mardi 3 mars 2015

De Babylone à Berlin, en passant par Beyrouth, Bagdad, Mossoul, Baalbek, Raqqa, Damas, Jérusalem, Samarcande, Téhéran, Gizeh et Médine, il n’y a qu’une certitude : la racaille disparaitra, les civilisations resteront (Art.275)


Tout passionné par l’histoire, l’archéologie et l’Orient sait qu’il faut aller un jour à Berlin. Sur l’île aux Musées se trouve un lieu exceptionnel, le Pergamonmuseum. Ce joyau dans son genre qui contient des édifices grecs impressionnants, dont le Grand autel de Pergame et la façade du marché de Milet (les deux sites se situent actuellement en Turquie), abrite dans son département réservé au Proche-Orient, outre des corniches et des colonnades qui proviennent du temple de Jupiter de la mythique ville d'Héliopolis (Baalbek, Liban), une des plus admirables créations humaines jamais réalisées, la Porte d’Ishtar. C'est un véritable chef-d’œuvre qui sort de la mythique Babylone, une ville antique qui se trouve de nos jours à une centaine de kilomètres au sud de Bagdad. L'énorme portail faisait partie d’un ensemble de murailles construites par Nabuchodonosor II vers 580 avant JC, qui entouraient la ville et bordaient une Voie processionnelle de plusieurs centaines de mètres de longueur et une vingtaine de largeur dont une partie était réservée aux premiers trottoirs de l'Humanité. Comme le montrent les photos du début et de la fin de l'article, ces magnifiques murailles étaient revêtues de briques émaillées de divers coloris, dominées par un bleu envoutant, ornées de centaines de lions, de taureaux et de dragons-serpents. Les vantaux de ces merveilles, qui comportaient huit portes au total, disparues depuis, étaient fabriqués à partir de Cèdres du Liban. Je vous laisse imaginer la beauté des lieux ! L’entrée royale de Babylone était donc dédiée à la « déesse Ishtar ». Rien que l’évocation de son nom donnera les pires cauchemars à cette racaille dont les mains ont osé souiller de leurs incultures d’autres chefs-d’œuvre antiques de pratiquement la même époque. Elle était la déesse de l’amour et de la guerre, trois attributs susceptibles de déclencher une triple frustration capable de dévorer leurs esprits archaïques.

C’est par la porte d’Ishtar que le roi Nabuchodonosor II est probablement passé après la conquête du Proche-Orient, et la chute de Tyr en l’an 573 avant JC, après 13 ans du siège de la ville, où les Phéniciens se sont montrés d’un héroïsme sans égal. Pour souligner son intérêt pour la richesse forestière du Liban et la difficulté qu'il a eue à conquérir la Méditerranée orientale, le roi babylonien laissa sur quatre sites au Liban, des inscriptions et des reliefs sculptés sur des parois rocheuses, dont ceux de Nahr el-Kalb (sur la rive droite du fleuve, au pied du pont) et surtout ceux de la région de Hermel, assez bien conservés, où l'on retrouve les uniques représentations de ce bâtisseur charismatique qui nous soient parvenues, l'une combattant un lion, l'autre abattant un cèdre, l'inscription relatait la construction d'une voie d'acheminement des cèdres du Liban vers Babylone.

Le saccage du musée de Mossoul comme on l’a vu sur la vidéo « Destruction des œuvres condamnables et exhortation au bien » diffusée le 26 février 2015 par les terroristes d’Abou-Bakr el-Baghdadi, est odieux. Détruire des œuvres artistiques qui ont traversé des millénaires et des siècles de guerres et d’invasions, est d’une stupidité inqualifiable. Les pertes sont inestimables. Elles concernent des sculptures datant de la période romaine provenant de la ville arabe préislamique de Hatra (100 km au SO de Mossoul; le site archéologique aurait été rasé par Daech le 7 mars 2015) et des pièces de l’époque assyrienne provenant de la ville de Ninive (faubourgs du NE de Mossoul).

Qui coupe les têtes des hommes ne va évidemment pas avoir des états d’âme pour décapiter des statues antiques ou démolir un sanctuaire, même islamique ! Daech n’est ni à son première coup ni à son dernier, ni même au plus spectaculaire ou au plus ignoble. Depuis l’été dernier, après leur sinistre entrée à Mossoul, nous assistons à un nettoyage systématique de l’héritage archéologique, culturel et religieux de l’Irak et de la Syrie dans ces territoires contrôlés par la racaille djihadiste du soi-disant « Etat islamique ». Les psychopathes ont recours aux masses, marteaux-piqueurs, bulldozers, explosives et bombardements. Voici une liste des crimes culturels commis par Daech. Elle est hélas, loin d’être exhaustive :  

- La destruction du sanctuaire de Nabi Younès, situé à Ninive dans la banlieue de Mossoul. Le prophète Jonas, comme d’autres prophètes, est vénéré à la fois par les chrétiens, les juifs et les musulmans sunnites et chiites. Contrairement à d’autres prophètes reconnus par l’islam, il est mentionné explicitement dans le Coran. La 10e sourate porte même son nom. Le prophète de l’islam, Mahomet, en a parlé directement, en prévenant ses disciples, « Ne dites pas que je suis meilleur que Younès ibn Matta ». Sachez aussi que c’est sur ce site qu’on a découvert en 1852, une inscription datant du 7e siècle avant JC où Sennachérib, le roi d’Assyrie, donne de moult détails sur la construction de son nouveau palais à Ninive et où l’on apprend que la toiture de ce dernier était composée de Cèdres du Liban.

- La démolition du sanctuaire de Nabi Jérjis à Mossoul. On dit que le prophète Georges était un fidèle des disciples de Jésus, le fils de Dieu pour les chrétiens, un prophète pour les musulmans, qui serait venu prêcher dans la ville de Mossoul, la parole du Dieu monothéiste, de Jésus et d’Elie. Jérjis sera torturé à plusieurs reprises par le roi de la ville, puis jeté dans la fosse au lion. La légende dit aussi qu’il fut coupé en deux, ce qui ne l’a pas empêché de ressusciter par la suite, et d’accomplir beaucoup de miracles, avant de mourir découpé en morceaux. Bien que son histoire ressemble étrangement à celle des « premiers martyrs chrétiens », le prophète Zarzis  sera vénéré par les musulmans, une vénération attestée depuis au moins le 12e siècle. Une mosquée sera édifiée autour de sa tombe. Le sanctuaire du prophète Georges fut même restauré en 1392 par Tamerlan, l’empereur turco-mongol qui a pourtant exterminé 5 % de la population mondiale de son époque. Et dire que cet édifice a finalement été détruit par la bande de racaille de Daech 600 ans plus tard ! 

- La dévastation du sanctuaire de Nabi Sheet à Mossoul. Le prophète Seth est le 3e fils d’Adam et Eve. Il est le frère d’Abel, qui n’a pas eu de descendances, et de Caïn, dont la descendance a été exterminée par le déluge. De ce fait, Nabi Sheet est donc à l’origine de l’humanité à en croire ceux qui le vénèrent, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Les Libanais pensent même que cet illustre ancêtre est enterré sur leur terre dans un village de la Bekaa qui porte aujourd’hui son nom.

- Le dynamitage de la tombe de Nabi Daniel à Mossoul. Selon la légende biblique le prophète aurait vécu à Babylone. Le livre de la Bible qui porte son nom, décrit des événements ayant eu lieu en Mésopotamie sous le règne du roi Nabuchodonosor II, le commanditaire de la porte d'Ishtar. Comme beaucoup de prophètes, Daniel dispose de plusieurs lieux éternels, dont celui de Mossoul. Pour la petite histoire, sachez que Tamerlan, ce redoutable chef de guerre musulman du Moyen-Age, dont la puissance militaire se basait aussi sur la terreur que ses troupes faisaient régner sur les territoires conquis (ce qui ne l’empêchait pas de se montrer un protecteur des arts, faisant de Samarcande, l’une des plus prestigieuses villes du monde, classée aujourd'hui au patrimoine mondial de l'Unesco) a ramené la relique du prophète, de Suse (Perse) à Samarcande (Ouzbékistan). On l’avait mise dans un cercueil qui fait plusieurs mètres car on raconte que le corps de ce prophète vénéré dans le judaïsme et le christianisme, respecté dans l’islam, mais méprisé par les usurpateurs de l’islam, continue de croitre, même après sa mort.

- La mise à sac de plus de 25 mosquées sunnites, j’ai bien mis 25 et sunnites, dont la mosquée omeyyade de Mossoul, qui est considérée parmi les plus anciennes du monde, puisque la version primitive daterait de l’an 637. Daech prétend que ces lieux abritaient des tombes et qu’il ne serait pas autorisé de prier dedans. Parmi les édifices sunnites détruits, figure aussi Masjid Al-Arba3inn, la mosquée dite de la Quarantaine, un des plus anciens sanctuaires islamique d’Irak où sont enterrés 40 compagnons de Mahomet, morts lors de la conquête de l’Irak en l’an 638, par Omar ibn al-Khattaâb, le 2e calife.

- Le pillage des édifices chrétiens de Mossoul, dont le couvent du Sacré-Cœur dans les quartiers nord de la ville, qui était occupé par les sœurs chaldéennes avant le nettoyage de la région de toute présence chrétienne. Parmi les édifices chrétiens perdus à jamais, figure une église assyrienne du 7e siècle, l’Eglise Saint Ahoadamah à Tikrit.

- Le saccage des sanctuaires et des mosquées chiites dans les régions de Raqqa et de Mossoul. Parmi les pertes du patrimoine chiite, figure le mausolée de Samarra qui est dédié à l’imam Mohammad al-Doury, un descendant de l’imam Ali Ibn Abi Taleb, le 4e calife de Mahomet. Ce sanctuaire abritait le 1er témoignage irakien d’un dôme « moqarnas », en nid d’abeilles, construit vers l’an 1085.

Si je me suis donné la peine de citer tous ces exemples et de fournir quelques éléments historiques et religieux, c’est pour permettre à tout un chacun de mesurer l’ampleur des dégâts causés par Daech et l’état de démence qui frappe les djihadistes de « l’Etat islamique ». Sachez par ailleurs que ces actes abominables et ces mises en scène infâmes, n’empêchent pas les psychopathes islamistes d’organiser en parallèle et en coulisse, un trafic des œuvres d’art antiques de petites tailles, via la Turquie et le Liban, pour financer « l’effort de guerre » comme on dit. Ce phénomène prend de l’ampleur surtout après les frappes arabo-occidentales qui ont touché certaines installations pétrolières sous contrôle de « l’Etat islamique ».

Par ces pratiques fascistes, les djihadistes cherchent à dominer les sociétés irakienne et syrienne, en effaçant leur passé, et se montrent cohérents avec leur vision idéologique islamiste étriquée qui condamne les représentations humaines et animales, surtout si elles faisaient l’objet d’un culte, comme c’était le cas des pièces assyriennes du musée de Mossoul, et d’un pèlerinage quelle qu’en soit sa forme, comme c’était le cas des sanctuaires des prophètes Younès, Jirjis, Sheet et Daniel à Mossoul. C’est d’ailleurs la raison invoquée par le psychopathe en chef de la horde de dégénérés qui a saccagé le musée de Mossoul. « L’idolâtrie » est un blasphème trop grave dans l’islam authentique, n’en parlons dans l’islam extrémiste. Tout le monde se souvient des talibans s’acharnant sur les bouddhas géants de Bâmiyân en Afghanistan (2001) et des ansars el-dine détruisant les mausolées de Tombouctou, la « cité des 333 saints » au Mali (2012).

Pour mesurer la gravité de ce problème, il faut savoir qu’il y a un débat en Arabie saoudite, toujours pas tranché, sur le devenir même du Masjid al-Nabaoui à Médine, engagé dans le cadre de l’éternelle extension du sanctuaire. Cette sainte mosquée abrite la tombe de Mahomet sous le Dôme vert. Bien qu’elle soit la deuxième mosquée la plus ancienne de l’histoire islamique, dont la construction a démarré du vivant du prophète de l’islam, où reposent à côté de Mahomet, les premiers califes et commandeurs des croyants, Abou Bakr et Omar, et où l’on a réservé un emplacement pour le retour de Jésus sur Terre (selon la croyance musulmane), une brochure du ministère saoudien des Affaires islamiques datant de 2007, et approuvé par le Grand mufti d’Arabie saoudite, affirme que « le dôme vert doit être démoli et les trois tombes aplaties ». Masjid al-Nabaoui abrite également Ryad al-Janna, reconnaissable à ses tapis verts, un lieu de quelques centaines de mètres carrés considéré par Mahomet lui-même comme faisant partie du Jardin du Paradis ! Tout aussi inquiétant, la déclaration d’Irfan al-Alawi, le directeur saoudien de la Fondation de recherche sur le patrimoine islamique, qui estime que des centaines de sites historiques du royaume ont été détruits et que de sérieuses menaces pèsent sur d’autres, dont la maison où Mahomet est né et la grotte où il a reçu les premières révélations. Ce débat oppose depuis la prise en main des lieux saints de l’islam par les wahhabites, ceux qui souhaitent détruire ces sites à cause de la soi-disant dérive idolâtre dont ils font l’objet, ainsi que la présence parfois de tombes au sein des mosquées ce qui invaliderait les prières, et ceux qui s’y opposent farouchement. Que les islamophobes ne s’emballent pas, c’est grave mais, keep cool & zen, il n’y a rien de nouveau sous le ciel biblique !

Quoi qu’on dise et n’en déplaise à ces derniers, le péché originel de cette « manie de l’idolâtrie », revient au premier prophète des trois religions monothéistes, le dénommé Moïse, l’auteur des cinq premiers livres de la Bible, la Torah des juifs, le Pentateuque des chrétiens, celui dont le nom est mentionné 80 fois dans le Nouveau Testament et 136 fois dans le Coran. « Lorsqu'il (Moïse) fut près du camp (dans le mont Sinaï), il vit le veau (d’or) et les danses. Et la colère de Moïse s'enflamma... Prenant le veau qu'ils avaient fait, il le brûla au feu, le broya jusqu'à le réduire en poudre, répandit cette poudre sur l'eau, et en fit boire aux enfants d'Israël... Et Moïse se plaça à la porte du camp, et il dit: "A moi ceux qui sont pour Yahweh!" Et tous les enfants de Lévi se rassemblèrent auprès de lui. Il leur dit: "Ainsi parle Yahweh, le Dieu d'Israël: Que chacun de vous mette son épée à son côté; passez et repassez dans le camp d'une porte à l'autre, et que chacun tue son frère, chacun son ami, chacun son parent!" Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse, et il pérît ce jour-là environ trois mille hommes du peuple... C'est ainsi que Yahweh frappa le peuple, parce qu'ils avaient fait le veau qu'Aaron avait fait. » (Exode 32) Encore un massacre à cause de l’idolâtrie, et de précieux héritages détruits par étroitesse d’esprit. Eh oui, mais encore, toujours et plus que jamais, je le dis et le répète, il faut une lecture distanciée des textes sacrés, que cela concerne le judaïsme, le christianisme ou l’islam !

Corniche du Temple de
Jupiter d'Héliopolis, Baalbek,
au Pergamonmuseum à Berlin
C’est en voyant les esprits dérangés de Daech s’acharner sur les œuvres de cette époque lointaine, que j’ai remercié la Providence d’avoir envoyé l’empereur Guillaume II en Orient en 1898 (une tournée qui a englobé la Turquie, la Palestine, le Liban et la Syrie) et d’avoir conduit Robert Koldewey en Mésopotamie à partir de 1899. Ces deux allemands passionnés d’archéologie, d’histoire et de notre si riche Orient, ont permis de mener des fouilles à Baalbek, la mythique Héliopolis qui était laissée à l'abandon depuis des siècles, et de mettre à jour les vestiges de Babylone, ensevelie par tous ces siècles de négligence.  

La porte d'Ishtar de la mythique Babylone, au Pergamonmuseum à Berlin. Cet énorme portail faisait partie d’un ensemble de murailles construites vers 580 avant JC, revêtues de briques émaillées, dominées par un bleu envoutant, ornées d'animaux. Les vantaux de la porte d'Ishtar, disparues depuis, étaient fabriqués à partir de Cèdres du Liban.
Le kaiser et son architecte ne se sont pas doutés un seul instant qu’en ramenant ces corniches de Baalbek à Berlin et ces briques émaillées de Babylone à Berlin, ils les ont protégé, d’une destruction certaine pour ces dernières, un siècle plus tard, par une horde de barbares sans foi ni loi, Daech. Ce travail a demandé beaucoup de passion et de patience : près de 30 ans pour les fouilles, le transport et le montage à partir de fragments disparates de briques, soit dit au passage. Des morceaux de la porte d’Ishtar et des animaux la Voie processionnelle se trouvent à l’abri des psychopathes dans divers musées du monde, en Turquie, en France et aux Etats-Unis. N’en déplaise aux arriérés djihadistes d’Irak et de Syrie, comme on le voit dans ce reportage sur Babylone produit par le musée du Louvre et Arte, tout irakien est submergé par l’émotion quand il se retrouve devant la porte d’Ishtar et son bestiaire au Pergamonmuseum à Berlin. Comme dit la légende babylonienne, « Ishtar est victorieuse de ses ennemis ». D’autres légendes contemporaines dans notre contrée disent la même chose. Mais, j’ai promis à la déesse de l’amour de ne pas faire la guerre dans cet article. Alors, juste une chose. On pourrait rajouter cette précision intemporelle à la légende antique : et la racaille est toujours condamnée à l’impuissance, à court terme, et à disparaitre, à long terme, sans laisser de traces et sans regret. Une des preuves de mes dires réside sans doute dans la réouverture dimanche, des portes du musée de Bagdad aux Irakiens, un peuple qui se trouve de nouveau uni autour de son patrimoine et fier de son histoire. Le Moyen-Orient était le centre du monde jadis. Il lui a donné de prestigieuses civilisations, monothéistes et polythéistes. C'est ce qui me fait croire qu'il le redeviendra un jour, sans l'ombre d'un doute.