jeudi 28 juillet 2016

Pour terrifier les islamistes, il faut se raccrocher aux valeurs de l’Occident et non aux chimères sécuritaires du risque zéro (Art.377)


Le hasard a voulu que je croise hier soir au supermarché des connaissances que je n’avais pas vues depuis longtemps. Nous profitâmes de l’occasion pour survoler l’actualité personnelle, locale, nationale et internationale, qui était comme tout le monde le sait particulièrement chargée ces derniers jours. Nous commençâmes par les incontournables banalités sur la santé, la météo et les vacances. La discussion s’est engagée ensuite sur les travaux municipaux bidon de la réfection inutile des trottoirs nases à cause de la saloperie de vigueur des arbres qu’on n’a pas hésité à déraciner dans l’indifférence générale des uns et des autres.

Nous passâmes rapidement aux innombrables actes terroristes de ce sinistre mois de juillet. D’entrée en matière, j’ai tenté de nuancer la discussion en précisant à mes interlocuteurs qu’une partie de ces derniers, aussi odieux soient-ils, n’étaient que des « faits divers ». Rien à faire. Ces connaissances croient non seulement à la vie après la mort politique mais aussi à la mythologie du « revenant ». Ils se préparent à la « guerre totale » contre Daech, depuis que Sarko et ses friends nous l’ont annoncé, en faisant des réserves de nourritures dans leurs frigos et placards, ainsi que dans tous les coins et recoins de leur pavillon de banlieue, bunkerisé pour la circonstance avec une caméra de surveillance.

Pendant que je les écoutais débiter les habituelles indignations, revendications et surenchères populistes de droite et d’extrême droite, comme après chaque attaque terroriste, « Hollande ceci... Valls cela... que fait le gouvernement... on se laisse faire...tous ces binationaux et étrangers (moi, on me tolère, 'ah vous, c'est différent' !)... qu’est-ce qu’ils attendent encore avant de créer ‘Guantanamo-Ville’ pour les fichés S (atteinte à la sureté de l’Etat)... les imams financés par le Maghreb... les mosquées salafistes... le rachat de la France par l’Arabie saoudite et le Qatar... les musulmans doivent faire ceci, mais pas cela... », patati patata, j’ai rapidement compris que la discussion n’avait strictement aucun intérêt intellectuel. C’est alors que je me suis mis en pilotage automatique. C’est une disposition cérébrale complexe, élaborée à la sueur de mon front au fil des discussions stériles, qui me permet de répondre à un interlocuteur par des phrases prêtes à dire, pendant que l’essentiel de mon esprit est consacré à autre chose, à observer, analyser et théoriser. Très utile dans les réunions de famille, les soirées mondaines, les navets au théâtre comme au cinéma, toutes les expositions d’art contemporain sans exception, les réunions pompeuses (anniversaires, fiançailles, retrouvailles, embrassades, engueulades, etc.), les cérémonies religieuses (mariages, baptêmes, messes de Noël et de Pâques, enterrements, etc.). Inutile de vous dire mes amis de la gent masculine que ce n’est pas la peine de pratiquer le pilotage automatique avec votre compagne, le procédé sera rapidement détectée et votre avion abattu sans sommation. « BB, tu es encore en pilotage automatique ». Combien de fois je l’ai entendu ! J’ai eu le malheur de révéler mon secret un jour, mal m’a pris. Toujours est-il qu’hier soir, j’ai profité de cette liberté extraordinaire pour scruter par des coups d’œil furtifs le contenu du caddie de Monsieur et de Madame.

D’un côté, on parlait de la barbarie du tueur tunisien de la Côte d’Azur, de l’horreur commise par des réfugiés syriens en Allemagne et de la crise délirante aiguë d’Erdogan en Turquie. De l’autre côté, je voyais des barquettes de viande, de faux-filet de bœuf, de noix de veau, de gigot d’agneau et d'escalope de poulet. On s’est arrêtés longuement sur l’abominable crime de Saint-Etienne-du-Rouvray, l’assassinat de père Jacques Hamel. Il faut dire que pour beaucoup du monde, c’était le crime le plus répugnant. Un prêtre catholique de 86 ans, décrit comme « un homme gentil » et « ouvert au dialogue interreligieux », égorgé en pleine messe dans l’église Sainte-Thérèse, par deux islamistes, l’un étant âgé de 19 ans et dont l’acte a été revendiqué par l’organisation terroriste Daech, ça renvoie aux premiers martyrs chrétiens tués à cause de leur foi en Jésus-Christ. Les criminels ignoraient probablement que la mosquée de leur ville est érigée sur un terrain offert gracieusement par l’Eglise catholique !  

Toujours est-il que les esprits n’ont pas tardé à s’échauffer. D’un côté, j’entendais Monsieur et Madame s’offusquer de l’attitude des musulmans, revendiquer/réclamer/exiger leur droit au « risque zéro », critiquer l’inaction de l’exécutif Hollande-Valls-Cazeneuve, dénoncer l’incompétence des services français de renseignement, vociférer à propos du laxisme de la justice française, et j’en passe et des meilleures. De l’autre côté, je pensais à ces animaux égorgés, sans étourdissement préalable et maltraités même en France comme l'a révélé récemment l'association L214, puis découpés en morceaux afin de nourrir des populations qui ne se donnent même plus la peine de se préoccuper d’où vient la viande qu’elles mangent et comment est-elle obtenue. Prenons les bovins. L’espérance de vie de ces animaux est de 20 ans. Eh bien, figurez-vous que les hommes s’octroient le droit de tuer les bœufs à l’âge de 1 à 2 ans, pour le plaisir de manger une viande tendre. Les vaches laitières ont un peu plus de chance, elles sont tuées à l'âge de 5 ans. Pour les veaux, les hommes s’autorisent même à les tuer alors qu’ils ne sont âgés que de 3 à 8 mois. Quant aux agneaux, les hommes les tuent à l’âge de 1 à 8 mois, alors qu’ils peuvent vivre 13 ans. Et pour les poulets, les hommes raccourcissent leur espérance de vie de 8 ans à 6 semaines. Pire encore, l'espérance de vie des poussins des races pondeuses qui ont le malheur de naitre mâle, ne dépasse même pas les 48 heures. Bienvenue dans le monde cruel des humains ! En Chine, des bipèdes, qui d’après des tests d’ADN appartiendraient à la race humaine, se font plaisir en battant chiens et chats avant de les tuer car ils croient que cela rendrait la viande de ces animaux meilleure. Il y a même un festival pour les psychopathes de cette sous-espèce humaine. Plus de 3 millions d’animaux sont tués chaque jour dans les abattoirs de France. Tous les ans, près de 50 millions de poussins mâles sont traités comme des déchets, gazés, broyés vivants et étouffés dans des sacs poubelles, alors qu'ils n'ont que 1 à 2 jours. Dans la filière foie gras, autant de canetons femelles sont sacrifiés sur l'autel de la rentabilité humaine. Au totale, ce sont 143 milliards d’animaux, toutes espèces confondues (50 milliards sans les poissons), soit 20 animaux par personne sur Terre, avec des inégalités affligeantes, qui sont sacrifiés chaque année dans le monde sur les barbecues, dans les casseroles et les fours des humains, au rythme effarant de 4 400 animaux par seconde. La FAO prévoit 50 milliards d'animaux de plus à l’horizon 2050. Mais enfin, si en 2016, les 7 milliards d’êtres humains dont Monsieur et Madame, ne sont même pas encore fichus d’être à la hauteur de leur rang dans l’évolution des espèces, de diminuer drastiquement cette consommation immodérée et irréfléchie de viande et de traiter les animaux avec éthique, comment s’étonner que le monde des humains soit aussi violent de nos jours ? Si dans les guerres et les famines, la cruauté et l'égoïsme humains sont évidents, ceux-ci le sont tout autant dans la maltraitance animalière. 

Bon, revenons à nos moutons. Hasard des coïncidences, le même jour où Jacques Hamel a été sacrifié sur l’autel d’Allah, de l’autre côté de la planète et à quelques heures près, un horrible crime a sidéré le Japon et le monde. Et alors que d’un côté, rien ne semblait atténuer la colère de Monsieur et de Madame tout le monde, choqués par l’égorgement du prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray et offusqués par l’attitude des musulmans de France et du monde, de l’autre côté, je voyais des Français pas dérangés outre mesure par le massacre japonais. Et pourtant, dans un coup de folie, Satoshi Uematsu, 26 ans, qui n’a probablement jamais entendu « Allah wou akbar » de sa vie, s’est introduit dans un centre pour des handicapés mentaux près de Tokyo, et a massacré 19 personnes au couteau aussi, avec une barbarie inouïe, blessant au passage 25 autres, car il avait décrété que « les handicapés devraient tous disparaître », comme « les apostats, les infidèles et les croisés » pour les jihadistes. Je me suis alors demandé qu’est-ce qui pouvait bien expliquer la sensibilité sélective des gens, que je ne conteste pas, mais que je voudrais comprendre. La religion du tueur et son idéologie ? La religion de la victime et la proximité culturelle et géographique du crime ? La projection psychologique ? L’identification ? Le risque encouru ?

Sans l’ombre d’un doute, c’est le risque encouru. Eh oui, la compassion de beaucoup de gens est finalement très hypocrite, elle est avant tout nombriliste. C'est en pensant à eux-mêmes et à ce qui peut leur arriver, que certains compatissent avec les autres. Justement, Monsieur et Madame se sentent plus menacés par les « Adel Kermiche » que par les « Satoshi Uematsu », surtout que de ce côté, en France, on a un homme, âgé de 19 ans, remis en liberté en mars, après dix mois de détention pour avoir tenté de rejoindre Daech en Syrie, avec assignation à résidence sous surveillance électronique. Il n’a pas fallu davantage pour faire délirer certains. Certes, l’homme avait des troubles psychologiques. Mais, il avait aussi des regrets et des projets professionnels, d’où la remise en liberté. Le second terroriste, identifié ce matin, se nomme Abdel Malik Nabil Petitjean, il est également âgé 19 ans et fiché S depuis un mois pour avoir voulu rejoindre la Syrie via la Turquie. Mais ce que Monsieur et Madame tout le monde ne comprennent pas c’est qu’on ne pourra ni emprisonner les gens à perpétuité ni les surveiller 24h/24 toute leur vie, parce qu’ils ont tenté de partir en Syrie ! En tout cas, c’est après la dénonciation par sa famille qu’Adel Kermiche fut arrêté en Allemagne la première fois et en Turquie la deuxième fois, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre l'organisation terroriste Daech. Les deux terroristes ont été abattus par les forces de police. De l’autre côté, dans le caddie, je voyais des lardons, des rillettes et des frites, mais aussi un couple en surpoids et sédentaire, qui fume comme un pompier, qui boit comme un trou et qui conduit comme un pied. Je sais par ailleurs que Monsieur a le QI d’une huitre et que Madame le QE d’une moule.

Et là, en les regardant se diriger vers leur voiture, j’étais sceptique, perplexe et dubitatif. Pourquoi ce couple a-t-il si peur de mourir entre les mains des islamistes, alors que ce qui les tuera probablement c’est leur QI, leur cholestérol et leur conduite, au sens propre comme au sens figuré ? Mais pourquoi diable ils en veulent à ce point au président de la République, François Hollande, au Premier ministre, Manuel Valls, et au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, alors que le « risque zéro » est un caprice des temps modernes de gens gavés, égocentristes et complètement déconnectés de la réalité ? Qui veut le « risque zéro » n’a qu’à s’occuper d'abord de son QI, de son cholestérol et de sa conduite, on en parlera après !

Le terrorisme islamique doit être combattu d’une manière impitoyable. Les lois doivent s’appliquer avec une grande vigueur. Comme dans les crashs, il faut combler les failles de sécurité si nécessaire, après chaque attaque terroriste. Mais ceci doit se faire non seulement dans le respect absolu des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais aussi sans tomber pour autant dans une hystérie collective, obsessionnelle et confuse, de l’islam et de l’islamisme. C'est valable pour la France et pour les autres pays occidentaux, il n'est nul besoin de sacrifier les valeurs de l’Occident, pour s’accrocher aux chimères populistes des démagogues en vogue en période préélectorale. Nous risquons sérieusement de perdre les valeurs qui font le fondement de la culture occidentale, notamment européenne, sans jamais atteindre le « risque zéro » en matière de sécurité. Vivre c’est prendre constamment des risques, de la naissance jusqu’à la mort, qui peut survenir d’une manière prématurée et non naturelle, de mille et une façons qui dépendent de nous pour une grande part

Encore une chose à tous ceux qui n’ont rien pigé à la civilisation occidentale, qu’ils soient en Occident comme en Orient. Si la France est une cible de préférence pour les islamistes c’est pour trois raisons principales. Primo, parce qu’elle était la fille ainée de l’Eglise, le fer de lance des croisades et un pays colonisateur. Secundo, parce qu’elle est le berceau de la Révolution française et des droits de l’homme. Tertio, parce qu’elle restera le pays où les personnes de confession musulmane peuvent le mieux « s’épanouir » grâce à la séparation des Eglises et de l’Etat. Son triptyque républicain résume merveilleusement bien les valeurs de l’Occident : liberté, égalité et fraternité. La liberté de penser, l’égalité pour les citoyens et la fraternité entre les enfants de la patrie. Ces valeurs sont universelles et intemporelles. Ce sont elles que les islamistes visent. Ce sont elles que les islamistes craignent. Par conséquent, elles devront primer sur toute autre considération, notamment sécuritaire. Que ça soit claire, je suis favorable à toute mesure politico-sécuritaire sans exception, dans le but de diminuer le risque terroriste islamiste, à condition d’évaluer son efficacité, son coût et ses conséquences sur ces valeurs occidentales, au-delà des effets d’annonce, de la charge démagogique et des perspectives politiciennes. Eh oui, pour terrifier les islamistes et terrasser les jihadistes, il faut que tous les enfants de la patrie, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, se raccrochent aux valeurs occidentales et non aux chimères sécuritaires du risque zéro.

Terminons par des anecdotes sur la photo de l’article. Non ce n’est pas le fronton d’une mairie de France, mais celui de l’Église Saint-Pancrace d'Aups dans le Var. Un édifice construit en 1489. Il est aujourd'hui inscrit aux Monuments Historiques. Ce fronton fut réalisé après la séparation des Eglises et de l’Etat en 1905, qui, je le rappelle, et contrairement à ce que certains pensent, garantit la liberté de culte à tout un chacun en France, en contrepartie de la laïcité de la République de tous. Aucune loi n’a été aussi visionnaire que celle de la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, oh combien indispensable dans le monde cosmopolite et multireligieux de nos jours. La laïcité est une valeur occidentale fondamentale qui terrifie les islamistes. Enfin, l’Eglise catholique reconnait trois Saint-Pancrace, de Taormine, de Rome et de Besançon, tous morts en martyrs aux premiers siècles du christianisme. Celui de Rome est l’un des trois « saints de glace », que les agriculteurs français connaissent bien depuis la nuit des temps. Ils sont fêtés les 11, 12 et 13 mai, et invoqués pour protéger les cultures des gels tardifs. Cependant, courges, tomates et consorts ne sont jamais, au grand jamais, plantées en pleine terre avant la mi-mai. Saint-Pancrace de Rome fut décapité en l’an de grâce 304 à l’âge de 14 ans, comme son oncle, Saint-Denis, premier évêque de Paris, mort en martyr vers l’an 250 à Montmartre, mons Martyrum, le mont des Martyrs. Il est de ce fait le saint patron des enfants et des adolescents, mais aussi des gens de bonne foi. Il est également le protecteur des animaux domestiques. Mais allez comprendre pourquoi, il est par ailleurs, le saint patron des bandits corses !

vendredi 22 juillet 2016

Des ponts du Bosphore au pont du 14-Juillet, Erdogan Ier d'Anatolie et les théoriciens du complot dans tous leurs états (Art.376)


Recep Tayyip Erdogan en 2011, il était alors
Premier ministre. Photo Umit Bektas (Reuters)
Si je devais m’incarner en une ville, ça serait Istanbul, la Constantinople de jadis, la ville qui se situe à cheval entre l’Orient et l’Occident, comme moi. L’échec du coup d’Etat en Turquie fait couler beaucoup plus d’encre que s’il n’avait réussi. Toutes sortes d’éléments ont nourri ces derniers jours de nombreuses théories du complot. La plus stupide d’entre elles est celle qui attribue aux Américains l’organisation du coup d’Etat. Pas la peine de développer, allons plutôt vers la plus surréaliste des théories. Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que certains n’accusent Erdogan d’avoir fomenté le coup d’Etat dans le but d’éliminer ses adversaires politiques. C’est une idée tout aussi nase et stupide, que l’autre théorie du complot bidon et crétine qui attribue le 11-Septembre aux services américains de renseignement. Primo, profiter d’une situation pour appliquer une politique sécuritaire ou autoritaire est une chose, la créer en est tout autre ! Secundo, si on a tenté de renverser le président turc, c’est qu’il y avait au fond une frange importante de l’armée qui grondait et qui n’avait pas besoin qu’on lui souffle à l’oreille l’idée du putsch, dans un pays qui a connu quatre coups d’Etat et de force depuis la mort du « Père des Turcs » (1960, 1971, 1980, 1997). Tertio, aucun dirigeant politique normalement constitué, et c’est le cas d’Erdogan qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, ne peut sous aucun prétexte prendre l’énorme risque que représente un putsch, pour mettre en œuvre un agenda politique déjà en place. Rappelons que le putsch du 15 juillet a fait 312 morts dont 145 civils, et que la situation était très incertaine, voire en faveur des putschistes, les trois premières heures.

Passons maintenant à quelques idées de complot grotesques que l’on trouve dans l’article d’un dénommé David Hearst et que l’on retrouve dans d’autres articles de la presse internationale, arabe en tête. Le journaliste du Huffington Post, a commencé par nous expliquer que « pour faire échouer le coup d’Etat, le président turc a utilisé un iPhone ». Il y a quelques années, on nous a annoncé en grande pompe qu’il utilisait un iPad. Apple n’en demande pas tant ! L’ex-Guardian fait référence au recours d’Erdogan à FaceTime, une application de visioconférence développée par le fabricant américain, pour demander au peuple turc de se soulever. Sauf qu’il a échappé au journaliste que FaceTime ne permet de communiquer qu’avec des personnes qui ont un iPhone et FaceTime, l’application est incompatible avec les téléphones fonctionnant sous Android (Samsung) et Windows (Nokia, Microsoft) et enfin, il n’est pas possible de lancer des conférences de groupe avec ce logiciel. 


Donc, contrairement à ce que laissent croire certains commentaires, Erdogan n'a pas mené cette bataille de survie avec FaceTime, loin de là. D'ailleurs, son apparition sur l'iPhone de la journaliste de la chaine turque de CNN, n'était pas tout à fait en sa faveur. Il était déjà presque minuit et le putsch était mené depuis près de trois heures. Le président turc est apparu cloitré, crispé, abattu et délaissé. Il donnait plutôt l'impression que c'était fini pour lui. Au total, non, « l’iphone n’a pas défait les chars turcs », c’était un peu plus compliqué que ça, j’y reviendrai.

Mais bon, c’est autre chose dans cet article qui m’a attiré l’attention, un élément encore plus risible que j’ai lu aussi ailleurs dans la presse internationale. « Le consulat de France a fermé deux jours auparavant. Est-ce qu’il était au courant de quelque chose que la Turquie ignorait ? » Waouh, c’est le haut de gamme du journalisme ! Il a sans doute échappé à ce journaliste pourtant chevronné, que le consultat a fermé ses portes le mercredi 13 car le jeudi 14 juillet c’était la fête nationale de la France et il ne les a pas ouvertes vendredi 15, parce qu’il existe en France une tradition de « faire le pont », qui n’a rien à voir avec les deux ponts du Bosphore qui relient l’Orient à l’Occident, et qui consiste à s’accorder un congé supplémentaire le lundi ou le vendredi, quand le jour férié tombe un mardi ou un jeudi, pour s’offrir un long weekend, comme ce fut le cas cette année. Ouf, avec certains, il faut des explications « à la cuillère », bel ma3el2a, comme on dit dans nos contrées orientales. Le pire, c'est Erdogan lui-même, qui vient de déclarer à la chaine Al-Jazeera, que des pays étrangers pourraient être impliqués dans le putsch. Déjà qu'il était un peu paranoïaque sur les bords bien avant le putsch, je vous laisse imaginer dans quel état d'esprit se trouve le président turc après le 15 juillet !

Et puis diable, comment peut-on imaginer la moitié d’un quart de seconde, que des pays étrangers comme la France ou les Etats-Unis, étaient au courant des intentions de certains militaires turcs, mais pas le réseau d’influence du gardien de la Sublime Porte qui tient les rênes du pouvoir depuis si longtemps : comme Président de la République depuis 2014, comme Premier ministre entre 2014 et 2003, comme maire d’Istanbul entre 1998 et 1994, et comme président du Parti de la justice et du développement (AKP), la principale force politique turque depuis quinze ans ? Coucou les gars, quitte à fumer sa moquette, autant choisir une de bonne qualité.

Toujours est-il qu’il est plus qu’inutile de nous perdre dans de longues analyses à n’en plus finir, sérieuses et moins sérieuses, dont celle qui est allée jusqu’à attribuer l’échec des putschistes à une intervention divine. Je l’ai précisé dans un statut peu de temps après le début du putsch, la réussite du coup d’Etat en Turquie dépendra surtout de la capture rapide de la tête du pouvoir contesté, Recep Tayyip Erdogan. 

Au milieu de l'après-midi du vendredi 15 juillet, les services de renseignement turc (MIT) détectent une « activité extraordinaire » sur une base militaire à Ankara. Le temps que l'information remonte, qu'on fasse des vérifications et que les putschistes se rendent compte qu'il y a rupture de la « chaine du secret » en début de soirée, la nuit commençait à tomber sur l'Anatolie mais l'heure prévue du déclenchement du coup d'Etat était encore loin. C'est alors que les rebelles décident d'exécuter leur plan avec 6 heures d’avance. Elementaire mon cher Watson. Mais enfin, on ne fait pas de putsch au milieu d’une soirée d’été, quand tous les Turcs de 7 à 77 ans, dégustent à la fraiche des mezzés et des kebabs en sirotant à la belle étoile, un gül serbeti (le délicieux sirop de rose), un ayran, un kahvesi, un çay, une Efes ou un raki ! Le top départ était prévue au milieu de la nuit, vers 3h du matin. Bilan des courses, quand les forces rebelles héliportées se sont présentées à Marmaris, en face de l’île de Rhodes, pour capturer Erdogan, il venait tout juste de partir. Ainsi, comme la capture n’a pas eu lieu dans les premières heures, la rébellion n’avait plus aucune chance de réussir son coup. Ce point était capital, non seulement afin d’empêcher Erdogan de réagir efficacement, en donnant des ordres pour mobiliser ses troupes et son réseau d’influence, mais surtout afin de gagner l’adhésion des responsables politiques et militaires turcs indécis, qui ont attendu évidemment de voir de quel côté allait pencher le rapport des forces, avant de se décider. Peu de temps après minuit, il était clair qu’Erdogan avait la main à Istanbul et à Ankara. Le reste de l’histoire était donc écrit d’avance. La réussite d’un coup d’Etat fait appel autant à la force militaire qu’à la pression psychologique, à l’effet de surprise qu’à la célérité des actions.

Au-delà du timing, si le coup d’Etat a échoué c’est aussi à cause de trois facteurs convergents liés à Erdogan. Primo, le président turc a réussi à demander aux citoyens de descendre dans la rue pour faire face aux putschistes (tout l’enjeu de la capture !). Secundo, les mosquées qui adhérent à la politique de celui qui se place comme un islamiste-conservateur ont relayé massivement les appels du président turc et du ministre turc des Affaires religieuses à la population pour faire barrage aux militaires. Ce facteur a été déterminant. Tertio, que ça plaise ou pas, le peuple turc reste dans son écrasante majorité fidèle à Recep Tayyib Erdogan, qui, il faut le reconnaitre a beaucoup œuvré pour l’économie et le progrès social. Un facteur bonus a pesé de tout son poids et a dissuadé beaucoup de Turcs de rejoindre la rébellion, c’est la politique répressive menée par Erdogan Ier d'Anatolie depuis qu’il s’est installé au haut sommet de l’Etat, en 2003.

Le hasard a voulu que je publie en avril dernier l’article « Il est temps que l’Europe défende ses valeurs et dise à Erdogan ses quatre vérités ! La Turquie d’Atatürk mérite mieux », à la suite de la crise de nerfs que le président turc a faite devant Angela Merkel après la diffusion de la chanson satiriste allemande « Erdowie, Erdowo, Erdogan ». Voici ce que j’ai écrit à son sujet : « Recep Tayyib Erdogan ne résigne devant rien pour verrouiller son pouvoir, museler ses opposants, imposer ses idées islamistes et remanier en profondeur la république moderne laïque fondée par le père de la nation turque, le visionnaire Mustafa Kemal Atatürk. » Dans la panoplie des atteintes graves à la démocratie en Turquie sous le règne d’Erdogan Ier d'Anatolie, on retrouve pêle-mêle : la limitation de la liberté d’expression (depuis qu’il est président de la République, Erdogan poursuit les citoyens turcs pour « insulte au président » à un rythme de 100 plaintes/mois), la persécution des opposants, l’emprisonnement de journalistes, les poursuites de ses rivaux, l’atteinte à la laïcité turque, la répression violente des manifestations pacifiques, les purges dans la police et la justice, la volonté de s’en prendre aux droits de la femme et la criminalisation de l’intégration des Turcs dans les sociétés européennes (« L'assimilation est un crime contre l'humanité », c'était Erdogan, Premier ministre, à Cologne en 2008 !). Bilan des courses, selon Reporters Sans Frontières, l’évaluation de la liberté de la presse dans 180 pays du monde pour l'année 2015, classe la Turquie à la 149e place, juste devant la Libye (154), un peu mieux que la Corée du Nord (179), la Syrie (177), l’Iran (173) et l’Arabie saoudite (164), beaucoup moins bien que l’Afghanistan (122), le Liban (98), la France (38), l’Allemagne (12) et la Finlande (1). C’était le terrible bilan que j’ai dressé il y a trois mois. Je n’ose même pas imaginer la situation aujourd’hui après la tentative de coup d’Etat du 15 juillet.

A ce propos, dès son retour à Istanbul, Erdogan a assuré ses supporters que la tentative de coup d’Etat était « une bénédiction d’Allah » puisqu’il permettra de « nettoyer l’armée ». Profitant de l’aubaine, afin de verrouiller davantage le pouvoir, la réponse d’Erdogan a viré très vite à la répression hystérique, plutôt qu’à l’application sereine des lois en vigueur dans un Etat de droit. Le ton adopté s’est inscrit d’emblée dans un registre fasciste : « Nous allons continuer d’éliminer le virus de toutes les institutions étatiques... Hélas, ce virus, comme un cancer, s’est propagé à tout l’Etat ». Aussitôt, le président turc instaure l'état d'urgence pour trois mois, avec la possibilité d'effectuer des gardes à vue de 30 jours. Toutes les missions à l'étranger pour les universitaires ont été supprimer jusqu'à nouvel ordre. Il a laissé entendre qu’il serait amené à rétablir la peine de mort, abolie en 2002. Le site Wikileaks a été bloqué.

Sur le terrain, on a assisté à des scènes de lynchage de certains putschistes et à un refus de la direction des affaires musulmanes de pourvoir au service religieux des putschistes décédés, dans l'indifférence générale des autorités turques. La tentative de coup d’Etat a fait basculer Erdogan dans une crise paranoïa inouïe, qui l’a poussé à mettre derrière les barreaux près de 6 000 militaires. Et puisqu’on y est, pourquoi ne pas se débarrasser des magistrats gênants ? Mais quel est le rapport avec le putsch? Aucun. Dans la foulée, on apprend que 2 745 juges sur l’ensemble du territoire turc seront démis de leurs fonctions et deux des 17 juges de la Cour constitutionnel ont été jetés en prison. Mais bordel, quel est le rapport avec le putsch ? Aucun. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin. Voilà qu’on apprend aussi que 15 200 fonctionnaires du ministère de l’Education seront suspendus de leurs postes et qu’on a demandé à 1 577 recteurs et doyens d’université de « démissionner ». Mais putain de bordel, quel est le rapport avec le putsch ? Aucun. Circulez, il n’y a rien à voir. Pour l’instant, 9 322 militaires, policiers et magistrats sont poursuivis par la justice et au moins 25 000 fonctionnaires ont été suspendus ou démis de leurs fonctions, 11 000 passeports invalidés. En plus, on a procédé à la fermeture pure et simple de 1 043 établissements d'enseignement privé, 1 229 associations et fondations, 35 établissements de santé et 19 syndicats et fédérations. Et ce n'est pas tout, 24 chaines de TV et de radios et 34 journalistes ont été interdits d’exercer leurs professions

Au total, tous secteurs confondus (militaire, police, judiciaire, ministères de l'Intérieur, de l'Education nationale, des Finances, Affaires sociales, etc.), 55 000 Turcs ont été placés en garde à vue, emprisonnés ou démis de leur fonction. Ainsi, une question fondamentale s’impose : comment peut-on « neutraliser » des dizaines de milliers de personnes en quelques heures, si des « listes » n’étaient pas prêtes d’avance ? Le coup d’Etat raté de l’armée turque cachait sans l’ombre d’un doute un "putsch" en préparation du régime d’Erdogan.

En fait, il y a bel et bien un rapport entre les contre-réactions tous azimuts d’Erdogan et le putsch. Il est lié aux objectifs du président turc. A court terme, le « virus » qu’Erdogan se propose d’éradiquer concerne les partisans de l’imam Fethullah Gülen, un intellectuel turc qui vit depuis 1999 aux Etats-Unis. C’est l’ennemi numéro un d’Erdogan, c’est son obsession, c’est l’adversaire à abattre. Le président turc remue ciel et terre pour obtenir son extradition. Gülen a pourtant nié toute implication dans le mouvement insurrectionnel. L’imam exilé partage avec Erdogan, la même vision conservatrice, traditionnel et islamiste de la société. Sur la forme, la grande différence entre les deux hommes réside dans le fait que l’un est au pouvoir, depuis longtemps, l’autre pas. Sur le fond, alors qu’Erdogan est obsédé par le pouvoir, qu’il ne veut pas partager, Fethullah Gülen représente un important courant de pensée islamique, qui prône l’implication des musulmans pour le « bien commun » des musulmans et des non-musulmans, de Turquie et du monde, ainsi que le dialogue religieux avec les Gens du Livre (les chrétiens et les juifs). Les deux hommes étaient même alliés pendant plus de dix ans. Les dérives autoritaires du président turc et des soupçons de corruption pesant sur son entourage, les ont brouillés. A long terme, l’objectif d’Erdogan est d’imposer un régime présidentiel via une réforme de la Constitution. N’ayant pas la majorité nécessaire jusqu’à maintenant, le président turc compte passer par référendum, profitant du regain de popularité grâce à la divine aubaine de la tentative de coup d’Etat du 15 juillet.

Et pendant ce temps, les Etats-Unis ne trouvent rien à redire sur l’épuration erdoganienne en cours, la Turquie étant un membre de l’OTAN à la position stratégique incontournable. Si l’Europe critique ouvertement le nettoyage de la scène politique par le régime d’Erdogan, elle n’ose cependant pas sanctionner la Turquie, par crainte que le gardien de la Sublime Porte ne remette en cause le récent accord sur les migrants signé avec l’Union européenne. Seule la Russie de Poutine semble bien comprendre la situation. Recep Tayyip Erdogan est indéniablement un homme charismatique qui a été globalement positif pour la Turquie et les Turcs, sur les plans économique et social, sinon, il ne faut pas se leurrer, il ne serait pas aussi populaire aujourd'hui. Le problème c’est que le président turc est également non seulement un homme susceptible, mais c’est aussi un paranoïaque à l’ego surdimensionné, avec une tendance totalitaire et un penchant islamiste.  

Personne ne conteste à la Turquie le droit souverainiste de poursuivre les auteurs du coup d'Etat militaire. Le problème c'est ce putsch civil en cours, que rien ne semble pouvoir arrêter. Appelez cela comme vous voulez, punition collective, purge ou totalitarisme, une chose est sûre et certaine, ce qui se passe en Anatolie actuellement nuira gravement et durablement à l’Etat de droit et à la démocratie dans cet Etat « modèle » pour l’ensemble des pays arabo-musulmans. Eh bien, pourvu que ça ne dure pas.

dimanche 17 juillet 2016

Le meurtrier de Nice : tueur de masse et terroriste islamiste ? (Art.375)


Au lendemain de l'attaque meurtrière de Nice
survenue lors de la fête du 14-Juillet
Source AFP
Les cœurs sont lourds. Mais cela ne doit pas empêcher les esprits d’être vifs. Plus de deux jours après l’attaque meurtrière de Nice, voici quelques réflexions à froid sur cet événement tragique, avec les certitudes et les doutes.

1. Commençons par les faits. Côte d’Azur, fête nationale du 14-Juillet, 22h45. Un camion fonce dans une foule rassemblée paisiblement sur la Promenade des Anglais pour regarder le feu d’artifice. Il réussit à parcourir 1 800 m. Le chauffeur tire avec un revolver en direction de plusieurs policiers présents sur les lieux. Bilan 84 morts et deux fois plus de blessés, dont une cinquantaine se trouve dans un état grave. Le camion était conduit par Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un Tunisien âgé de 31 ans, résident à Nice et condamné auparavant pour violences. Il sera abattu par la police quelques minutes plus tard.

2. Disons aussi d’emblée, rien n’indique formellement pour l’instant qu’il s’agit d’une attaque terroriste islamiste organisée par Daech. Mais, comme le chauffard qui avait bel et bien l’intention de tuer le maximum de gens, était de confession musulmane, ceci constitue une preuve plus que suffisante pour certains. Certes, l’action pourrait être considérée comme une réponse aux appels lancés à plusieurs reprises par les terroristes de l'organisation Etat islamique aux musulmans d’Occident pour « tuer un infidèle américain ou européen, surtout un méchant et dégoûtant Français... de quelque manière que ce soit » (sept.2014), à « attaquer les croisés (chrétiens) où qu'ils soient » (janv. 2015) et à faire du mois de ramadan de cette année « un mois de calamité partout pour les non-croyants... (car) il n’y a pas d’innocents chez les mécréants » (mai 2016). D’ailleurs, l’appel qui a suivi le début de l’offensive occidentale contre l’Etat islamique en septembre 2014 était même très précis : « Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec une voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le ».

Cependant, les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas d’avancer avec certitude que Bouhlel était « sans doute lié à l'islam radical, d'une manière ou d'une autre » comme l’a affirmé avec précipitation le Premier ministre français, Manuel Valls. Primo, on ne retrouve pour l’instant aucune lien avec le milieu islamique radical, mais des fusils d'assaut, un revolver et une grenade, tous factices. Secundo, au lendemain de l’attaque de Nice, celle-ci n’a été revendiquée par aucune organisation terroriste islamiste radicale, ni Daech ni Al-Qaeda. Tertio, un précédent qui sème le doute existe, à Dijon, en décembre 2014, où un automobiliste avait foncé sur des piétons en criant « Allah wou akbar », blessant une douzaine de personnes, sauf qu’après enquête, on a découvert que l’illuminé était un ancien toxicomane atteint d’une « psychose » et avait effectué 157 séjours en hôpital psychiatrique les 15 dernières années. En tout cas, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, conclut dans un premier temps, qu’il n’y a « pas en l’état des informations » pour accréditer la thèse de l’islamisme radical.

3. Mohamed Lahouaiej Bouhlel a déjà été condamné pour violences. Il ne fallait pas plus pour certains, pour croire avoir détecté la faille du système qui explique la tuerie, le laxisme de la justice française. Une première recherche permet de découvrir que ce chauffeur de poids lourd a effectivement fait usage d’une « arme » lors d’une altercation routière, mais au moyen d’une palette en bois. De plus, ce n’est pas parce qu’on a été condamné à 6 mois de prison pour violences, qu’on peut être interné ou surveillé pour le reste de sa vie. Il faut savoir que près de 878 000 infractions ont été sanctionnées en France au cours de l’année 2014, menant à 584 000 condamnations inscrites au Casier Judiciaire. On a dénombré 284 000 délits liés à la circulation routière et 120 000 atteintes aux personnes, càd des actes violents. Quant à l’internement des personnes fichées S par les services de renseignement (pour « atteinte à la sûreté de l’Etat »), si on écoute la droite et l’extrême droite en France, non seulement on aura à créer et à gérer une Guantanamo-Ville de plus de 11 000 habitants (englobant des islamistes mais aussi des hooligans, des extrémistes de droite comme de gauche), mais en plus, cette mesure pose divers problèmes : une longue privation de liberté est du ressort de la justice et non de la police ; l’internement ne peut être décrété à vie surtout que le fichage peut n’être basé que sur des soupçons, peu de preuves ou de petits délits ; cela permet aux personnes suspectées de radicalisme de savoir qu’elles sont surveillées. En plus, le Tunisien de Nice était un père de famille inconnu des services de renseignement. Cela n’a pas empêché Alain Juppé, présidentiable qui se nourrit au petit lait des sondages, d’affirmer que « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu ». Ah bon ! Mais quoi au juste ? Et encore, c'était « le meilleur d'entre nous » comme disait Chirac. Pour les autres, c'est une véritable catastrophe pour certains. « On me dit "c'est difficile d'arrêter un camion"... Et puis des moyens dont on dispose ! Il suffit de mettre à l'entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrêtera le camion de 15 tonnes, voilà c'est tout ! Sinon, c'est pas la peine d'utiliser des militaires. » C'était Henri Guaino, député de la nation et ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. On n'a pas de pétrole en France, mais certains ont des idées lumineuses.

Il est indéniable qu’un des grands défis pour les hommes politiques aujourd’hui, en France et ailleurs, dans un contexte de menaces et de risques, c’est de résister à la pression populaire du « risque zéro » et à la dérive populiste du « tout sécuritaire ». On dirait que l’immunité de certains dans ce domaine est particulièrement effondrée. Et là, nous ne pouvons que nous réjouir de celle du Premier ministre français, Manuel Valls :
« La réponse à l'Etat islamique ne peut pas être la "Trumpisation" des esprits ». Pourvu que ça dure.

4. Surprise, ce n’est que samedi 16 juillet 2016, que Daech a revendiqué l’attaque de Nice. Dans un communiqué publié par l’agence djihadiste Amaaq, Mohamed Lahouaiej Bouhlel est présenté comme « un des soldats de l’Etat islamique » qui aurait répondu à l’appel de l’organisation terroriste de « viser les ressortissants de la coalition qui combat l’Etat islamique ». Si la revendication semble authentique, rien n’explique pourquoi il a fallu attendre le surlendemain de l’attaque pour l’annoncer. En plus, beaucoup d’éléments sèment le doute. Le Tunisien de Nice est considéré par ses voisins comme un « musulman peu pratiquant », qui ne fait ni la prière ni le ramadan. Il ne va pas à la mosquée, boit de l’alcool et mange du porc. Certes, cela n’exclut pas une radicalisation récente, mais une chose est hautement probable, l’Etat islamique n’est pas l’organisateur de l’opération macabre du 14-Juillet. Rien à voir avec les attaques terroristes du 13-Novembre ! Si Daech avait la capacité de s’en prendre à la France, non seulement il ne se gênerait pas, mais en plus, l’organisation terroriste aurait ciblé le Championnat d’Europe de football et la Grande boucle, plutôt que le feu d’artifice de Nice. L’Euro 2016 c’est un spectacle de 51 matchs qui s’est déroulé sur 31 jours et qui a rassemblé 2,5 millions de spectateurs dans 10 villes en France. Le Tour de France 2016 c’est un spectacle de 21 étapes qui se déroulent sur 23 jours et qui rassemble jusqu’à 12 millions de personnes le long des 3 500 km parcourus dans l’Hexagone. Les deux grands événements sportifs se sont déroulés sans aucun incident terroriste, le premier est terminé, le second prendra fin le dimanche 24 juillet avec l’arrivée des cyclistes sur les Champs-Elysées. Ainsi, contrairement à ce que pensent certains experts, comme le spécialiste du jihadisme en France, le journaliste David Thomson, ou le président du Centre d'Analyse du Terrorisme, Jean-Charles Brisard, la revendication de Daech s’apparente bel et bien à une appropriation opportuniste de l’événement tragique.

5. Pour être complet sur le sujet, il faut savoir par ailleurs que Mohamed Lahouaiej Bouhlel qui est décrit par ses voisins de quartier comme « un homme solitaire, silencieux et caractériel », est connu aussi pour violence conjugale. Il est actuellement en instance de divorce. Il serait marqué par sa séparation avec sa femme, sa cousine par ailleurs, une Franco-tunisienne qu'il a épousé en Tunisie et par le biais de qui il a pu venir en France et obtenir sa carte de résident en 2009. Il était bi-sexuel et très attaché à l'image qu'il donnait de son corps. Pour un autre voisin qui l'a rencontré il y a deux semaines à Nice, il était déprimé, instable, stressé, « on aurait dit que c'était fini pour lui ». D'autres le décrivent comme quelqu'un de « bizarre ». Si la thèse du terrorisme islamiste est plausible, il faudrait aussi ne pas écarter la piste du tueur de masse à la tendance suicidaire, ayant commis un homicide volontaire avec préméditation, inspiré doublement par la propagande islamiste de Daech et la haine de la France. Le père du criminel, Mohamed Mondher Lahouaiej-Bouhlel, qui se trouve en Tunisie, assure que son fils était « colérique, solitaire et déprimé ». L’info est confirmée par sa sœur Rabeb Bouhlel qui affirme, « nous avons remis à la police des documents qui prouvent qu'il a consulté des psychologues pendant plusieurs années ». Le psychiatre tunisien qui l’a vu en 2004 à la demande du père, a confirmé que le jeune avait « un début de psychose et des troubles du comportement » qui pouvaient conduire à une schizophrénie. En tout cas, d’éventuels troubles psychologiques ne sont pas incompatibles avec une radicalisation islamiste, bien au contraire. Selon une source policière « le tueur était en relation avec des personnes, elles-mêmes en contact avec des islamistes radicaux, mais à ce stade cela ne prouve rien ». Aux dernières nouvelles, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé « qu’il semble qu’il (Mohamed Lahouaiej Bouhlel) se soit radicalisé très rapidement ». De quelle façon ? On ne le sait pas encore.

6. A ce propos, même si ce n’est pas totalement comparable, il faudrait tout de même se souvenir du cas d’Andreas Lubitz, un Allemand âgé de 28 ans, dépressif, copilote de la compagnie Germanwings, qui s’est enfermé le 24 mars 2015 dans le cockpit de l’airbus A320 qui reliait Barcelone à Düsseldorf, et qui a écrasé l’avion qu’il pilotait sur un flanc de montagne des Alpes-de-Haute-Provence, tuant 144 passagers et 5 membres d'équipage. Rappelons-nous aussi les attaques terroristes de Norvège survenues le 22 juillet 2011, où un dénommé Anders Behring Breivik, un Norvégien d’extrême droite à l’idéologie nationaliste, âgé de 32 ans, avait fait exploser une bombe à Oslo, tuant 8 personnes, puis s’est rendu sur l’île Utoya où il a ouvert le feu sur un rassemblement du Parti travailliste norvégien, tuant 69 personnes. Il voulait dénoncer ceux qui permettaient « la colonisation de l’Europe par l’islam ».

Qu’est-ce que cela change au fond ? « Rien » pour les victimes. « Tout » pour notre perception de l’événement et de l’appréciation de la menace terroriste à l'avenir. C’est de ces deux paramètres que dépendra la réponse politique et sécuritaire. Aujourd’hui, toute la question étant de savoir est-ce que l’attaque de Nice résulte d’une pulsion morbide isolée ou d’une planification terroriste collective ? Cela change tout. Dans le premier cas, c’est un individu qui est fautif, il agit seul et par mimétisme. Dans le second cas, c’est une organisation islamiste, Daech, qui aurait commandité l’attaque terroriste au nom de l’islam, poussant les malintentionnés de tous bords, à rendre toute la communauté musulmane coupable. Je ne sais pas laquelle des deux options est plus rassurante, mais là n’est pas le sujet, il est important de ne pas se tromper de diagnostic.

7. Dans les deux cas, si les Musulmans d’Occident comme d’Orient doivent saisir à quel point la lutte contre l’islam radical est essentiel pour eux car celui-ci ternit gravement et durablement l’image de la religion musulmane dans le monde, les non-Musulmans d’ici et d’ailleurs doivent comprendre qu’il n’y a rien qui puisse nourrir l’islam radical autant que les amalgames ! Il faut dire que ces personnes malintentionnées, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, ne se rendent pas compte qu’elles fournissent une aide précieuse aux terroristes pour qu’ils atteignent leurs objectifs à long terme avec peu de moyens : propager la peur, terroriser les populations, paralyser les sociétés et infléchir la politique des Etats occidentaux. Une telle atmosphère de peur créera un climat suspicieux, qui conduira, comme le souhaitent les islamistes, à des clivages dans les sociétés occidentales, puis inévitablement à la stigmatisation des populations musulmanes d’Occident. Par la référence systématique de « l’Etat islamique » au caractère « croisé » de ses cibles européennes, Daech veut placer la confrontation actuelle dans une perspective religieuse d’un conflit islamo-chrétien, condition nécessaire pour provoquer des réactions hostiles envers les communautés musulmanes d’Europe, marginaliser certains ressortissants européens de confession musulmane, faire naitre chez eux le sentiment d’être rejetés, avant de les embrigader et en faire des « jihadistes sans frontières ». La prise de conscience de ce risque par tous les enfants de la patrie, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, des musulmans comme des non-musulmans, est vitale pour la nation française afin de faire face efficacement à la menace terroriste.

8. Voilà ce que l’on peut dire à l’heure actuelle. L’avenir proche nous permettra de compléter ces informations. Mais une chose est sûre et certaine dès à présent. Un des grands problèmes auxquels les sociétés occidentales devront faire face à l’avenir, surtout dans un contexte de terrorisme islamique et de médiatisation à outrance, c’est la gestion de l’information. Si on s’est retenus un peu dans le cas d’Andreas Lubitz, pour parler de terrorisme, on n’a pas hésité une seconde dès le départ dans le cas de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, pour évoquer la piste du terrorisme islamiste radical. « Au travers de Nice, c'est la France qui a été directement visée hier soir par le terrorisme islamiste », signé Nicolas Sarkozy, le revenant. « A nouveau la France plongée dans l'horreur. Pensées pour les victimes. La lutte contre le fondamentalisme islamiste doit démarrer », Marine Le Pen, l’opportuniste. Aucune retenue. Mais pourquoi ? Parce qu’il était musulman ! Matières à réflexion pour tout le monde, musulmans et non-musulmans.

9. Autre chose, quand je vois les dérapages de certains médias en France (comme l’a relevé le reporter Nicolas Henin, sur le live surréaliste de France 2 dans la nuit du 15 juillet, où un journaliste est venu interroger un homme éploré assis par terre, en lui demandant : « Bonsoir Monsieur, vous venez de perdre votre épouse. Une réaction ? »... Oui, casse-toi, pauvr’ con !) et dans le monde (TV, radios, journaux et internet... même Wikileaks n’a pas pu se retenir pour partager sur son site une vidéo gore choquante tournée peu de temps après le drame !), quand je constate la dérive populiste de certains hommes politiques (la palme d'or peut être attribuée au revenant, Nicolas Sarkozy, qui est parvenu après 72 heures d'intenses réflexions à la conclusion que « Tout ce qui devrait être fait depuis dix-huit mois n'a pas été fait... Nous sommes en guerre, une guerre totale (...) ça sera eux ou nous »), et quand je lis les réactions des individus nombrilistes (sur les réseaux sociaux), je crains plus pour l’avenir de l’humanité que dans le cas des menaces terroristes. Pas de doute, le grand danger pour nos sociétés aujourd'hui découle de cette nauséabonde course, comme après chaque drame, au « scoop », au « sensationnalisme », à la « démagogie » et à la « surenchère haineuse », d’un monde d'amateurs et de professionnels qui s’expriment pour certains, avec le QI d’une huitre et le QE d’une moule.