mardi 19 avril 2016

« Good night and good luck » Bernie Sanders : l’homme qui veut humaniser les Etats-Unis et le monde (Art.353)


Il est 11:00 à New York. La journée s’annonce ensoleillée, en partie. Aujourd’hui est un mardi ordinaire pour la majorité des habitants de la planète. Et pourtant, ce qui se joue à New York influencera directement ou indirectement, en partie aussi, l’avenir de la planète et de la majorité d’entre nous, sur le plan politique, pour les quatre prochaines années. Certes, ce ne sont que des élections primaires, mais étant donné le poids de cet Etat dans la désignation des candidats des deux grands partis américains dans la course à la Maison Blanche, celles-ci orienteront la suite des événements.

Je ne partage rien avec Donald Trump. A part qu’on a tous les deux 46 chromosomes, dont une paire XY. Et ce n’est surement pas la présence d’un Libanais comme Walid Phares parmi ses conseillers qui me fera changer d’avis. Ce dernier est libre de ternir sa carrière avec un populiste de cette trempe. Eh oui, Trump, c’est le désastre garanti pour tous, aux Etats-Unis et ailleurs. Preuve à l’appui. « Si les personnes si violemment abattues à Paris avaient eu des fusils, au moins elles auraient eu une chance de se défendre... que la tragédie de Paris ait eu lieu dans l’un des pays les plus fermés au monde concernant le contrôle des armes à feu ? » (à propos du 7-Janvier). Wlak, ya Donald, même si on autorise le port d'armes en France, un caricaturiste n'ira pas travailler avec un fusil sur l'épaule ! « Personne n’était armé... S’ils avaient eu des armes (...) la situation aurait été très très différente » (à propos du 13-Novembre). Ya Trump ya habibé, on ne va pas boire un coup au bistrot du coin ou écouter un concert de pop avec un revolver coincé à la taille ! Enfin bref, alors que nous avons un imposteur au Kremlin, je vous laisse imaginer une planète avec un bouffon à la Maison Blanche. Trump est tout le temps hors-jeu pour moi, pas la peine de creuser de ce côté.

Et qu’en est-il d’Hillary Clinton ? Ah non, sûrement pas. Ras le bol des Clinton, mari, femme, fille et chat, comme j’en ai ras le bol des Bush, père, fils, frère et chiens. Basta cosi des Clinton et des Bush ! On se croirait au Liban ou dans une république bananière. En tout cas, je ne partage pas grand-chose avec Hillary et Bill. A commencer par leurs revenus. Tenez-vous bien, les Clinton ont donné 729 conférences entre 2001 et 2015, facturées 153 000 000 $, soit 210 000 $ l’heure de parlote. Eh bien, le business des Clinton est très rentable, on dirait ! 39 discours ont été réservés à Wall Street, pour des banques telles que Goldman Sachs, The Firm pour les intimes et les connaisseurs, une banque d'investissement qui dispose de 780 milliards de dollars de fonds propres et qui « s'est fait connaître du public pour sa fabrication de produits dérivés financiers pendant la crise des subprimes et la crise de la dette grecque, qui ont contribué à la crise financière de 2007 à 2011 ». Alors qu'elle est accusée « d'avoir provoqué la plupart des manipulations de marché ou bulles des 80 dernières années », la banque est sauvée in extremis par Henri Paulson, le secrétaire américain du Trésor sous la présidence de George W. Bush, qui était auparavant, tenez-vous bien, président et directeur de Goldman Sachs. Sauvetage assuré avec l'argent des contribuables bien évidemment. Sachez aussi que c'est encore Goldman Sachs qui a aidé le gouvernement grec à bien camoufler les dettes de la Grèce pendant un laps de temps, pour la modique somme de 300 millions de dollars. En 2011, un rapport interne conseillait de « tirer profit de la situation en spéculant sur une aggravation de la crise de la dette en Europe ». Le 11 avril 2016, Goldman Sachs écope d'une amende de 5 milliards de dollars pour son implication dans la crise immobilière. Une somme considérée comme faible, par rapport à celles payées par ses concurrents et surtout, si on tient compte de la responsabilité de la banque dans la crise financière des subprimes et de ses conséquences. 

Non mais, comment peut-on s’occuper des intérêts des peuples, en mélangeant les genres d’une manière aussi ostentatoire et nauséabonde ? Le pire, c’est que les conférences données à Goldman Sachs se déroulent à huit clos s’il vous plait. Personne ne sait ce qui se dit. Quand on l’a défié de révéler ce qu’elle raconte, ou promet, à ce beau monde de la finance, Hillary Clinton répondit qu’elle allait « y réfléchir ». Surtout, qu'elle ne se presse pas, elle pourra le faire tranquillement dans ses mémoires une fois à la retraite. La candidate démocrate est une arriviste hypocrite. Rien à faire, elle est fausse, comme son sourire, et elle le restera. Sinon, elle aurait quitté Bill il y a belle lurette. C'est c'là Monica, hein ?

Reste ce gentleman, Bernie Sanders. Il a tout pour séduire. A commencer par ses origines européennes, qui se reflètent dans sa façon de penser et son programme politique. Il y a surtout cette vision globale de la société à laquelle je ne comprendrai pas qu'on puisse se soustraire. « Je trouve inacceptable d’un point de vue moral, économique et environnemental qu’autant de richesses soient réparties entre si peu de personnes ». Il est en quelque sorte, l’incarnation politique du phénomène Occupy Wall Street. Il n’accepte pas qu’au pays le plus riche du monde, qu’il y ait autant de laissés-pour-compte. Son programme est profondément humaniste et ça me plait : taxer le monde de la finance, responsable de la grave crise économique de 2008, et qui n’a été sauvé que grâce aux contribuables américains, pour offrir une assurance maladie, ainsi que l'éducation et des crèches gratuites pour tous les Américains. Au passage, selon un bilan établi par le Wall Street Journal, si les banques américaines ont été condamnées à payer 110 milliards de dollars pour leur implication dans la crise financière, elles ont quand même réussi à dégager près de 700 milliards de dollars de profits depuis 2007. 

Par ailleurs, Bernie Sanders
envisage de doubler le salaire minimum, en passant de 7,25 $/h à 15 $/h et de lancer de grands travaux d’infrastructures, 1 000 milliards $ sur 10 ans. Au concept du libre-échange sauvage, il prône le « Made in the USA ». Il veut séparer les banques de dépôt des banques d’affaires, pour éviter la formation de ces mastodontes de la finance, « too big to fail », si gros que l’Etat ne peut pas les laisser tomber en cas de difficultés. En gros, il veut européaniser et humaniser les Etats-Unis. Que demande le peuple de plus ?

Si Sanders juge que sa rivale démocrate est expérimentée et intelligente, il a cependant émis de sérieux doute sur sa capacité de jugement. Et pour cause ! Bien que démocrate, Hillary Clinton a approuvé ce qu’on peut appeler aujourd’hui, avec ce précieux recul dont nous disposons, la stupide invasion de l’Irak en 2003, décidée par les néoconservateurs du parti républicain de George W. Bush. Cette décision d’envahir l’Irak était irresponsable et criminelle au plus haut degré. Et pendant que les auteurs du nouveau désordre moyen-orientale coulent des jours heureux dans leurs ranchs, l’ensemble des populations de la région, libanaises et syriennes en tête, n’en finissent pas de payer le prix. Partant de ces éléments, que peut-on s’attendre de cette femme politique qui n’a pas été capable de comprendre, comme la plupart des Européens à l’époque, notamment les Français, à l’exception des Britanniques, que les éléments avancés par l’administration Bush contre Saddam Hussein, la présence d’armes de destruction massive, étaient mensongers ? Que peut-on s’attendre de cette candidate qui n’a pas pu imaginer que c’est la République islamique chiite d’Iran qui sortirait gagnante de la chute du régime sunnite irakien ?

Toujours est-il que Bernie Sanders considère l’invasion de l’Irak en 2003 comme « la pire erreur de politique étrangère dans l’histoire de ce pays ». Une erreur approuvée par Hillary Clinton qui est donc directement responsable de la radicalisation d’une frange de la population irakienne sunnite, notamment des officiers de l’ex-armée irakienne du régime de Saddam Hussein et qui a conduit à l’émergence et à l’épanouissement de Daech, « l’Etat islamique en Irak et au Levant ». Hillary Clinton s’en défend en rappelant quand même que « le président Obama lui a fait confiance pour être secrétaire d’Etat ». Justement, elle est là, la deuxième erreur éliminatoire de la candidature d’Hillary Clinton au poste de président des Etats-Unis. Alors que l’administration Obama n’était pas chaude pour rejoindre le délire du trio Sarkozy-BHL-Cameron, et pour intervenir en Libye afin de faire tomber le régime de Kadhafi, c’est Hillary Clinton qui a mis tout son poids pour que les Etats-Unis rejoignent la France et le Royaume-Uni dans la non moins stupide intervention massive en Libye. Et là aussi, à quoi doit-on s’attendre avec Hillary Clinton qui fut incapable de prévoir la portée de l’intervention en Libye et ses désastreuses conséquences pour la région, l’Europe et le monde: la détérioration des relations de confiance entre les pays occidentaux et la Russie, l’instauration du chaos en Libye, la dissémination des armements en Afrique, l’installation des djihadistes dans le pays et l’ouverture d’une des deux principales voies de migration vers l’Europe, responsable de l'afflux massif de migrants vers le vieux continent

Sur la Syrie, aussi, Bernie Sanders et Bakhos Baalbaki sont sur la même longueur d’onde. Considérant le conflit comme un « bourbier dans un bourbier », la politique étrangère de Bernie Sanders est orientée dans trois axes. Primo, faire face à la crise humanitaire engendrée par la guerre. Sur ce point le candidat démocrate pense que les États-Unis, l'Europe et les pays du Golfe ont une obligation morale d'accueillir les réfugiés syriens. Secundo, mettre fin à l’organisation terroriste « Etat islamique » (Daech). « J'ai soutenu les frappes aériennes américaines contre l'EIIL... Cependant, la guerre contre l'EIIL ne sera jamais gagnée que si les nations du Moyen-Orient intensifient leurs efforts militaires et prennent plus de responsabilités pour la sécurité et la stabilité de leur région. Les États-Unis et d'autres puissances occidentales devraient soutenir nos alliés du Moyen-Orient, mais cette guerre ne sera jamais gagnée que si les nations musulmanes dans la région mènent ce combat... C’est une guerre pour l'âme de l'Islam et les nations musulmanes doivent devenir plus fortement engagés ». Tertio, éliminer Bachar el-Assad, qui est pour Sanders, le principal responsable du démarrage et de la poursuite de la guerre. Le candidat démocrate est très clair sur l'incontournable départ de « l’horrible dictateur ».

Alors qu’il est de confession juive et qu’il a connu les kibboutz dans les années 60, Bernie Sanders se démarque aussi des autres candidats sur la question palestinienne. Si « la paix exigera la reconnaissance inconditionnelle par tous du droit à l’existence d’Israël », et la fin des attaques de tout genre contre l'Etat hébreux, Sanders pense que « pour parvenir à un résultat positif, nous devons être l’ami non seulement d’Israël mais aussi du peuple palestinien ». Et pour être plus précis, il rajoute : « La paix signifie aussi la sécurité pour chaque Palestinien. Elle signifie l’obtention de l’autodétermination, des droits civils et du bien-être économique pour le peuple palestinien... La paix signifiera mettre un terme à ce qui équivaut à l’occupation des territoires palestiniens, en établissant des frontières décidées d’un commun accord et en retirant les colonies de Cisjordanie ». Il est allé même jusqu’à préciser que « La paix signifiera une distribution durable et équitable des précieuses ressources en eau afin qu’Israël et la Palestine puissent tous deux prospérer comme voisins. À l’heure actuelle, Israël contrôle 80 % des réserves en eau de la Cisjordanie ». Jamais un candidat à la présidence n’est allé aussi loin dans l’histoire des Etats-Unis.

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c’est clair. Il m’est impossible d’assister sans réagir à l’affrontement entre un gentleman, une hypocrite et un bouffon, sachant que le vainqueur influencera en quelque sorte nos vies, même de l’autre côté de l’Atlantique et du détroit de Gibraltar. C'est donc Bernie Sanders sans hésitation. Good night and good luck, Birdie, aujourd'hui et pour la suite. Quels que soient les résultats de ce mardi crucial, Bernie Sanders se maintiendra naturellement dans la course des primaires. Et au-delà, je me demande s'il ne faut pas qu'il se maintienne également sur la dernière ligne droite dans la course à la Maison Blanche. Les Etats-Unis et le monde méritent mieux qu'une Clinton et qu'un Trump. Cet oiseau qui s’est posé sur le pupitre du candidat démocrate, qui était en plein discours de campagne, ne peut être qu’un signal d'avertissement. Et comment ! Surpris, Sanders en avait conclu, « Je pense qu'il y a un certain symbolisme ici. Cet oiseau nous demande un monde de paix ». Cela ne passe surement pas par Trump ou Clinton. Alors, #FeelTheBern. Affaire à suivre.

lundi 18 avril 2016

Il est temps que l’Europe défende ses valeurs et dise à Erdogan ses quatre vérités ! La Turquie d’Atatürk mérite mieux (Art.352)


Il se serait moqué de François Hollande, ça aurait pu se passer mieux. Esprit Charlie, quoi. Et encore ! Mais d’Erdogan, ah non. Il y a crime de lèse-majesté. Mais, il faut reconnaitre quand même que la grenouille turque qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ottoman, a quand même raison de se froisser. Ce satiriste allemand qui a récité un poème à la télé dans l’intention délibérer de ridiculiser le président turc, en disant lui-même qu’il est « diffamatoire », n’est pas drôle. Son texte est bête et méchant. La liberté d’expression ne garantit pas à tout un chacun de dire des stupidités et des insultes en toute liberté, comme l’a fait Jan Böhmermann, le présentateur et humoriste de la chaîne publique ZDF, le 31 mars 2016. Erdogan serait « homosexuel » passe encore, mais « zoophile » et « pédophile », allons donc, il y a d'autres façons plus subtiles pour faire comprendre que la « diffamation » n'a pas le même sens en Allemagne et en Turquie. Bass ya Jan, fume une moquette de bonne qualité, tu trouveras peut-être une meilleure inspiration, quelque chose de juste, pertinent et drôle. Bon, jusqu’ici rien d’extraordinaire. Ça méritait une plainte ? Pourquoi pas.

Mais de là, à ce qu’Angela Merkel s’empare de l’affaire parce ce que Recep Tayyib Erdogan s’est plaint, ah non, halte au délire. Vendredi dernier, il y a trois jours, le 15 avril pour être précis, Merkel annonce que « le gouvernement fédéral va accorder son autorisation dans la présente affaire (pour engager des poursuites judiciaires) ». Mais de quoi elle se mêle ? Pour y parvenir, la chancelière d’Allemagne a mobilisé à la fois le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et son cabinet, afin de fouiller dans les archives juridiques d’un autre temps et d’un autre siècle, afin de trouver un vieil article poussiéreux pour « punir les insultes contre le représentant d'un État étranger », dont on a l'intention de supprimer dans un avenir proche, soit dit au passage. Mais pourquoi ? Eh bien, parce que la Turquie serait, selon Angela Merkel, un partenaire important pour l’Union européenne et l’OTAN, sur les plans économique et politique, blablabla. Ah, toutes mes félicitations ! Pire encore, pendant que l’administration allemande cherchait une sortie diplomatique à ces enfantillages, on apprend que Recep Tayyib Erdogan a déjà porté plainte auprès du procureur de Mayence, le 11 avril svp, comme tout un chacun, et non comme un chef d’Etat. Voilà une réaction normale ! Mais alors dame Merkel, de quoi je me mêle et pourquoi tant de zèle ? Sauf votre respect, ça ne serait pas de la lèche par hasard, pour espérer rattraper une politique migratoire européenne mal maitrisée dont vous êtes l'initiatrice ?

Et encore, si Erdogan n'était qu’à sa première ! Le 17 mars, la télévision allemande NDR diffuse un vidéoclip intitulé « Erdowie, Erdowo, Erdogan ». Là, nous sommes dans un tout autre registre, beaucoup plus pertinent, beaucoup plus juste et beaucoup plus sympathique. Les auteurs de la chanson satirique dénoncent les atteintes à la liberté de la presse et les dépenses pharaoniques de Monsieur, qui, le moins qu’on puisse dire, a la folie des grandeurs. « Il vit en XXL, le seigneur du Bosphore. Une construction ostentatoire avec mille pièces... Un journaliste qui par malheur, rédige une phrase qui ne convient pas à Erdogan, est en taule dès le lendemain, la rédaction est fermée... Il ne réfléchit pas longtemps, emploie le gaz lacrymogène... Le temps est mûr pour son grand Empire ottoman... Les mêmes droits pour les femmes ? Oui, oui, elles aussi sont tabassées... Il déteste les Kurdes comme la peste. Il préfère bien les bombarder eux, plutôt que les frères de foi de l'autre côté, qui sont de l'EI (Etat islamique / Daech). Donne-lui ton argent, il te construit une tente pour les réfugiés : Erdowie, Erdowo, Erdogan. Son pays est mûr pour l'adhésion à l’UE (Union européenne) ». Circulez, il n’y a rien à signaler. Et si Monsieur n’est pas content, une plongée dans les eaux froides du Bosphore, calmera sa fureur. Vous trouverez la traduction complète des paroles de la chanson à la fin de l’article.

Mais, le seigneur du Bosphore ne l’entend pas de cette oreille. Cinq jours plus tard, convocation de l’ambassadeur allemand à Ankara avec demande officielle d’arrêter l’émission en question. Il est évident que ce sultan des temps modernes n'a toujours pas entendu parler de la séparation des pouvoirs. Le silence radio à Berlin n’a pas empêché le rédacteur en chef de la chaine allemande, Andreas Cichowicz, de mettre les points sur les i : « Que manifestement le gouvernement turc s'active diplomatiquement en raison de l'émission "Extra 3" n'est pas compatible avec notre conception de la liberté de la presse et d'opinion ». Voilà qui est bien dit. Alors, qu’elle aurait pu tomber rapidement dans l’oubli, « Erdowie, Erdowo, Erdogan » caracole en tête des visionnages sur YouTube avec plus de 8 millions de vues en 4 semaines seulement. Mais au fait, il ne serait pas un peu procédurier sur les bords l’Erdogan ?

On se demande. Un peu ? Mais, ça serait le paradis. Il serait un homme politique tolérant, à la poitrine large comme on dit en Orient, on compatiraient presque. Mais, le problème c’est que le président turc est non seulement un homme très susceptible, mais c’est un grand paranoïaque à l’ego surdimensionné, avec une tendance totalitaire et un penchant islamiste net. Et là, ça fait beaucoup pour un seul homme.

Pendant que Merkel est occupée à consoler Erdogan, et surtout le ménager, 1 845 citoyens, artistes et journalistes turcs, sont poursuivis, ou l’ont été, depuis son arrivée au pouvoir en août 2014 (décompte jusqu’au début du mois de mars 2016), pour « insulte au président ». Ainsi, en 18 mois de pouvoir, ce précieux « partenaire » de l’Europe a poursuivi ses détracteurs sans relâche, à un rythme de 100 plaintes/mois, soit 3 poursuites/jour. Le problème, c’est qu’il n’y a pas que sur ce point que le régime fait défaut. Recep Tayyib Erdogan ne résigne devant rien pour verrouiller son pouvoir, museler ses opposants, imposer ses idées islamistes et remanier en profondeur la république moderne laïque fondée par le père de la nation turque, le visionnaire Mustafa Kemal Atatürk.

Dans la panoplie des atteintes graves à la démocratie en Turquie sous Erdogan, on retrouve pêle-mêle :
- la limitation de la liberté d’expression : par des lois renforçant le contrôle d’internet, allant jusqu’à menacer de bloquer les réseaux sociaux, quand il était Premier ministre, « Nous sommes résolus à ne pas laisser le peuple turc être esclave de YouTube et de Facebook » (surtout parce qu’ils ont permis de relayer des enregistrements où l’on entendrait papa dire au fiston, de bien cacher l’argent !) ;
-  la persécution des opposants : allant jusqu’à la mise sous tutelle au début du mois de mars 2016, du plus important quotidien turque, Zaman, 633 000 exemplaires, qui est devenu un « modèle de propagande pro-gouvernementale » selon d’anciens journalistes qui ont préféré claquer la porte ; la « mise sous tutelle » est une opération judiciaire camouflée pour mettre au pas certains médias opposants, voire de les fermer carrément, comme ce fut le cas en octobre dernier, avant les élections législatives (comme par hasard), pour les chaines Bugün TV et Kanaltürk, ainsi que pour le journal Millet ;
- l’emprisonnement de journalistes : et dans ce domaine, la Turquie détient un triste record dans le monde ; c’est le sort réservé par exemple à deux journalistes de Cumhuriyet qui ont révélé en mai 2015 que les services secrets de la Turquie ont fourni des armes aux islamistes en Syrie en janvier 2014 ; emprisonnés trois mois, ils ont été libérés sur une décision de la Cour constitutionnelle turque ; dans ce procès en cours, le plaignant, Erdogan, ne nie pas les faits, mais se mobilise contre la « trahison » des accusés ; on reproche aux journalistes d’avoir divulgué « des secrets d’Etat à des fins d’espionnage », et paranoïa oblige, à chercher à « renverser le gouvernement turc par la violence » ; et pendant que Merkel et consorts ménagent Erdogan, Can Dündar, le rédacteur en chef du journal, risque la perpétuité ! ; au passage, Cumhuriyet est un quotidien turc à faible tirage (50 000 exemplaires), qui est considéré comme une référence ; il a l’âge de la République et se place de ce fait, comme le gardien de l’héritage laïc d’Atatürk ; c’est le seul quotidien du monde arabo-perso-musulman à avoir osé diffuser le premier numéro de Charlie Hebdo après les attaques du 7-Janvier ; les deux journalistes turcs de ce quotidien respecté sont aujourd’hui sacrifiés sur l’autel de la nauséabonde realpolitik européenne ;
- les poursuites de ses rivaux : notamment des partisans de Fethullah Gülen, dignitaire musulman en exil aux Etats-Unis, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt ;
- l’atteinte à la laïcité turque : autorisation du port du voile dans les universités et la barbe chez les fonctionnaires ; limitations de la consommation, de la vente et de la publicité des boissons alcoolisées en dépit des vives protestations ; suppression des parrainages des événements sportifs par les fabricants d'alcool ; censure des films, des émissions et des clips qui contiendraient des images de boissons alcoolisées ; etc. ;
- la répression violente des manifestations pacifiques : des jeunes de Taksim à Istanbul en 2013, comme des femmes en mars 2016 ou des Kurdes (continuelle) ; 
- les purges dans la police et la justice : plusieurs dizaines de hauts responsables ont été mutés, à quelques semaines de l’élection présidentielle de 2014, surtout ceux qui luttaient contre la corruption qui touche l’entourage d’Erdogan, dont son fils ;
- la volonté de s’en prendre à certains droits de la femme turque : comme l’avortement par exemple, qui serait un « crime » selon Erdogan, non seulement pour des raisons religieuses islamiques mais aussi pour des considérations démographiques dans ce pays de 80 millions d’habitants, qui veut se tailler une bonne place sur l’échiquier loco-régional entre l’Orient et l’Occident ;
- la criminalisation de l’intégration des Turcs dans les sociétés européennes : « l'assimilation est un crime contre l'humanité », c'était le constat islamo-nationaliste prononcé devant les 20 000 Turcs à Cologne en 2008 ; ce genre de propos résonnent différemment de nos jours ! ;
- et j’en passe et des meilleures.

Et cette veille Europe qui ferme les yeux, abdique, s’écrase, renonce à ses valeurs, et qui pond de temps à autres, un pauvre communiqué de protestation, espérant naïvement aujourd’hui que les 6 milliards d’euros accordés à la Turquie, avec l’assouplissement de l’attribution des visas aux ressortissants turcs et la relance de l’adhésion de la Turquie à l’Europe, pousseront la Turquie à stopper l’afflux massif de migrants vers le vieux continent et à lutter plus sincèrement et efficacement contre les djihadistes en route ou en provenance de Syrie. Et l’on s’étonne après, de la montée en puissance des Eurosceptiques et de l’Extrême droite dans les pays européens.

Pour l’anecdote, et pour revenir à notre sujet principal, sachez que l’ambiance démocratique en Turquie est aujourd’hui tellement malsaine qu’un chauffeur-routier d’Izmir a porté plainte contre sa femme il y a deux mois car elle n’arrêtait pas d’insulter Erdogan, et lui manquer de respect au point de changer de chaine de télévision dès qu’il apparaissait au petit écran. Hehehe, réponse inattendue de la part de l’épouse insolente : une demande de divorce. Wlak akid bala heik jozz ! Moins drôle, miss Turquie de l’année 2006, s’est retrouvée en garde à vue et a risqué quatre ans de prison pour avoir partagé pendant un laps de temps sur son compte Instagram, une version caustique de l’hymne national turc, publiée dans un hebdomadaire satirique turc, et qui contenait des « insultes » contre le gardien de la Sublime Porte. En gros, si tu es lycéen et tu balances sur les réseaux sociaux que ton président est le « chef du vol, des pots-de-vin et de la corruption », tu seras poursuivi à coup sûr. Idem, si vous êtes médecin et vous avec le malheur de trouver une vague ressemblance entre Erdogan, seigneur d’Istanbul, et Gollum, Seigneur des anneaux, vous serez forcément poursuivi. Quoi encore ? Même si vous êtes Aytekin Gezici, journaliste travaillant dans un quotidien respecté, et vous jugez que le tweet « Vous avez (tout) vendu par morceau, vous avez (tout) embarqué boite après boite », est utile pour informer vos followers, en faisant subtilement allusion à un scandale de corruption touchant la famille d’Erdogan, où l’on a retrouvé des boites de chaussures remplies d’argent, mal vous prend, vous risquerez cinq ans de prison ferme. Rien ne passe le filtre Erdogan. Un « lâche » et un « cruel » coutent actuellement à un éditorialiste du quotidien Cumhuriyet, des poursuites judiciaires pour « insulte au président ».

Il faut donc éduquer le peuple turc, comme l’a rappelé un jour le Premier ministre Ahmet Davutoglu, « Tout le monde doit faire preuve de respect à l'égard de la fonction de président ». Mais voyons ! Les débutants sont condamnés à de la prison avec sursis, les récidivistes à de la prison ferme. En parler de ses déboires avec la justice turque pour « insulte au président » peut conduire à de nouvelles poursuites judiciaires pour « atteinte à l’honneur de l’Etat ». Hallucinant. La stratégie Erdogan pour museler la liberté d’expression et l’opposition en Turquie est abjecte. On critique le pays du Cèdre à longueur de journée, de colonne et de mur, mais au moins sur ce point, et en dépit des dérapages, le Liban reste quand même un paradis par rapport à la Turquie de nos jours.

La dérive totalitaire, anti-démocratique et anti-laïque de Recep Tayyib Erdogan ne fait pas débat. Mais, elle est de plus en plus inquiétante. Comme le résume un avocat turc, Ahmet Kiraz, « Depuis son arrivée au pouvoir, mais surtout depuis 2011, Erdogan manipule et exacerbe les oppositions dans la société turque pour consolider son électorat rural, peu éduqué, islamiste et nationaliste... Il a toujours besoin d'un ou de plusieurs ennemis pour mobiliser ses partisans... Ce dénigrement est fait de façon consciente et systématique, en utilisant les plus basses méthodes du populisme. »

Bilan des courses, selon Reporters Sans Frontières, l’évaluation de la liberté de la presse dans 180 pays du monde pour l'année 2015, classe la Turquie à la 149e place, juste devant la Russie (152), la Libye (154), l’Irak (156) et l’Egypte (158). Beaucoup mieux que la Corée du Nord (179), la Syrie (177), la Chine (176), l’Iran (173) et l’Arabie saoudite (164). Mais là, il n’y a pas de quoi pavoiser. En tout cas, c’est beaucoup moins bien que la Palestine (140), le Maroc (130), l’Afghanistan (122), les Emirats arabes unis (120), l’Algérie (119), le Qatar (115), Israël (101), le Liban (98), le Koweït (90), l’Arménie (78), l’Italie (73) et le Japon (61). Et c’est loin derrière les Etats-Unis (49), la France (38), l’Australie (25), la Suisse (20), la Belgique (15), l’Allemagne (12) et le Canada (8). Et c’est même très loin derrière le peloton de tête, les pays d’Europe du Nord : la Suède (5), les Pays-Bas (4), le Danemark (3), la Norvège (2) et la Finlande (1). Sur ce, nous n’avons plus qu’à souhaiter la bienvenue au partenaire stratégique de l’Europe. Sans l’ombre d’un doute, la Turquie d’Atatürk, mérite mieux qu’Erdogan.

*

Post-scriptum
Erdowie, Erdowo, Erdogan
Traduit de l’allemand

« Il vit en XXL, le seigneur du Bosphore.
"Une construction ostentatoire avec mille pièces, construite sans permis de construire dans une réserve naturelle".
La liberté de la presse lui fait gonfler les cordes vocales, c'est pourquoi il a bon nombre de belles écharpes.
(On entend Erdogan parler avec une voix irritée).
Un journaliste qui par malheur, rédige une phrase qui ne convient pas à Erdogan, est en taule dès le lendemain, la rédaction est fermée.
Il ne réfléchit pas longtemps, emploie le gaz lacrymogène, envoie les lances à eau même en pleine nuit.

Soit donc charmante, car il t'a dans la main,
Erdowie, Erdowo, Erdogan.
Le temps est mûr pour son Grand Empire ottoman,
Erdowie, Erdowo, Erdogan.

Les mêmes droits pour les femmes ? Oui, oui, elles aussi sont tabassées !
"La police d'Istanbul a dissout par la force une manifestation pour la journée mondiale des femmes".
Si le résultat des élections est mauvais, il le réajuste.
"I like to move it, move it".
Il déteste les Kurdes comme la peste. Il préfère bien les bombarder eux, plutôt que les frères de foi de l'autre côté, qui sont de l'EI (Etat islamique / Daech).
Donne-lui ton argent, il te construit une tente pour les réfugiés : Erdowie, Erdowo, Erdogan.

Son pays est mûr pour l'adhésion à l’UE (Union européenne), et il siffle sur la démocratie.
"Tschü avec ü" dit Erdogan, et il chevauche vers le soleil couchant ! »