samedi 10 octobre 2015

Société civile tunisienne vs. Société civile libanaise : prix Nobel de la paix contre prix Hirak des palabres (Art.314)


En haut, médaillon d’Alfred Nobel, pour le
prix Nobel de la paix. En bas, les traces d’une
manifestion de la société civile à Beyrouth.

Alors et pendant que la situation au Liban se détériore à vue d’œil, à cause des enfantillages, de l’amateurisme et de l’irresponsabilité d’une frange de la société libanaise -politique, médiatique et civile- le prix Nobel de la paix a été attribué hier à une Tunisie représentée par le « Quartet de dialogue national », dans l’indifférence du monde arabe et du pays du Cèdre. Et pourtant, il y a beaucoup à dire sur cet événement historique et le choix judicieux du comité Nobel.

Flash-back. Nous sommes le 25 octobre 2013. Cela fait près de trois ans, un peu moins, que le Printemps arabe, a éclos dans ce pays du Maghreb, un 17 décembre 2010. Les saisons se suivent et ne se ressemblent pas, mais les bourgeons démocratiques ne parviennent toujours pas à s’épanouir pleinement. Les bonnes conditions environnementales ne sont pas encore réunies, au grand bonheur des oiseaux de mauvais augures, ces arabophobes-tyranophiles, les T-Rex de l’évolution démocratique. Mais comme le disait si bien un siècle plus tôt le jeune et talentueux poète tunisien Abou el-Kacem al-Chebbi, grand admirateur « du génie et de l’art éternel » de Gibran Khalil Gibran, un esprit ouvert épris de liberté et de romantisme, un musulman imprégné de christianisme, mort à l’âge de 25 ans :

إذا الشعــب يومــا أراد الحيــاة فلا بـــد أن يستجيب القــدر
ولا بـــد لليــــل أن ينجلـــي ولابـــــد للقيـــــد أن ينكســـــر

Toujours est-il que les islamistes du parti Ennahda sont au pouvoir. En un temps record, ils déçoivent le peuple tunisien, leurs électeurs compris, et confirment du coup le choix du titre d’un de mes articles sur le pays du Nil, et qui s’applique sur la Tunisie aussi : « Leçon d’Egypte : la meilleure façon d’affaiblir les islamistes reste la démocratie et non la dictature. L’illusion islamiste ». Les opposants luttent à la lumière du jour. Les djihadistes s’activent dans les ténèbres. Des assassinats politiques sont commis. La Tunisie est en crise. Le pays est bloqué. Ce Printemps arabe peut basculer d’un moment à l’autre dans le chaos. Se met alors en route, un « dialogue national ». Rien à voir avec les stériles palabres dans notre contrée autour de la « table du dialogue ». Dans ce but, on réunit entre quatre murs des gens responsables qui placent l’intérêt de leur pays au-dessus de toute considération et qui ont surtout, envie de réussir.

Pour ce dialogue tunisien, on a d’un côté, les partis au pouvoir et dans l’opposition. De l’autre côté, on retrouve un « quatuor » de la société civile tunisienne, composé des travailleurs de l’Union Générale Tunisienne du Travail, des patrons de l’Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, des militants de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l'Homme, ainsi que des hommes et des femmes de droit, de l’Ordre National des Avocats. Alors qu’au Liban on palabre à n’en plus finir, entre politiciens et activistes irresponsables et amateurs, en Tunisie, la volonté de réussir est manifeste. On fixa deux objectifs précis et clairs, la formation d’un « gouvernement indépendant » et l’élaboration d’une « nouvelle Constitution ». Ces buts furent atteints en janvier 2014. Nos amateurs et irresponsables de la classe politique et de la société civile libanaises, devraient bien méditer et étudier dans les moindres détails le processus tunisien, tel que le comité Nobel l’a vu. « La transition en Tunisie montre que les institutions et les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle crucial dans la démocratisation d'un pays, et qu'un tel processus, même dans des circonstances difficiles, peut conduire à des élections libres et le transfert pacifique du pouvoir... Le Quatuor a ouvert la voie à un dialogue pacifique entre les citoyens, les partis politiques et les autorités et a aidé à trouver des solutions consensuelles à un large éventail de défis au-delà des clivages politiques et religieux ».

Comme le résume si bien l’actuel président de la Tunisie, Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounis, un parti hostile aux islamistes, « ce prix Nobel consacre le chemin que nous avons choisi, celui de trouver des solutions consensuelles ». Un avis partagé par les islamistes d’Ennahda qui ont mis en avant un extrait de la déclaration du comité Nobel, évoquant le fait que « l'exemple de la Tunisie, souligne la valeur du dialogue et le sentiment d'appartenance nationale, dans une région marquée par les conflits ». La sagesse tunisienne a permis d’écarter le spectre d’une confrontation entre islamistes et anti-islamistes, et de remettre le plus prometteur des « Printemps arabes » sur les rails de la démocratie et de la prospérité. C’est précisément cette sagesse et ce sens des responsabilités du Quatuor de dialogue national que le comité Nobel a voulu récompenser. « Le comité Nobel norvégien a décidé que le Prix Nobel de la Paix pour 2015 doit être attribué au Quatuor de dialogue national tunisien pour sa contribution décisive à la construction d'une démocratie pluraliste en Tunisie dans le sillage de la Révolution du Jasmin de 2011 », le premier bourgeon de ce Printemps arabe qui fait encore couler beaucoup d’encre et de sang. Et c’est aussi cette sagesse et ce sens des responsabilités que les djihadistes voulaient bousiller en attaquant le musée du Bardo le 18 mars 2015 et la plage de Sousse le 26 juin 2015. Il ne faut pas oublier que la Tunisie est le premier exportateur de djihadistes étrangers vers la Syrie. On les estime à près de 3 000 individus, dont 500 seraient rentrés au bercail. Le processus démocratique est donc fragile mais l’évolution est inéluctable, l’histoire ne revient pas en arrière.

Pour justifier cette haute distinction accordée à la société civile tunisienne, le comité Nobel explique : « Il (le Quatuor) a établi, un processus politique pacifique de remplacement à un moment où le pays était au bord de la guerre civile. Il était donc essentiel pour permettre à la Tunisie, en l'espace de quelques années, d'établir un système de gouvernement constitutionnel, garantissant les droits fondamentaux de toute la population, sans distinction de sexe, de conviction politique ou de croyance religieuse ». Ce prix Nobel est incontestablement une formidable récompense pour l’ensemble du peuple tunisien. « Le cours que les événements ont pris en Tunisie depuis la chute du régime autoritaire de Ben Ali en Janvier 2011 est unique et remarquable pour plusieurs raisons... il montre que les mouvements islamistes et politiques laïques peuvent travailler ensemble pour atteindre des résultats significatifs dans le meilleur intérêt du pays. » Tiens, encore un constat à méditer par les amateurs de tout poil au pays du Cèdre. C’est aussi un superbe pied de nez aux arabophobes-tyranophiles de nos contrées et d’ailleurs, fidèles à Bachar el-Assad, fans de l’Imperator-Imposteur, Vladimir Poutine. « Le Comité Nobel norvégien espère que le prix de cette année permettra de contribuer à la sauvegarde de la démocratie en Tunisie et être une inspiration pour tous ceux qui cherchent à promouvoir la paix et la démocratie au Moyen-Orient, Afrique du Nord et le reste du monde. » Amen, qu’Alfred Nobel repose en paix, il n'y a pas de plus bel hommage au Printemps arabe que ce prix Nobel de la paix.

vendredi 2 octobre 2015

Le Poutine ou l’Imposteur (Art.313)


Rencontre de Barack Obama avec Vladimir Poutine,
le 28 septembre 2015 à New York, dans le cadre
de la 70e Assemblée générale des Nations unies.
Photo Kremlin
« Le Poutine ou l’Imposteur » traitera des soubresauts de « La Grenouille russe qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf américain » dans les contrées d’Orient. A la différence des comédies de Molière et de La Fontaine, la pièce et la fable de Vladimir Poutine se classent avec les tragédies. Et pour m’épargner les jérémiades des admirateurs du Poutine, nombreux de ce côté du monde, j’appelle un ami, le Larousse, pour m’aider à définir qu’est-ce qu’un imposteur. Il semble d’après la bible des mots, que ce terme désigne en 2e sens, « une personne qui cherche à tromper les autres par l'utilisation abusive ou mensongère de principes éthiques ». Voyons voir et commençons ce récit par le commencement.

Si l’Occident n’est pas intervenu massivement en Syrie à ce jour, ce n’est pas parce qu’il n’a pas bon cœur, mais parce que le cœur n’y était pas. Nuance. L’accueil massif, généreux et bienveillant des réfugiés syriens actuellement, prouve que les Occidentaux ont bel et bien bon cœur, le problème n’est donc pas là. Si leur cœur n’y était pas pour une grande intervention en Syrie, c’est parce que les intérêts vitaux des pays occidentaux n’étaient pas menacés et le dossier syrien est bien complexe. Daech (l’Etat islamique), pas plus que le régime syrien, ne représente un risque sérieux pour l’Occident. Certains pensent que Bachar el-Assad n’est pas une menace pour les pays occidentaux. Et c’est vrai. Le « Lapin du Golan » porte bien le surnom taillé pour son père. Mais à vrai dire, n’est-ce pas valable pour Daech aussi ?

L’éloignement territorial, les mesures sécuritaires drastiques, la puissance militaire, la marge de manœuvre, les ressources financières et bien d’autres paramètres, mettent les Etats-Unis à l’abri d’une attaque sérieuse d’origine syro-irakienne. La plus grande menace djihadiste qui a frappé l’Amérique fait partie du passé. Ce fut le 11-Septembre (2001). Les chances pour que « l’Etat islamique en Irak et au Levant (Syrie) » battent ce sinistre record d’al-Qaeda, sont infinitésimales, au moins pour l'instant.

Pour l’Europe les choses sont un peu différentes. Pas d’intérêts vitaux en jeu comme pour les Etats-Unis et pas de risques majeurs. Le conflit syrien a deux conséquences directes sur le Vieux Continent. On peut les représenter par ce chassé-croisé auquel nous assistons depuis un certain temps aux larges de la Méditerranée, entre les réfugiés syriens, qui vont vers l’Europe, et les djihadistes européens, qui se rendent en Syrie. Mais les enjeux humanitaire et sécuritaire de l’un et de l’autre, ne peuvent pas être déterminants dans la politique européenne en Syrie.

En dépit du drame humain, plusieurs éléments permettent de nuancer l’influence du facteur des réfugiés syriens sur la politique de l’Union européenne en Syrie. Loin du sentimentalisme des bisounours en chair et en os, tout le monde sait que l’Europe accueillera un certain nombre de réfugiés. Qu’importe le chiffre, c’est son devoir de bastion des droits de l’homme. Nous savons aussi que l’Union européenne sera amenée ensuite, hélas, à fermer ses frontières. C’est le cas d’ailleurs, même pour l’Allemagne. On aura toutes les raisons humaines de contester cela, mais un tour au Liban, en Jordanie et en Turquie, permettra de mieux comprendre ce genre de décision au goût bien amer.

Cela dit, pour le besoin du débat, supposons que le facteur des réfugiés doit influencer la politique européenne en Syrie. Rien ne permet d’avancer qu’une intervention massive de l’Europe au Moyen-Orient, limitera l’afflux de réfugiés vers le Vieux Continent à l’avenir. D’abord, parce qu’il semble que la grande majorité des réfugiés qui débarquent en Europe, ne viennent pas fraichement de Syrie, mais résidaient dans les pays limitrophes de la Syrie et depuis un moment. Donc, ce qui pousse ces personnes à partir ce sont les conditions de vie déplorables dans les pays d’accueil en Orient et ce grand espoir d’un avenir meilleur en Occident, plutôt que les frayeurs directes de la guerre civile syrienne. Ensuite, parce que seulement 18,5 % des demandeurs d’asile dans l’Union européenne pour le 1er semestre de l’année 2015 sont des Syriens. Intervenir en Syrie ne permettra donc pas de zapper 81,5 % des demandes d’asiles concernant des migrants non-syriens (notamment Afghans ; près de 10 % en 2015). On s’attend à 800 000 demandes d’asile pour l’année 2015, rien que pour l’Allemagne. Enfin, parce qu’en dépit d’une intervention musclée politico-militaire au Kosovo et en Serbie (1999-2008), comme celle qu’on réclame pour la Syrie, 15,5 % des demandes d’asile pour l’année 2015, sont encore déposées par des Kosovars. C’est pour dire !

Idem, en dépit du risque sécuritaire, plusieurs éléments permettent de nuancer l’influence du facteur des djihadistes européens sur la politique de l’Union européenne en Syrie. D’abord, parce que l’objectif principal de l’organisation terroriste Daech reste l’élimination du régime syrien. Ensuite, comme l’a prouvé plusieurs attaques terroristes menées sur le sol européen, le lien direct avec « l’Etat islamique » (EI) n’est pas toujours établi. Les Kouachi, responsables de l’attaque la plus meurtrière en Europe ces derniers temps, ne se sont jamais rendus sur les territoires de l’EI. Enfin, la menace terroriste des Européens est surestimée et le verrouillage sécuritaire de l’Europe est sous-estimé. Le nombre d’attaques terroristes frappant l’Europe depuis la naissance de Daech il y a dix ans demeure négligeable. On meurt bien davantage des accidents de la route et des accidents domestiques, du tabac et de l’alcool, du suicide et des violences conjugales, que du terrorisme de Daech & Co.

On voit bien avec ce survol de la situation syrienne que les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, n’ont pas un intérêt stratégique majeur pour intervenir de tout leur poids en Syrie. C’est d’autant plus valide que le dossier syrien est bien compliqué, les risques sont très importants, l’enlisement est grand et les prévisions économiques en Occident ne sont pas au beau fixe. Inutile de préciser aussi, que toute intervention occidentale massive en Syrie, dans un tel contexte, n’aura pas le plébiscite des populations occidentales. Il n’y a qu’un homme qui a intérêt à pousser les dirigeants occidentaux dans le marécage syrien et dans un but bien déterminé, c’est Vladimir Poutine.

Le président russe est un piètre stratège, n’en déplaise à ses admirateurs en Orient comme en Occident. Ses manœuvres militaro-politiques depuis quelques mois, menées dans le seul but de réhabiliter son poulain, Bachar el-Assad, sous prétexte de former une coalition internationale pour combattre le « terrorisme », sont vouées à l’échec, pour les raisons évoquées précédemment et qu’on peut résumer dans une seule phrase : l’Occident n’a pas d’enjeux vitaux en Syrie, la Russie si.

L’engagement militaire de la Russie en Syrie au vu et au su de tous le 30 septembre, prouve trois choses

- Primo, la limite du soutien chiite au régime alaouite. Après quatre ans et demi de bons et loyaux services, ça ne suffit plus. En dépit de l’implication militaire, logistique et financière du régime iranien des mollahs et de la milice libanaise du Hezbollah, les troupes de Bachar el-Assad ne parviennent ni à reprendre l’initiative ni à limiter les pertes. Les cas des batailles qui s’éternisent se multiplient, comme celles de Zabadani (à la frontière libanaise ; un verrou stratégique qui permet de contrôler l’axe Beyrouth-Damas) et de Ghouta (banlieue de Damas ; centre du pouvoir syrien). Ils constituent la meilleure illustration de l'impuissance du régime actuellement. L’apport chiite est si déficient, qu’une unité russe serait aujourd’hui engagée au sol dans les combats de Zabadani.

- Secundo, la fragilité du régime syrien et l’épuisement des troupes syriennes, sur les plans physique et surtout, moral. Plus le temps passe, plus la Syrie des Assad se réduit comme peau de chagrin. Le dernier tyran des Assad ne contrôle plus que le tiers du territoire du premier tyran des Assad. La survie du clan Assad est sérieusement en jeu. Les chars, les hélicoptères et les avions russes qui ont rejoint les côtes méditerranéennes de Lattaquié en Syrie, forcément via l’Iran (sinon ils auraient survolé la Turquie, qui fait partie de l’OTAN), ont comme principale mission de prendre part aux combats pour empêcher quel qu’en soit le prix à payer, la chute du régime à Damas et son repli de secours vers « l’Etat des Alaouites ». L’enjeu pour la Russie est considérable, sauver ce vieil allié, le dernier héritage de l’Union soviétique en Méditerranée. Cela impliquera le bombardement de tous ceux qui menacent le régime syrien, qu’ils soient djihadistes ou rebelles.

- Tertio, toute intervention massive américaine en Syrie, dans le passé ou à présent, peut se transformer en un affrontement direct entre les Etats-Unis et la Russie, où Vladimir Poutine joue gros, pas Barack Obama. Ainsi, la prudence occidentale, notamment américaine, a toujours été pleinement justifiée, n’en déplaise aux interventionnistes arabes. Eh oui, comme il est facile d’être irresponsable et difficile d’être responsable. Si Barack Obama avait les pulsions guerrières de Vladimir Poutine et de George W. Bush, les deux plus grands désastres de l’histoire contemporaine, la République islamique d’Iran détiendrait un jour l’arme atomique, le régime syrien possèderait toujours les armes chimiques et la Syrie serait le théâtre d’une Troisième Guerre mondiale. Grâce à la sagesse du locataire de la Maison-Blanche, il en sera autrement, comme l’a précisé le président américain devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 28 septembre. « Je dirige l'armée la plus puissante que le monde ait jamais connue, et je n'hésiterai jamais à protéger mon pays ou nos alliés, unilatéralement, et par la force si nécessaire. Mais, je suis devant vous aujourd'hui avec la conviction que nous, les nations du monde, ne pouvons pas revenir à l'ancienne manière marquée par le conflit et la force ». C’est une critique à peine voilée à l’esprit soviétique qui dicte encore les décisions de cet ancien officier subalterne du KGB qui est devenu le Tsar de la nouvelle Russie. Tout est d'ailleurs dit dans les regards de cette photo de couverture dont le choix ne doit rien au hasard.

Sur le terrain, alors que le ministre russe de la Défense a annoncé que les premières frappes des avions de la Russie ont concerné « huit cibles du groupe Etat islamique », détruisant un poste de commandement et des stocks d’armes, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a fait savoir dans un langage diplomatique « qu’il y a des indications selon lesquelles les frappes russes n'ont pas visé Daech ». En effet, pour le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, « les rapports dont nous disposons, nous indiquent que les frappes russes n’étaient pas dirigées contre l’Etat islamique ». Preuve des intentions cachées de Poutine, « il n’y a pas eu de réel effort de la part des Russes pour coordonner les frappes avec les combats en cours menés par la coalition dirigée par les Etats-Unis ». Et pourtant, selon Haaretz, Tsahal en fut informée. La Russie n'a donc jugé utile que d'en informer Israël ! En tout cas, les infos publiées par une organisation syrienne de secours fait état de 33 civils tués à Homs par les avions de Poutine. Un officier de l’Armée syrienne libre a affirmé que les frappes sur Hama auraient tué des rebelles et non des djihadistes. Même son de cloche du côté du secrétaire américain de la Défense, Ashton Carter, qui a indiqué que les frappes russes ont concerné des zones où il n’y avait « probablement pas » de djihadistes de Daech. Pour le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, « des frappes de ce genre soulèveraient des questions sur les intentions réelles de la Russie : combattre l'EI ou protéger le régime Assad ? » Ah, il suffit de se référer aux informations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) pour avoir la réponse. Les frappes russes de mercredi ont visé Jaïch el-Fateh, la coalition islamiste qui a expulsé l’armée syrienne de la région d’Idlib, et l’Armée syrienne libre, les rebelles modérés. Tout sauf Daech.

Ces premières frappes russes sont le moins qu’on puisse dire « louches ». L’autorisation ayant été votée à l’unanimité par le Sénat russe, tout aussi louche, elles ont coïncidé avec une offensive diplomatique menée par la Russie à l’ONU, le pays préside le Conseil de sécurité ce mois-ci. Celle-ci vise à concocter une résolution pour sauver le soldat Assad, sous le prétexte bidon de « créer une véritable et large coalition antiterroriste internationale », qui inclurait le régime de Bachar, comme l’a affirmé Vladimir Poutine devant l’Assemblée générale de l’ONU le 28 septembre. Ah, poussons des youyous, l’ours russe sort de son hibernation ! Mais, cela fait plus d’un an qu’une coalition de 13 Etats du monde, notamment des pays occidentaux et arabes, réunis autour des Etats-Unis, luttent contre Daech en Irak et en Syrie. En 417 jours, cette coalition internationale a mené 2 590 frappes en Syrie et 4 558 frappes en Irak, utilisant 22 478 bombes et missiles, tuant plus de 15 000 djihadistes de Daech et 19 de ses 43 grands chefs. Double réussite pour cette coalition arabo-occidentale puisque ce sont ces frappes qui ont arrêté l’expansion fulgurante de « l’Etat islamique » en Irak et en Syrie, sans renforcer pour autant le régime syrien. N’ayant pas peur du ridicule, Poutine poursuit : « À l’instar de la coalition anti-hitlérienne, celle-ci pourrait unir dans ses rangs les forces les plus diverses, prêtes à combattre de façon radicale ceux qui, comme les nazis, sèment le mal et la haine. » Staline jubile dans sa tombe. Ah oui, parce que Bachar el-Assad sème le bien et l’amour de son prochain ? Avec les barils explosifs bourrés de TNT sans doute ! « Il faut enfin reconnaître, hormis les troupes gouvernementales du président Bachar el-Assad... personne ne se bat réellement contre l’État islamique ». C’est c’là oui, on se croirait jadis, du temps soviétique.

Toujours est-il que c’est encore Laurent Fabius qui a donné le coup de grâce à cette initiative foireuse, à l'issue de la réunion du Conseil de Sécurité des Nations unies sur le terrorisme, qui s'est tenue le mercredi 30 septembre, en fixant trois conditions rédhibitoires pour le tandem Poutine-Assad. Afin que l’initiative russe se concrétise, « 1. Les frappes doivent être dirigée contre Daech et contre les groupes terroristes seulement, à l’exclusion des civils et des opposants modérés... 2. Mettre fin aux bombardements des populations civiles... avec des barils d’explosifs et de la chlorine. Ce sont ces violences commanditées par Bachar el-Assad qui alimentent pour l’essentiel l’extrémisme et les flots de réfugiés... 3. Si on veut être efficace, c’est qu’il faut traiter la crise à la racine. Il faut une transition de nature politique, qui dise clairement au peuple syrien que son bourreau, c’est-à-dire Monsieur Bachar el-Assad, n’est pas son avenir. » Vladimir Poutine va encore piquer une crise et délirer sur « l’arrogance du monde occidental ».

Si la chancelière allemande, Angela Merkel, a cru bon d’entrevoir qu’une ouverture vers Poutine et Assad pourrait tarir l’afflux massif des réfugiés syriens en Allemagne, heureusement, que la France et les Etats-Unis ont remis les pendules du Moyen-Orient à l’heure. Le président américain, Barack Obama a fait savoir à l’ONU en début de semaine, que « les États-Unis sont prêts à travailler avec tout pays, y compris la Russie et l'Iran, pour résoudre le conflit. Mais nous devons reconnaître qu'après tant de sang versé, on ne peut pas revenir au statu quo d'avant la guerre ». Bachar el-Assad c’est fini, c’est ce qui sort aussi de l’intervention de François Hollande, le président français. « On ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau... Assad est à l’origine du problème et il ne peut pas faire partie de la solution ». Pour le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, « englober Assad dans l'avenir de la Syrie nous expose à l'échec ».

La solution globale en Syrie est politique et ne passe donc pas par Bachar el-Assad. La Russie ne l’a toujours pas compris. Les présidents américain et français en ont encore parlé au cours de leurs allocutions devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour Barack Obama, « un compromis sera nécessaire pour mettre fin aux combats et finalement éradiquer Daech. Mais ce réalisme exige également une transition qui ne serait pas gérée par le Président syrien Bachar Al-Assad mais par un nouveau dirigeant et par un gouvernement inclusif ». François Hollande a aussi plaidé pour « un gouvernement de transition doté des pleins pouvoirs incluant des membres du gouvernement actuel et de l’opposition ». Il faut le dire et redire, haut et fort, sans les quatre vetos du premier et du dernier bastions du communisme de la planète, la Russie et la Chine -en octobre 2011, février 2012, juillet 2012 et mai 2014- pour bloquer des résolutions du Conseil de sécurité portant sur la répression et le conflit en Syrie, on ne serait vraiment pas là, "l'Etat islamique" n'aurait pas eu des conditions avantageuses pour s'épanouir et le Moyen-Orient se porterait beaucoup mieux. Les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping, assument donc pleinement la responsabilité du chaos et du drame syriens.

Je terminerai par deux événements qui justifient le postulat d'une solution politique qui ne passe pas par Assad. Le premier, concerne une info qui est passée inaperçue, surtout aux yeux des interventionnistes arabes, et pourtant elle est très grave. Alors que l’armée américaine a mis en œuvre un programme de formation et d’équipement de 5 000 rebelles syriens par an, doté d’un budget de 500 millions de dollars, dont la mission est de combattre l’Etat islamique sur le terrain, la surprise fut grande d’apprendre que les premiers recrues syriens, intégrés après une grande sélectivité, n’ont pas trouvé mieux que de remettre une partie de leur équipement et leurs munitions au groupe al-Nosra, la branche syrienne de l’organisation terroriste al-Qaeda. Ce début décevant a poussé le Pentagone à suspendre le programme le 29 septembre, le temps de prendre des mesures plus drastiques pour éviter un comportement aussi fâcheux à l’avenir. Le chaos libyen, est dans toutes les mémoires. Double merci au duo de choc, Sarko-BHL. Une tarte pour deux svp !

Le second, c’est un autre hasard du calendrier. Le 15 septembre, une enquête préliminaire pour « crimes contre l’humanité » a été ouverte par le parquet de Paris. Elle concerne les exactions commises par le régime de Bachar el-Assad sur près de 11 000 Syriens, entre 2011 et 2013, et qui sont immortalisées dans l’album de César. Cette démarche est pleinement justifiée car il y aurait parmi les victimes des citoyens franco-syriens. L’industrialisation de la torture est illustrée par 55 000 clichés pris par un ancien photographe du régime qui était chargé à partir du début de la révolte syrienne en mars 2011, d’apporter la preuve par l’image que les opposants arrêtés par le régime ont bel et bien étaient numérotés, torturés et tués, par des tortionnaires à la solde de Bachar el-Assad, et de fabriquer ensuite, une cause fictive pour justifier leur mort subite auprès de leurs proches.

Depuis le début du conflit en Syrie, je me suis toujours prononcé contre la généralisation et la militarisation du conflit. Ceci n’a conduit qu’à propager la désolation dans le pays, en donnant au régime et aux djihadistes l’occasion de déployer leur cruauté et leur barbarie. Tous les chiffres relatifs au nombre de morts, de blessés et de réfugiés ont explosé. Les Syriens n’en ont récolté que destruction et souffrance. Par ailleurs, je me suis opposé non seulement à l’implication massive de l’Occident en Syrie, qui ne peut pas avoir lieu dans des conditions convenables, ni dans l'intérêt des Syriens ni dans l'intérêt des Occidentaux, pour diverses raisons dont une partie est exposée dans cet article, mais aussi à une intervention mal réfléchie, comme la stupide invasion américaine de l’Irak en 2003, qui est à l’origine du chaos qui règne au Moyen-Orient actuellement.

Si l'entrée en scène de la Russie, dans le but réel est de maintenir la domination de la minorité alaouite de Bachar el-Assad (10 % de la population) sur la majorité sunnite de la Syrie (70 %), est une « guerre sainte », selon les délires du porte-parole de l’Eglise orthodoxe russe, ça sera alors du « pain béni par Allah » pour les djihadistes de Daech, d’al-Nosra et d’al-Qaeda, et j’en passe et des meilleures. Et si on laisse faire les Russes en Syrie, comme en Ukraine après l'annexion de la Crimée, on peut être sûrs de trois choses : la perspective d’une solution à moyen terme s’éloignera, la désolation s’étendra encore davantage et le fanatisme augmentera. Et à l’arrivée, on aura, et le régime syrien et les groupes djihadistes. L’intervention russe en Syrie est une escalade dangereuse qu’il faut stopper net. Afin de l'amener à la table des négociations, les Etats-Unis doivent faire une « offre » au tandem Poutine-Assad, que le duo ne pourra pas refuser. Quelques Tomahawk bien ciblés feront l’affaire. Il faudra aussi que les pays occidentaux alourdissent les sanctions économiques contre la Russie et que les pays arabes s'y mettent également. L'argent c'est le nerf de la guerre, il faut tâcher de ne jamais l'oublier. Maintenant que le dossier nucléaire iranien est réglé, il est temps de signifier ses limites de manœuvre à Poutine l’Imposteur.