se précisent au verset 4 : « Si vous rencontrez les impies (au combat), frappez-les au cou jusqu’à les terrasser. Liez-les alors fortement. Ultérieurement, libérez-les gracieusement ou contre une rançon, afin que la guerre dépose ses fardeaux. Parce que si Dieu l’avait voulu, il se serait débarrassé d’eux lui-même, mais il a voulu vous éprouver les uns par les autres. » Ainsi, Allah via Mahomet, si on se place du point de vue d’un musulman, dit donc clairement d’une part, qu’on ne peut pas faire de prisonniers sans livrer bataille (peut-être sanglante, mais il faut livrer bataille quand même), et d’autre part, on ne peut pas tuer les prisonniers de guerre, qui doivent être libérés gracieusement ou contre une rançon. C'est d'une clarté éblouissante. Par conséquent, Jabhat al-Nosra et Daech, ont clairement violé les préceptes coraniques dans ce domaine, en exécutant quatre otages libanais et quatre otages occidentaux, sans parler de toutes leurs actions criminelles qu’elles ont menées en Irak et en Syrie. Que ça soit pour la bonne cause -mettre fin à la tyrannie des Assad- n’y change rien, cela va sans dire.

« Oui mais, il ne faut pas oublier le massacre des Banu Qurayza », m’avertirent mes deux amies séparément. Qui ça ? « La tribu dont Mahomet a fait égorger tous les membres mâles, dès lors qu'ils avaient les poils de la puberté... c’était la tribu juive de Yathrib des Banu Quraydah... en prenant soin de les faire égorger par leurs anciens alliés arabes de la tribu des Aws ». Incroyable comme l’histoire ancienne ressemble aux chiffres, non seulement on peut la trafiquer elle aussi, mais on peut également lui faire dire ce que l’on veut, ce qui était le cas dans ce débat. Désolé, mais je vais devoir vous conter l’histoire des Banu Qurayza, la tribu des fils de Qurayza. Rassurez-vous, c’est passionnant. Nous sommes en 627. Mahomet et des fidèles originaires de La Mecque sont réfugiés depuis cinq ans à Yathrib, rebaptisée Médine. La ville est alors attaquée par la tribu mecquoise arabe des Quraych, celle de Mahomet, qui veut en finir avec les « musulmans » et leur chef. On dit que la tribu juive des Banu Nadir, celle qui a été expulsée de Médine peu de temps avant, à la suite d’une tentative d’assassinat visant Mahomet, faisait partie du complot. 10 000 hommes pour les assaillants, dirigés par Abu Sufuyan, contre 3 000 pour les défenseurs, dirigés par Mahomet lui-même. Ce dernier tenta de conclure un accord de paix, afin d’éviter un bain de sang, en vain. Celui-ci n’aura pas lieu d’ailleurs. Mahomet a eu l’idée de génie de faire creuser un fossé tout autour de la ville, là où il n’y avait pas de remparts. « S'il n'y avait eu ce fossé auquel ils s'accrochaient ; Nous les aurions exterminés tous ; Mais il était là devant eux, et eux ; Ayant peur de nous, y trouvaient refuge. » A en croire l’historien français Maxime Rodinson, à part quelques escarmouches, les deux ennemis échangèrent pendant trois semaines « des injures en proses et en vers (comme la citation précédente), ainsi que des flèches lancées à une distance rassurante ». En effet, les batailles sanglantes de l’antiquité n’étaient pas dans les mœurs et les pratiques arabes. Tout devait être fait pour les éviter. Un traité conclu auparavant entre les tribus arabes et juives de la région, obligeait toutes les parties à défendre la ville en cas d’attaque. On raconte qu’Abu Sufuyan s’était mis d’accord secrètement avec la tribu juive des Banu Qurayza, pourtant chargée de garder les remparts de la ville. Violant le traité tribal, cette dernière devait laisser rentrer « les ennemis », les Qoraychites. Cependant, une tempête, le froid et le manque de vivres finissent par les disséminer, les obligeant à lever le siège et à rentrer à La Mecque. En tout et pour tout, on dénombra seulement huit morts. Ah si !

Quelques heures après cette victoire, Mahomet et ses troupes assiégèrent la « tribu traitre » sur ordre de l’ange Gabriel, nous dit-on dans une certaine source. Après plusieurs semaines de siège, les Banu Qurayza acceptèrent l’arbitrage de leur allié, Saad ibn Muaaz, le chef de la tribu arabe préislamique des Banu Aws, qui est en même temps, le premier des Ansars, les compagnons de Mahomet. Blessé durant la guerre, et après s’être assuré que les deux parties, les musulmans et les juifs, acceptent son arbitrage, il décréta « que les hommes (de Banu Qurayza) soient tués, que leur biens soient répartis entre les musulmans et que les femmes et les enfants soient bannis ». On raconte que 600 à 900 personnes y périrent égorger. Certaines sources affirment même que seuls deux hommes, Ali ibn Abi Talib, le cousin et le gendre de Mahomet, le futur calife, et Zoubaïr, qui auraient été chargés de cette sale besogne, ce qui est invraisemblable. Indépendamment de la véracité de tous les détails de ces événements, le chiffre semble relever de la mythologie, exagéré dans le but d’impressionner les populations de l’époque.

Il n’y a rien sur la tragédie des Banu Qurayza dans le Coran, à part deux vagues versets (33, 26-27). Tous les récits, réels ou fantaisistes des événements, ont trois origines

D’abord, Sirat rasul Allah, la Biographie de l’Envoyé de Dieu, d’Ibn Ishaq. C’est « l’Evangile des musulmans », selon l’historien tunisien, Hichem Djaït. Le hic est que cet historien arabe est mort en l’an de grâce 768, soit 141 ans après les faits. Non seulement sa version a disparue (comme tous ses livres d’ailleurs), mais tous les faits lui ont été rapportés par son père et son grand-père, un esclave affranchi. Son travail est reconnu, mais critiqué aussi, pour l’exagération et la déformation de certains récits de bataille, faites pour des intérêts religieux et politiques. Certains l’accusent même d’être chiite, soit dit au passage. 

Ensuite, Sirat rasul Allah Muhammad ben Abdallah, La biographie de Mahomet le Messager de Dieu, d’Ibn Hicham. Ce généalogiste et grammairien arabe (qui a étudié les hadiths à Koufa, n’est donc pas historien), est mort, en l’an de grâce 833, soit 206 ans après les faits. Le bémol de sa biographie, c’est que non seulement elle est basée sur celle d’Ibn Ishaq, dont on n’a gardé aucune trace, mais il est parfaitement admis qu’il s’agit d’une version remaniée svp, encore pour des intérêts religieux et politiques. L’islamologue tunisien prévient dans son livre La vie de Muhammad, « Ibn Ishaq (via Ibn Hicham) nous fournit parfois une matière précieuse... Face à ce matériau, il incombe à l’historien d’extraire les informations précises et pertinentes du magma légendaire et fabuleux ». Eh oui ! Une tâche difficile sans doute.

Enfin, Tarikh al-rusul wal moulouk, de Tabari, qui relate l’histoire du monde et des musulmans, dont celle de Mahomet. Mais là aussi, cet historien perse reconnu, exégète du Coran, est mort en l’an de grâce 923. Il n’a écrit ses Chroniques que quelques années seulement avant sa mort, soit près de 300 ans après les faits. Non seulement l’auteur a fait des choix personnels, mais plus grave encore, la version répandue, en Orient comme en Occident, se base sur une traduction perse de la version arabe d’origine, perdue en partie et dont il ne subsiste que quelques fragments. Et là aussi, on sait que la version secondaire perse du vizir Bal’ami, sur laquelle se basent les versions disponibles aujourd’hui, a été radicalement modifiée par son traducteur perse pour des intérêts religieux et politiques (chiites). 

Enfin bref, on voit bien qu’on est loin du récit simplifié rapporté avec beaucoup de certitudes par certains, dont mes amies, qui néglige la grande marge d’erreurs qui entourent ce genre de récits historiques lointains, qui contient des inexactitudes flagrantes même en se référant aux rares sources disponibles et qui zappent certains détails importants, le tout pouvant être fait involontairement, par méconnaissance, ou pire, volontairement, dans un intérêt religieux et politique évident, nourrir l’islamophobie d’aujourd’hui, 1400 ans après les faits originels.

Parenthèse historique refermée, revenons à la trame de l’article : peut-on tuer des prisonniers de guerre dans l’islam ? Il me semble que dans ce domaine beaucoup de ceux qui s’y aventurent pour y répondre, confondent deux choses : le Coran et l’histoire. Dans le texte du Coran, et sans l’ombre d’un doute, comme je l’ai dit précédemment, je persiste et je signe, la réponse est « NON », n’en déplaise à ces islamophobes sans frontières qui aimeraient que ça soit le contraire. Pour l’histoire, tout est à prendre avec beaucoup de précautions. Du point de vue strictement historique, il existe peu de sources fiables autour de Mahomet. Ce point ne fait pas débat. On a d’ailleurs le même genre de problème pour écrire les biographies de Jésus de Nazareth, de Cléopâtre, d’Alexandre le Grand ou de Moïse. Comme le résume si bien Alfred-Louis de Prémare, ce spécialiste français et arabophone de l’islam : « toute biographie du prophète de l'islam n'a de valeur que celle d'un roman que l'on espère historique ». Pour les événements ponctuels, on est parfois plus gâté. Mais, on sait aussi d’une manière générale que l’historicité des événements lointains est sujette à caution. Pour l’historien Hichem Djaït, « la pente naturelle de la Sira (la biographie de Mahomet) et du patrimoine islamique post-coranique visaient à construire cette part de légende, dans le but de concurrencer les autres croyances et d’enraciner l’islam chez le vulgum pecus, précisément à l’heure de l’expansion islamique ». Dans le cas des Banu Qurayza, on voit bien les limites des récits rapportés par Ibn Ishaq, Ibn Hicham et Tabari, sur ces événements qui se sont déroulés il y a près de 1400 ans, dans un contexte de guerre, de conquête et de traitrise, à l’aube d’une grande aventure religieuse et humaine qui marquera l’histoire, et qui s’inscrivent d’une part, dans le contexte d’une époque, et d’autre part, dans la tradition biblique. Hélas, ceux qui n’ont pas une bonne opinion de l’islam, négligent l’une et l’autre. J’avais l’intention au départ de développer les deux aspects. Mais vu la longueur de l’article, et comme c’est déjà l’heure du déjeuner dominical, wa 3enda el bouttoun tadi3ou el 3oukoul, je n’ai abordé que le premier volet, laissant la tâche de traiter le second à une date ultérieure.

Venons-en au mot de la fin, à la morale de l’histoire. Certes, il est nécessaire que les communautés musulmanes effectuent une relecture dépassionnée du Coran et distanciée des « biographies » de Mahomet, mais il est impératif que les communautés chrétiennes, juives et athées fassent de même ! Une relecture dépassionnée et distanciée du Coran et des biographies de Mahomet, bien entendu au cas où je n'ai pas été bien compris. Nous aurons indiscutablement moins d’islamisme chez les uns et surtout, moins d’islamophobie chez les autres. Et le monde entier se portera mieux.

Nota Bene : Le débat intégral sur mon mur Facebook