vendredi 22 décembre 2017

Les représentants de 86,5% de l'humanité ont condamné les Etats-Unis, qui n'ont été défendus que par les représentants de 0,5% de la population mondiale : le vote historique de l'Assemblée générale de l'ONU sur Jérusalem (Art.499)


Après le camouflet essuyé par les Américains lors du vote du projet de résolution sur Jérusalem lundi, approuvé par 14 membres du Conseil de sécurité de l'ONU, à l'exception des Etats-Unis (qui l'ont bloqué grâce à leur droit de veto), une nouvelle version de la résolution a été présentée au vote devant l'Assemblée générale de l'ONU jeudi, lors d'une « session extraordinaire d’urgence ». 

A cette occasion, le président américain Donald Trump et la représentante des Etats-Unis à l'ONU, Nikki Haley, se sont encore couverts de ridicule en menaçant une nouvelle fois le monde de représailles, affirmant que les Américains « se souviendront » de cette journée et « noteront » les noms des pays qui voteront en faveur de cette résolution, laissant entendre et sous-entendant que l'Amérique prendrait des sanctions financières à l'encontre des pays qui désapprouveront la démarche américaine, et baisserait leur contribution financière aux budgets de l'ONU et de ses organismes. Et alors que du côté de l'Assemblée générale de l'ONU on « déplore au plus haut point les récentes décisions (de Donald Trump) relatives au statut de Jérusalem », Nikki Haley a l'arrogance d'affirmer, « nous (Américains) avons l’obligation de demander un meilleur retour sur investissement »



Vote de la résolution A/ES-10/L.22 de l'Assemblée générale
de l'ONU sur Jérusalem (21 décembre 2017)
En vert, les pays "pour"; en rouge, les pays "contre;
en orange, les pays "abstentionnistes"; en gris, les pays "shopping de Noël" 

Source : Wikipedia (auteur carte Twofortnights)

Ce jeudi à New York, il n'y avait ni privilège ni veto, tous les pays de cette planète étaient sur un pied d'égalité, le Liban et la France, le Zimbabwe et les Etats-Unis, comme lors de n'importe quel scrutin où la voix d'un PDG ne vaut pas plus que celle d'un ouvrier. La résolution de l'Assemblée générale, comme celle du Conseil de sécurité, ne fait que rappeler trois évidences du droit international. 
. Primo, la dizaine de résolutions du Conseil de sécurité votées dans le passé, qui évoquent directement et indirectement le statut de Jérusalem-Est et les Territoires palestiniens occupés, s'imposent à tous les pays comme les lois pour les individus. 
. Secundo, l’acquisition de territoire par la force est illégale, toute décision unilatérale sur la partie est de la ville occupée lors de la guerre de 1967 est nulle et non avenue. 
. Tertio, le statut final de la ville sainte fera l'objet de négociations entre les Israéliens et les Palestiniens. 
En somme, « toutes décisions ou actions qui visent à modifier le caractère, le statut ou la composition démographique de la Ville sainte de Jérusalem n’ont aucun effet juridique, sont nulles et non avenues ». Voilà pourquoi, l'Assemblée générale de l'ONU « demande à tous les États de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques dans la Ville sainte de Jérusalem, en application de la résolution 478 (1980) du Conseil (de sécurité) ».

Après de longues tractations en coulisse, le vote des représentants de la population mondiale à l'ONU s'est réparti de la manière suivante: 


128 pays sur 193, soit 66% des membres de l'ONU, ont voté « pour » : Liban, France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume Uni, Autriche, Belgique, Danemark, Irlande, Norvège, Suède, Pays-Bas, Portugal, Suisse, Grèce, Chypre, Egypte, Irak, Arabie saoudite, Tunisie, Algérie, Maroc, Arménie, Congo, Nigeria, Turquie, Iran, Indonésie, Japon, Inde, Chine, Russie, Brésil, etc. Dans cette catégorie, on retrouve évidemment les 21 pays arabes membres de l'ONU, ainsi que l'ensemble de l'Europe des quinze avant son élargissement à l'Est (2004). Les pays de l'Union européenne ont voté massivement la résolution, 22/28 pays, on n'a compté que 6 abstentions, émanant toutes des ex-pays d'Europe de l'Est. A ce propos, il est intéressant de noter aussi que sur les 24 pays qui formaient l'Europe de l'Ouest, 22 ont voté la résolution, 1 seul a préféré faire le shopping de Noël (Saint-Marin, le mini-Etat situé en Italie), 1 ne pouvait pas voter en tant que pays observateur, le Vatican. Par contre, sur les 20 pays qui constituaient l'Europe de l'Est, seulement 11 ont voté la résolution, 7 se sont abstenus (6 étant actuellement membres de l'Union européenne) et 2 ont opté pour le shopping de Noël, l'Ukraine et la Moldavie. 

35 pays n'ont pas été capables de trancher et ont choisi finalement « l'abstention », soit 18% de l'ONU : Canada, Mexique, Argentine, Haïti, Australie, Philippines, Pologne, Hongrie, Roumanie, République Tchèque, Croatie, Bosnie, Cameroun, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud, et un tas d'autres petits pays (Jamaïque, Lettonie, Lesotho, Fidji, Kiribati, îles Salomon, Trinité-et-Tobago, Tuvalu, Vanuatu), etc. 

21 pays ont zappé leurs obligations diplomatiques et ont préféré faire le « shopping de Noël », soit 11% de l'ONU : Salvador, Géorgie, Ukraine, Birmanie (pays trop occupé avec les Rohingya!), RD Congo, Kenya, Mongolie et d'autres petits pays (Samoa, Saint-Marin, Sao Tomé-et-Principe, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie, Tonga, Swaziland, Timor oriental), etc. 

9 pays ont voté « contre », soit seulement 5% de l'ONU : ils méritent une escale. 

Parmi les 9 protestataires, on retrouve évidemment, les Etats-Unis et Israël, les fauteurs de trouble. En renfort, ils sont rejoints par le Guatemala (dont les échanges avec les Etats-Unis s'élèvent à 41% des exportations et 34% des importations!), le Honduras (dont le principal partenaire commercial n'est autre que les Etats-Unis, 35% des exportations et 41% des importations!), le Togo (dont le président Faure Gnassingbé, 12 ans de règne et 8 femmes connues, qui a succédé à un père qui affichait au compteur 38 ans de mandat, a eu droit au déroulement du tapis rouge par Benjamin Netanyahu, lors de sa visite privée à Jérusalem, en août 2017), Nauru (Océanie, 21 km2, 10 000 habitants, pays considéré comme un micro-Etat voyou, pratiquant entre autres le blanchiment d'argent et la vente de passeport au plus offrant, un pays prêt à tout pour renflouer ses caisses !), la Micronésie (Océanie, 702 km2, 102 000 habitants), les Palaos (Océanie, 459 km2, 21 000 habitants) et les îles Marshall (Océanie, 181 km2, 71 000 habitants). Il faut savoir que ces trois derniers pays étaient sous mandat des Etats-Unis (respectivement jusqu'en 1990, 1994 et 1986) et possèdent toujours comme devise, le dollar américain. Et ce n'est pas tout, les trois archipels sont officiellement des Etats associés aux Etats-Unis via le Compact of Free Association, un accord international conclu entre les intéressés qui permet aux Américains d'utiliser ces îles comme des bases militaires, en échange de leur défense, des subventions et de l'accès de leurs citoyens aux services sociaux américains, sans oublier bien entendu un petit vote à l'ONU selon le bon vouloir de l'oncle Sam. Enfin, c'est pour vous dire, le poids des contestataires et la profondeur de leur contestation. Ce qui n'a pas empêché le bouffon de Jérusalem, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, de déclarer : « Nous rejetons cette décision de l'ONU et réagissons avec satisfaction face au nombre important de pays qui n'ont pas voté en faveur de cette décision... Nous remercions les pays qui ont voté ensemble avec Israël, ensemble avec la vérité ». Le « nombre important », c'est c'là oui ! Voyons ça de plus près. 


Si on se limite aux voix exprimées, comme lors de n'importe quel scrutin dans n'importe quelle démocratie, l'abstention et le shopping n'étant pas pris en compte, nous avons 128 voix en faveur de la résolution et 9 voix contre la résolution, soit respectivement, 93,5% en faveur de la condamnation des Etats-Unis et 6,5% contre leur condamnation


Passons maintenant au poids démographique et prenons en compte l'abstention et le shopping.

. Les 128 pays qui ont voté « pour » la résolution et la condamnation des Etats-Unis, représentent 6,163 milliards de personnes, soit 83% de l'humanité
. Les 9 pays qui ont voté « contre » la résolution et la condamnation des Etats-Unis, représentent 365 millions de personnes seulement, soit à peine 5% de l'humanité
. Les 35 pays abstentionnistes et les 21 pays obsédés par le shopping de Noël, représentent respectivement 633 et 281 millions de personnes, soit ensemble, seulement 12% de l'humanité. 

Au total, si on exclut oncle Sam du calcul, qui ne peut pas être juge et partie, le verdict est sans appel : les représentants de 86,5% de la population mondiale est contre la décision des Etats-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël et de transférer l'ambassade américaine de Tel-Aviv, alors que les représentants de seulement 0,5% de la population mondiale est pour cette double démarche, Israël compris, les représentants de 13% de la population mondiale n'ayant pas d'avis tranché sur la question. C'est ça, Trump, Haley et Netanyahu, causez toujours, vous nous intéressez beaucoup ! 

Certes, les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU, contrairement à celles du Conseil de sécurité, ne sont pas contraignantes. Cependant, l'adoption d'une résolution sur Jérusalem par une écrasante majorité des pays du monde, condamnant l'initiative irresponsable américaine, une condamnation désapprouvée par une toute petite minorité de pays, est un camouflet sans précédent pour les Etats-Unis. 


La question ne porte pas comme le laissent croire avec une grande malhonnêteté Trump & Haley, sur « la souveraineté des Etats-Unis » de décider où installer leur ambassade, mais plutôt sur le respect absolu des résolutions du Conseil de sécurité par un pays membre fondateur de l'ONU, la première puissance au monde, qui détient le droit de veto, qui en use et en abuse, se permettant de donner des leçons au monde entier et de déclencher des guerres sans l'accord de l'ONU. Sont concernées notamment les résolutions suivantes : 242 (votée le 22 novembre 1967), 252 (21 mai 1968), 267 (3 juillet 1969), 298 (25 septembre 1971), 338 (22 octobre 1973), 446 (22 mars 1979), 465 (1er mars 1980), 476 (30 juin 1980), 478 (20 août 1980) et 2334 (23 décembre 2016). Elles font toutes partie intégrante du droit international. Cela concerne aussi les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU sur la question, notamment la résolution 72/15 sur Jérusalem (votée le 30 novembre 2017). 


L'adoption massive de cette résolution démontre à quel point les Etats-Unis sont isolés sur cette question et que leur dernier veto au Conseil de sécurité résulte d'un droit accordé par l'ONU à des pays qui ne l'ont jamais bien mérité du fait de l'abus qu'ils en ont fait, d'une part, les Etats-Unis, qui défendent Israël dans toutes circonstances, et d'autre part, la Russie et la Chine, qui protègent le tyran de Damas, Bachar el-Assad, contre vents et marées. Cette écrasante majorité obtenue lors du vote de ces deux résolutions sur Jérusalem, au Conseil de sécurité (résolution non adoptée) comme à l'Assemblée générale de l'ONU (résolution adoptée), montre à toute la planète qu'aussi puissants soient-ils, les Etats-Unis sous la présidence d'un bouffon, ne sont qu'une farce, la risée du monde, un pays au ban des nations. 



Nikki Haley avant le vote de la résolution: "Jeudi, il y aura un vote critiquant notre choix. Les Etats-Unis noteront les noms". Nikki Haley après le vote de la résolution : "Nous apprécions ces pays (la liste comprend ceux qui ont voté contre, se sont abstenus ou ont préféré faire le shopping de Noël), de ne pas avoir suivi les voies irresponsables de l'ONU". C'est monde à l'envers! On dirait que la diplomate marche sur la tête.

« L'Assemblée générale (de l'ONU) exige que tous les États respectent les résolutions du Conseil de sécurité concernant la Ville sainte de Jérusalem (qui font partie du droit international) et s’abstiennent de reconnaître les actions et les mesures qui y sont contraires (celles prises par Israël et les Etats-Unis) ». Si Nikki Haley avait une once de dignité, elle démissionnerait. Mais l'autruche en est dépourvue. Elle a conclu son intervention devant l'Assemblée générale de l'ONU par « l’Amérique installera son ambassade à Jérusalem », parce que « c’est ce que le peuple américain veut et c’est la bonne chose à faire. » Ainsi, les Etats-Unis n'en ont cure de violer eux-mêmes le droit international et de bénir les violations de ce dernier par Israël. Si « c'est ce que veut le peuple américain », Trump & Haley devraient comprendre que plus de 86,5% de l'humanité pense le contraire. « L'Assemblée générale (de l'ONU) appelle... à intensifier les efforts... en vue de parvenir sans tarder à une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient... et de mettre fin à l’occupation israélienne qui a commencé en 1967 ». Décidément, Donald Trump, est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. En moins d'un an, il s'est révélé être un désastre national et international. Le forcing du Muslim Ban, le retrait de l'accord de Paris sur le climat, l'apathie concernant la guerre en Syrie, les cadeaux fiscaux aux plus riches, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël, etc. Enfin, à la première fenêtre de tir, les Américains devraient envoyer ce bouffon de président en orbite. Et soyez-en sûrs, comme Jean Gabin l'a dit dans Le Pacha, « le jour où on mettra les cons sur orbite, Trump n'a pas fini de tourner ».

jeudi 30 novembre 2017

De la Bosnie à la Syrie, en passant par le Liban, la justice internationale est lente, mais elle est inéluctable (Art. 491)


→ Lieu : La Haye
C'était le dernier procès de cette haute juridiction internationale, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

→ Acteur : Slobodan Praljak
Il était le chef des HVO, le Conseil croate de défense, l'organe exécutif, administratif et militaire suprême de la communauté croate de Bosnie-Herzégovine lors de la guerre civile qui a frappé cette région des Balkans entre 1992 et 1995 et qui a fait près de 90 000 morts.

→ Rôle : Criminel
Incarcéré depuis 2004. Il comparaissait pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, commis pendant la guerre contre les forces et les populations musulmanes.

→ Tournage: 29 novembre
On vient de confirmer sa condamnation à 20 ans de prison.


Il avait le look pour décrocher le rôle du père Noël! Mais non, il a préféré celui de criminel. Et du coup, il se trouve là, dans le box des accusés. Il écoute avec une sérénité incroyable le juge pendant six longues minutes parler en anglais. A l'annonce du verdict, rappelant ses crimes et confirmant les 20 ans d'emprisonnement, il prend la parole. On lui demande de s'assoir. L'audience ne l'écoute que d'une oreille. « Juges, Slobodan Praljak n’est pas un criminel de guerre. Je rejette avec mépris votre verdict. » Oui bof, on connait la chanson chantée par tous les coupables aux quatre coins de la Terre ! Le général lève la main jusqu'à la bouche. On fait à peine l'effort de se retourner. On lui somme de nouveau de s'assoir. Il prononce quelques paroles en croate. Et aussitôt c'est la panique dans la salle, que s'est-il passé? Son avocate annonce, en français, que son client lui a dit qu'il a avalé un poison. C'est alors qu'on comprend que la fiole qu'il a portée à sa bouche contenait une substance mortelle ! L'audience est suspendue. Trop tard. Transporté à l'hôpital, il décédera peu de temps après. Dernier petit détail curieux, beaucoup de médias, notamment francophones, ont volontairement censuré le mot « mépris », mais traduit le reste!

Certes, par cet acte ultime, Slobodan Praljak se soustrait à la sentence. C'est même un pied de nez à la justice internationale. Le criminel s'est échappé de prison en se donnant la mort. Mais, force est de constater qu'il a finalement répondu de ses actes devant la communauté internationale. Ce procès se termine avec lâcheté peut-être, tragique quand même, mais d'une façon indéniablement théâtrale. Et dire que ce général bosniaque était par ailleurs, diplômé de philosophie de la Faculté de sciences humaines et sociales de Zagreb, ainsi que de l'Académie d'art dramatique. Une fin sensationnelle, pour ne pas dire magistrale, pour un criminel ordinaire qui fut un temps, militaire, homme d'affaires, écrivain, réalisateur et metteur en scène. Il ne restera dans l'Histoire et toutes les mémoires, que ses crimes et la mise en scène de sa mort. S'étant livré de lui-même en 2004, il avait déjà purgé 13 ans de prison. Il était libérable dès 2018. Un exemple qui prouve que la réalité dépasse parfois la fiction.

La question que tout le monde se pose aujourd'hui est de savoir comment a-t-on pu introduire cette fiole dans l'un des endroits les plus sécurisés au monde? Qu'importe, la faille sera facilement détectée et comblée par la suite et pour l'avenir. Cet événement hors du commun qui restera dans les annales judiciaires, nous renvoie pourtant, nous autres citoyens du Moyen-Orient, à deux questions essentielles.

. La première c'est celle de savoir que fera au niveau local, le triumvirat de l'Etat libanais -Michel Aoun, président de la République, Saad Hariri, Premier ministre, et Nabih Berri, président de l'Assemblée nationale- pour arrêter et renvoyer à La Haye les quatre membres du Hezbollah encore en vie sur les cinq Libanais accusés par un autre tribunal international basé à La Haye, le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), d'être à l'origine de l'attentat terroriste du 14 février 2005, ayant entrainé la mort de 22 personnes dont l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, et qui ont été élevés au rang de « saints » par le chef de la milice chiite libanaise, Hassan Nasrallah? Pour l'instant, ils n'ont rien fait. Attendre qu'ils se livrent eux-mêmes ou qu'ils se suicident? Oh, même chez les criminels, il y a des degrés de lâcheté!

Rappelons aux descendants des autruches dans notre contrée d'Orient, que le TPIY a été créé en 1993. Il a eu sa première audience en 1995. En dépit de ses défauts, il a mis en accusation et jugé 161 personnes. Tous les accusés ont été arrêtés, ou se sont livrés d'eux-mêmes, le dernier en 2011, soit 18 ans après la création du TPIY. Le TSL lui, a été créé en 2007 et a commencé ses travaux en 2009. L'affaire est en cours. Les 18 ans cités précédemment, nous renvoient en 2025. On a donc encore de la marge ! Dans tous les cas de figure, les accusés sont jugés par contumace. Pour le TPIY comme pour le TSL, la justice est lente, mais inéluctable. L'affaire Bachir Gemayel l'a récemment prouvé, même dans un pays comme le Liban.

. La deuxième question réside aussi dans le fait de savoir quand les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par le régime de Bachar el-Assad, attestés dans l'album de César (55 000 photos de 11 000 Syriens, affamés, torturés et tués) et les massacres chimiques d'al-Ghouta et de Khan Cheikhoun, entre autres (attaques terroristes au gaz sarin, arme de destruction massive), seront-ils jugés par la communauté internationale ? Attendre que Vladimir Poutine lève l'immunité de son protégé, Bachar el-Assad, c'est croire que les poules auront des dents un jour et que les autruches triompheront sur les primates à l'issue de la sixième extinction des espèces !

vendredi 10 novembre 2017

La propagande autour de la « rétention de Saad Hariri » par l'Arabie saoudite vise à faire oublier la « surveillance suspecte » du Premier ministre à Beyrouth, « l'anomalie du Hezbollah » au Liban et les « ingérences iraniennes » au Moyen-Orient (Art.482)


Ce qui est impressionnant avec les adeptes des théories du complot c'est tout cet effort qu'il déploie pour ériger une ossature argumentaire, pourtant rachitique dès le départ! Savez-vous que des gens ont prétendu pendant longtemps que les Américains n'avaient jamais marché sur la Lune et que tout avait été tourné dans le Nevada par un certain Stanley Kubrick? Il est fascinant l'esprit humain. 



 1  Restons sur Terre et revenons à nos moutons. Alors que Saad Hariri explique lui-même sa démission par la traque sécuritaire dont il a fait l'objet à Beyrouth (qui laisse penser qu'on projetait son assassinat, comme son père Rafic Hariri), ainsi que par les agissements anti-souverainistes du Hezbollah et de l'Iran (dans les affaires libanaises, mais aussi arabes), et par la couverture que le président de la République, Michel Aoun, leur offre (hypothèse que j'ai développée dans un de mes articles), et d'autres facteurs secondaires, les adeptes libanais des théories du complot, à l'ego surdimensionné, montrent une incroyable détermination à zapper toute nouvelle donne qui contredit leur croyance. 


Saad Hariri accueillant le roi Salmane
à son retour à Ryad en provenance de Médine,
samedi 11 novembre.
Photo Bandar al-Jaloud / AFP
 2  Si on suit bien le raisonnement de ces compatriotes, la maléfique Arabie saoudite et le tout puissant MBS, Mohammad ben Salmane, qui n'ont rien pu entreprendre (absolument rien), à l'automne 2016, pour empêcher les deux ex-piliers du 14-Mars, Saad Hariri et Samir Geagea, de faire de l'un des deux plus fidèles alliés du Hezbollah (la bête noire du royaume wahhabite), Sleimane Frangié ou Michel Aoun, un président de la République libanaise, ont réussi comme par hasard et par magie un an plus tard, à l'automne 2017, à convoquer le Premier ministre du Liban, Saad Hariri (après avoir convoqué les deux SG, Samir Geagea et Samy Gemayel), à le forcer à démissionner, à lui écrire un mot dans ce sens, à le dépouiller de son argent et à l'empêcher de quitter le royaume! Cerise sur le gâteau, alors qu'il est humilié et plumé jusqu'à l'os, Saad Hariri continue à afficher un grand sourire, pendant qu'Aoun, Berri, Bassil & Nasrallah rient jaune. Et ce n'est pas tout, ce même MBS laisse Saad Hariri rencontrer l'ambassadeur d'Arabie au Liban, le prince héritier des Emirats (à Abou Dhabi), les ambassadeurs de la France, du Royaume Uni, de la Turquie, de l'Union européenne et des Etats-Unis en Arabie saoudite. Il a été reçu par le roi Salmane en début de semaine et il a lui même acceuilli le roi Salmane à son retour de Médine en fin de semaine. Bienvenue dans l'univers surréaliste tragicomique de certains compatriotes. 

Aux dernières nouvelles, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a estimé le vendredi que Saad Hariri est "libre de ses mouvements". Avant lui, le président français Emmanuel Macron a affirmé depuis Abou Dhabi, que le Premier ministre libanais n'avait formulé aucune demande pour venir en France, démentant du coup cette rumeur qui avait circulé en début de semaine. Après le Quai d'Orsay, c'est au tour du ministère allemand des Affaires étrangères de faire savoir que "Berlin croit que Hariri est libre de ses mouvements... Nous n'avons pas de preuve qu'il soit détenu à Ryad"Mais il va falloir bien davantage pour que les autruches d'Orient se décident enfin à redresser leur cou du bac à sable dans lequel leur tête est plongée depuis samedi dernier.

 3  Prétendre que Saad Hariri est quasiment en état d'arrestation (pour corruption), en garde à vue ou retenu, assigné à résidence, contraint et forcé de dire et faire ce que l'Arabie saoudite lui demande, relève d'une propagande qui a été élaborée par le Hezbollah et la République islamique d'Iran, et propagée par leurs partisans au Liban, dans le but de détourner l'attention des Libanais de l'essentiel. 

 4  Primo, de l'anomalie que constitue le Hezbollah au Liban et dans le monde : milice armée, classée terroriste, accusée d'assassinats politiques, qui dit urbi et orbi qu'elle veut établir une république islamique chiite au Liban, qui utilise ses armes où, quand et contre qui elle veut, pour déclencher des guerres destructrices (juillet 2006, afin de libérer un criminel détenu en Israël et mort en Syrie), pour faire tomber des gouvernements libanais souverains (mai 2008 et janvier 2011), et pour impliquer le pays dans une guerre civile syrienne (depuis 2012, afin de sauver une tyrannie qui a occupée et martyrisée le Liban pendant 29 ans), etc. 

 5  Secundo, des ingérences de l'Iran au Moyen-Orient, Liban compris, de l'aveu même de Hassan Rohani, il y a moins de trois semaines: "Il n'est pas possible de prendre une mesure décisive en Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord et dans la région du golfe Persique, sans l'Iran". Cette reconnaissance par le président iranien que l'Iran viole la souveraineté libanaise n'a provoqué aucune réaction de la part de Michel Aoun, président de la République libanaise, et de Gebrane Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL) et ministre libanais des Affaires étrangères.

 6  Tertio, de la défense du Hezbollah par Michel Aoun, à l'époque où il était chef du CPL (2006-2016) et depuis qu'il est président de la République (2016), à chaque fois que l'occasion se présente, liant le sort de la milice chiite, qui constitue un Etat dans l'Etat et qui a fait allégeance à l'Iran, à une problématique insoluble, alors qu'il est censé veiller au respect de la Constitution libanaise, qui exige sa dissolution et son désarmement. Chapeau! 

Tout le reste n'est que palabres et poudre aux yeux. 

 7  La plupart des pays arabes du Golfe, l'Arabie saoudite en tête, ont demandé à leurs ressortissants de quitter au plus vite le Liban. Cela ne veut pas dire qu'une guerre est imminente, mais que la situation actuelle du pays du Cèdre ne permet pas de garantir leur sécurité, alors que s'engage un bras de fer entre l'Arabie saoudite, soutenue par les Etats-Unis, et l'Iran. Le Liban ne peut plus faire comme si de rien n'était ou suivre une politique de l'autruche qui se révélera désastreuse pour le pays du Cèdre, sur tous les plans, économique en premier, sécuritaire en dernier. La balle est dans le camp de Michel Aoun, président de la République libanaise. Lui et lui seul, peut encore sortir le Liban de cette grave crise géopolitique. La solution passe par le respect absolu de la Constitution libanaise et non par les manoeuvres de diversion : il doit cesser de soutenir le Hezbollah et l'Iran et traduire ça sur tous les plans. Cette crise a prouvé magistralement l'immaturité de la majorité de la classe politique et religieuse libanaise, chrétiennes et musulmanes, des moulins à vent qui tournent à plein régime depuis samedi!, et d'une frange des citoyens libanais, tellement aveuglés par leur haine de Saad Hariri et de l'Arabie saoudite qu'ils sont tombés facilement dans le piège de la propagande du Hezbollah! Une des pires erreurs commises par les amateurs d'ici et d'ailleurs, est de sous-estimer leurs adversaires. Il est grand temps d'arrêter de fumer sa moquette, ou en choisir une de bonne qualité, et dans tous les cas, procéder de toute urgence, à la régulation de la circulation des éléphants roses dans le ciel libanais! 


 8  Je terminerai cette note par deux éléments qui selon moi permettent de bien cerner le problème qui secoue le Moyen-Orient depuis le 4 novembre. Pour le premier, faites entrer l'accusé ! Deux apparitions médiatiques en une semaine, c'est que l'heure est grave. Voici les principaux points développés par Hassan Nasrallah, lors de sa conférence de presse tenue vendredi, sans la presse bien entendu, car le chef du Hezbollah est, et c'est l'occasion de le rappeler, détenu et retenu, en résidence surveillée et assignée à résidence, SDF par la faute d'Israël, depuis qu'il s'est aventuré à défier l'Etat hébreux lors de la désastreuse guerre de Juillet 2006.

- « L'Arabie Saoudite a convoqué le Premier ministre à la hâte, elle l'a forcé à présenter sa démission et à lire une déclaration saoudienne... Hariri est détenu en Arabie saoudite, on lui interdit de retourner au Liban ». Comme je l'ai dit depuis le départ, cette théorie du complot a été élaborée par le Hezbollah et propagée par ses partisans et ses alliés, pour faire oublier aux Libanais l'anomalie de la milice chiite au Liban et les ingérences iraniens au Moyen-Orient. 


- « L'Arabie saoudite a demandé à Israël de frapper le Liban, en échange de dizaines de milliards de dollars... 
Selon nos infos d'aujourd'hui, la guerre de Juillet 2006 a été fomentée par l'Arabie Saoudite ». Waouh deux scoops, pour faire oublier aux Libanais que cette guerre, que le Hezbollah a déclenchée, nous a couté 1 500 morts et la moitié de notre PIB de l'époque, soit une bonne dizaine de milliards $, pour libérer un criminel d'Israël qui a fini ses jours dans les bras d'un tyran en Syrie. Face à l'étendue du désastre, Nasrallah s'était contenté d'un « si j'avais su... » à l'époque. 

- « Qu'il fasse ce qu'il veut, mais qu'il revienne au Liban », foutaises pour deux raisons. D'un côté, parce que l'homme est libre et il fait ce qu'il veut. De l'autre côté, parce que Hassan Nasrallah tente de faire oublier aux Libanais, qu'un des motifs de l'éloignement et de la démission de Saad Hariri était la menace qui pesait sur sa sécurité et sa vie. Pour se dédouaner, le chef du Hezbollah s'est protégé avec la feuille de vigne des services libanais de renseignement: ils n'auraient rien détecté, l'argument mortel! Foutaises, le 14 février 2005 jusqu'à 12h54, les services de renseignement n'avaient rien détecté d'anormal non plus.

- « La démission est illégale et anticonstitutionnelle car elle a été obtenue sous la contrainte ». Deuxième sourire. Paroles d'un expert constitutionnel, qui a boycotté avec son allié Michel Aoun, 44 séances électorales, provocant 888 jours de vacance du pouvoir présidentiel, et qui se trouve actuellement à la tête d'une milice armée, classée terroriste par la majorité des pays démocratiques, en violation de l'accord de Taef et de la Constitution libanaise.

 9  L'autre élément concerne l'article publié jeudi par l'un des journalistes saoudiens les plus suivis, Ahmed Adnan. Sa lecture est indispensable pour bien comprendre la détermination actuelle de l'Arabie saoudite. Je vous propose en traduction les extraits les plus marquants : 

« La démission du président (du Conseil) Saad Hariri est un événement international et régional autant que c'est un événement libanais. Il est malheureux que certains Libanais traitent cet événement à la légère... C'est un affront à la Constitution (libanaise) et aux Sunnites (...) 

Les allégations sur le kidnapping de Saad Hariri... sont totalement inacceptables (...) Le président Hariri est le seul à décider quand il s'exprimera et quand il entrera (au Liban), selon les intérêts nationaux et les circonstances sécuritaires (...) S'il était corrompu, il ne souffrirait pas d'une crise financière... Pas d'alternatif à Saad Hariri que Saad Hariri (...) 

L'Arabie saoudite est le bouclier des Sunnites et l'épée des Arabes de toutes les confessions. Les souverainistes libanais n'ont pas à agir comme des orphelins et des veuves (...) Aux Chrétiens (libanais) nous disons, les Arabes sont le cèdre, l'Arabie saoudite est la ligne rouge (qui protège ce cèdre), "en temps de paix le royaume construit, et en temps de guerre, le royaume n'est que forces" (allusion à un slogan du parti des Forces libanaises de Samir Geagea, qui constitue avec Saad Hariri, les piliers du mouvement souverainiste du 14-Mars)... Aux Chiites arabes nous disons... c'est le temps de l'indépendance, de la liberté, de la souveraineté nationale et arabe, votre place est préservée et estimée (...)

Il est triste et regrettable que le bloc parlementaire et les ministres du Courant du Futur (parti de Hariri) ne soient pas à la hauteur des positions et du discours de Saad Hariri et de la rue sunnite (...) Ils ont dit que la force des milices signifie la puissance de l'État, alors que la véritable force des milices signifie le déclin de l'État (libanais) et sa chute (...) La décision de faire face au terrorisme iranien est une décision internationale... 

Les Libanais n'ont pas à avoir peur, il n'y aura pas de guerre contre le Liban, mais contre les milices de l'Iran uniquement (...) De la même façon que l'Arabie saoudite s'est tenue aux côtés du Liban contre la tutelle syrienne, elle se tiendra à ses côtés contre la tutelle iranienne. Le sang de Rafic Hariri et des martyrs de la Révolution du Cèdre (dont Samir Kassir, George Haoui, Gebrane Tuéni, Pierre Gemayel, Walid Eido, Mohammad Chatah...) n'a pas été versé inutilement, la punition est proche (...) 

Je conseille aux alliés des milices iraniennes (au Liban) de s'en éloigner afin de ne pas subir le même sort. Qui avait comme slogan "la résistance islamique au Liban"(Hezbollah), au lieu de la résistance libanaise (les milices chrétiennes des "Forces libanaises"), au pays de la modération, n'a rien à voir avec l'islam, le christianisme ou le Liban (...) Les milices qui ont lancé une guerre ouverte contre le royaume doivent s'attendre à une guerre ouverte (...) La région (du Moyen-Orient) est sur le point de prendre des mesures militaires, économiques et politiques contre l'Iran et ses agents. Quiconque n'est pas avec nous est contre nous. »

 10  Jamais un politicien arabe n'a tenu des propos aussi fermes à l'égard du Hezbollah et de l'Iran. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de cet article. Certes, Ahmad Adnan n'est qu'un journaliste en fin de compte. Il n'empêche que son point de vue traduit la ligne officielle de son pays en ce moment. Une chose est donc sûre et certaine: l'Arabie saoudite est déterminée à empêcher que « le croissant chiite ne devienne une pleine lune », comme le craignait le plus jeune fils d'Abdel-Aziz Al-Saoud, le fondateur du royaume, le prince Moukrine, et à combattre l'hégémonie iranienne au Moyen-Orient, dont l'anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban. Les leaders libanais en général, et le président de la République, Michel Aoun, en particulier, sont prévenus. Si la neutralité est encore permise, continuer à défendre le Hezbollah et l'Iran par les temps qui courent, ou à faire l'autruche, constitue aujourd'hui la plus grave menace pour le Liban et les Libanais.