mardi 31 janvier 2017

« Muslim Ban » : bienvenue aux Etats-Unis d'Amérique, pour le meilleur et pour le pire (Art.412)


Chose promise, chose due. C'est sans doute la principale leçon de ce nouvel acte qui fait voler en éclat une veille croyance naïve selon laquelle, une fois au pouvoir, les extrémistes de droite, de gauche et de tout poil, mettent de l'eau dans leur vin. Jamais.

1. Avant de continuer la réflexion sur le sujet, il convient de préciser d'abord de quoi il s'agit. En suivant l'actualité, via mon entourage, les réseaux sociaux et la presse, j'étais frappé par le fait que malgré ce tollé médiatique déclenché par la décision de Donald Trump, peu de gens semblaient être en mesure de dire exactement qui sont les personnes concernées par le décret du nouveau président américain. « Musulim Ban » était sur toutes les lèvres et tous les murs. Et pourtant, cet étendard levé par les anti-trumpistes ne convient pas vraiment. Certes, Trump himself en a parlé à plusieurs reprises lorsqu'il était candidat. Mais dans les faits, le décret présidentiel du 27 janvier 2017, qui se base sur une loi américaine datant de 1952, interdit pendant 90 jours à des ressortissants de sept pays du Moyen-Orient et d'Afrique d'entrer aux Etats-Unis. Nulle part il n'est question de noms de pays ou de musulmans. Les pays concernés figurent déjà sur une liste américaine de « pays à risque ». L'interdiction est portée à 120 jours pour les réfugiés en général et d'une durée illimitée pour ceux de Syrie. Autre chose, le décret prévoit la suspension des exemptions de visa de l'IWP (Interview Waiver Program), qui contraint les ressortissants des 38 pays qui en bénéficient (dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne...), d'avoir un entretien personnalisé pour renouveler leur visa. Cette interdiction ne s'applique pas, entre autres, aux Américains, Français, Britanniques, Suisses, Canadiens et Australiens qui détiennent aussi une des sept nationalités concernées, à condition qu'ils aient un visa valide, sauf s'ils viennent des pays bannis. Ainsi, comme on le voit, il s'agit nullement du « bannissement des musulmans » au sens strict du terme. Nous avons affaire à une discrimination odieuse. Mais, l'honnête intellectuelle exige un respect scrupuleux des faits. Ce n'est pas seulement une question morale, c'est aussi une question d'efficacité. Attaquer un adversaire, démagogique de surcroit, sur des éléments faux, ne fait que le renforcer. Avis aux amateurs.

2. Les sept pays concernés sont : la Syrie, l'Irak, l'Iran, le Yémen, la Somalie, le Soudan et la Libye. Certes, les populations de tous ces pays sont dans leur écrasante majorité des musulmans. Mais, là aussi, il y a une approche du problème qui ne sert pas vraiment le combat contre les dérives de Donald Trump. Primo, on ne peut certainement pas parler de « Muslim Ban » quand 87% des Musulmans du monde ne sont pas concernés par le décret. Les populations des pays concernés ne représentent que 13% des populations musulmanes du monde et ils ne seront concernés que pendant 90 jours si l'on croit les autorités américaines. Secundo, comment parler de « Muslim Ban » alors que les 3,3 millions de musulmans qui vivent aux Etats-Unis et qui disposent de 1 200 mosquées, ne sont pas concernés non plus ? Tertio, parler de « bannissement de musulmans » se révèle simpliste sachant que contrairement à ce qu'on pourrait croire, un peu plus de la moitié des personnes bannies sont des musulmans chiites (Iran, Irak Yémen), qui combattent Daech en Syrie et en Irak, un peu moins sont des musulmans sunnites (Syrie, Irak, Yémen, Somalie, Soudan, Libye), qui sont victimes de l'organisation Etat islamique, et une frange d'entre eux sont des chrétiens (Syrie, Irak). Ainsi, le bannissement est plutôt basé sur la nationalité que sur la religion comme le laisse supposer la campagne internationale actuelle contre le décret Trump.

3. Il faut aussi reconnaître que les pays bannis ne sont pas reconnus pour être des havres de paix pour les babacools en herbe et les retraités de Woodstock. Bien au contraire, ces pays sont plongés dans le chaos depuis longtemps et sont secoués par la guerre, le terrorisme, le jihadisme, l'islamisme, le fascisme et surtout, l'anti-américanisme. Une raison de plus qui montre pourquoi il est abusif de parler de « Muslim Ban ». En tout cas, placer l'islam au cœur de ce décret, rend un énorme service aux organisations terroristes islamistes, Daech et al-Qaeda. C'est précisément le but de Trump et les anti-Trump sont tombés dans son piège.

4. Cela étant dit, les motivations islamophobes de Donald Trump sont réelles. On connait le personnage ! Primo, parce qu'il généralise la défiance à l'égard des ressortissants des pays concernés (« ce sont des musulmans »), et instaure le soupçon permanent dans les esprits (« il faut s'en méfier »). Secundo, parce qu'il banni tout le monde, sans exception, même ceux qui ont rendu service à l'armée américaine en Irak. Tertio, parce que sa décision est rétroactive et touche même ceux qui ont déjà reçu un visa d'entrée aux Etats-Unis, ou pire encore, ceux qui possèdent une Green Card, une carte de résident permanent aux Etats-Unis. Ses partisans oublient que toute généralisation est par essence stupide. C'est comme si aujourd'hui on interdisait à tous les Américains de voyager au Moyen-Orient à cause du désastre que certains de leurs compatriotes ont provoqué par l'invasion irréfléchie de l'Irak ou qu'on bannissait les Libanais chrétiens en Europe à cause du massacre des Palestiniens de Sabra et Chatila. Absurde, n'est-ce pas ?

5. Il est curieux de constater que ce décret qui est soi-disant pris dans le but de renforcer la sécurité des Américains, comme en témoigne son titre « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis », concerne des ressortissants de la liste des « pays à risque », qui ne sont pourtant pas impliqués dans les attaques terroristes menées aux Etats-Unis depuis le 11-Septembre, comme la Syrie, et épargne ceux qui le sont, comme l'Arabie saoudite justement, d'où sont originaires 15 des 19 terroristes qui ont commis le massacre de masse le plus meurtrier de toute l'histoire des Etats-Unis ! Pourquoi l'avoir exclu ? Le président américain aurait pu inclure la Turquie et l'Egypte par exemple. Mais ce n'est pas le cas. La raison est simple. Si Donald Trump est islamophobe, il n'est pas fou pour autant. Il a exclu tous les pays musulmans où ses sociétés sont implantées. Business is business, ce n'est pas un « bouffon » inconsistant comme lui qui dira le contraire.

6. Ce décret est odieux sans l'ombre d'un doute, mais l'hypocrisie de ceux qui le dénoncent relève parfois de la tragicomédie. Alors voyons un peu, on veut faire croire au monde aujourd'hui, que les Syriens et les Libyens étaient accueillis à bras ouverts aux Etats-Unis et dans le reste du monde auparavant, qu'il n'y avait pas un filtrage sévère des Soudanais et des Somaliens qui souhaitaient se rendre aux Etats-Unis ou en Europe et que les Irakiens et les Iraniens n'étaient pas rejetés en masse dans les ambassades américaines et européennes ? Allons bon, les Etats-Unis ont à peine accepter quelques milliers de réfugiés syriens depuis le déclenchement de la guerre en Syrie, nous sommes à près de deux millions au Liban. Après la découverte en 2011 qu'un réfugié irakien avait déjà fabriqué des bombes dans le passé, l'administration Obama avait demandé le réexamen de tous les dossiers des réfugiés irakiens installés aux Etats-Unis et renforcé les conditions d'entrée sur le territoire américain, divisant par trois le nombre de dossiers admis. En tout cas, Donald Trump aurait pu poursuivre en silence la politique américaine en matière d'immigration, qui est très sévère à l'égard de ces ressortissants et de bien d'autres depuis des lustres. Mais non, il a préféré se donner en spectacle et faire oublier à ses électeurs, qu'ils sont les dindons d'une farce qui ne fait que commencer.

7. Les partisans de ce décret arguent, à juste titre, qu'un pays souverain a le droit de bannir les ressortissants des pays avec lesquels il se trouve en guerre ou qui le menacent. Cela a souvent été le cas dans le passé et dans le monde. Pendant longtemps Chinois et Japonais étaient interdits de séjour aux Etats-Unis. N'allons pas loin, tout ressortissant israélien aussi pacifiste soit-il, est interdit de séjour au Liban et dans la plus part des pays arabo-musulmans. Et même tout détenteur d'un passeport sur lequel figure un tampon de l'Etat hébreux, n'a pas droit de cité au pays du Cèdre et ailleurs. Seulement voilà, le problème du décret Trump n'est pas seulement d'ordre morale, il est aussi d'ordre juridique. Le chaos qui règne actuellement au Moyen-Orient, et qui jette les populations de la région sur les routes de l'exode et de l'humiliation, a quand même une origine : l'invasion américaine stupide de l'Irak en 2003, qui a conduit à la naissance de l'Etat islamique/Daech et son installation en Irak puis en Syrie. Moralement et juridiquement, les Américains sont directement responsables de la situation. Ils ne peuvent donc pas se dédouaner et agir comme si de rien n'était et comme s'ils n'étaient que des victimes. Ils doivent assumer les conséquences.

8. Ce décret présidentiel américain odieux n'est pas sans me rappeler les nombreux décrets municipaux libanais qui interdisent aux ressortissants syriens réfugiés au Liban, de circuler la nuit librement

Là aussi, on avance des arguments de sécurité, tirés de cas particuliers ou de l'imagination raciste
débordante de certains, pour justifier la généralisation d'une mesure odieuse, qui n'empêche pas la majorité des Libanais de dormir sur leurs deux oreilles, alors que celle-ci ne fera que renforcer la rancune des Syriens à leur égard. Qui enfreint les lois libanaises en vigueur doit être poursuivi et jugé. Et tout ce qui est en dehors de ça, relève de la trumpisation des esprits.

9. Au lendemain de cette décision populiste abjecte, afin d'enrober son décret discriminatoire odieux d'une couche d'humanisme douteux et détourner les critiques acerbes qui pleuvaient sur lui, Donald Trump a sorti le joker des Chrétiens d'Orient. « Des chrétiens du Moyen-Orient ont été exécutés en grand nombre. Nous ne pouvons pas permettre à cette horreur de continuer ». Ô Chrétiens d'Orient, que de crimes on commet en votre nom en Occident pour des raisons idéologiques et politiciennes. Hier c'était François Fillon, aujourd'hui c'est Donald Trump. De quel christianisme de pacotille peuvent-ils bien se réclamer ceux qui trient les victimes selon leur religion et les réfugiés selon leur nationalité ? A moins de descendre des autruches et d'être islamophobes de surcroit, il est difficile de ne pas admette que des musulmans aussi ont été exécutés en grand nombre et que nous ne pouvons pas permettre à cette horreur de continuer. Comme l'a affirmé le pape François, le chef de l'Eglise catholique, « celui qui veut construire des murs et non des ponts, n’est pas chrétien, ce n’est pas l’Évangile (...) le chrétien n’exclut personne ». Alors, la ferme Trump ou tente ta chance un peu plus loin, avec les Bouddhistes d'Extrême-Orient.

Un fabricant américain de vêtements
s'adresse à ses clients en France
via les étiquettes :
"Nous sommes désolés que notre
président soit un idiot.
Nous n'avons pas voté pour lui"
(Americans for Bernie Sanders)
10. Ce qui frappe dans l'affaire en cours, c'est l'extraordinaire tollé qu'elle soulève aux Etats-Unis. Cela inclut la résistance individuelle contre la trumpisation des esprits (comme ce fabricant de vêtements, photo ci-contre), le combat juridique pour rendre la décision inapplicable (comme à New York), la bataille de certains Etats pour invalider le décret (comme en Californie, Washington, Pennsylvanie), les manifestations dans les aéroports américains (un peu partout), la protestation des patrons de grandes entreprises américaines (Google, Facebook), l'engagement de grands patrons américains d'embaucher des réfugiés et des personnes fuyant les guerres (Starbucks), et j'en passe et des meilleures. Tous les pays du monde, notamment certains protestataires, ne peuvent absolument pas prétendre avoir un tel contraste politique et une telle diversité d'opinions. Bienvenue aux Etats-Unis d'Amérique, pour le meilleur comme pour le pire. 

dimanche 29 janvier 2017

Benoit Hamon et Manuel Valls visent plutôt le contrôle du Parti socialiste, les élections législatives de 2017 et les présidentielles de 2022 (Art.411)


1. Encore une fois, nous sommes nombreux à assister abasourdis à la nouvelle lubie française qu'on appelle Primaire. Celle de la gauche n'a rien à envier à celle de la droite. Vu le taux de participation, elle est même pire. 1,66 million de votants en janvier contre 4,3 millions en novembre, pour le 1er tour, sur plus de 44,8 millions d'électeurs inscrits. On n'a même pas pu franchir la barre symbolique des 5%. En tout et pour tout 3,7% ! Quel intérêt peut-on porter à une présélection à laquelle 96,3% des Français (électeurs) n'ont pas jugé utile de participer? Bienvenue dans le monde surréaliste des primaires.

2. Le grand vainqueur du 1er tour de la primaire de la gauche est Benoit Hamon, qui a réussi à convaincre 36% des votants, au 1er tour, soit près de 597 000 voix, et 58,7% des votants au 2e tour, soit près de 1,2 million de voix. Certes, cela fait beaucoup de monde, sauf que ces jolis scores ne représentent que 1,3% et 2,7% des électeurs inscrits. Quelle légitimité peut-on accorder à ce candidat pour se présenter devant les Français au mois d'avril avec un programme très à gauche alors que plus de 97,3% des Français (électeurs) ne l'ont pas mandaté pour cela? On se demande.

3. Le chapitre des primaires pour le millésime 2017 est clos. Prochain rendez-vous en 2022. D'ores et déjà il faut admettre que les primaires se sont succédés et se sont ressemblés : une toute petite minorité d'électeurs Français (3,7 à 10%), a décidé qui aura le droit de se présenter à l'élection présidentielle, un rendez-vous électoral qui intéresse pourtant l'écrasante majorité des électeurs français (jusqu'à 87% de participation). Ainsi, qu'elles soient de droite ou de gauche, en France ou aux Etats-Unis, les primaires sont une mascarade électorale, inventée par les appareils des partis politiques pour biaiser l'expression démocratique des peuples par une minorité de militants. Certes, on peut arguer qu'il vaut mieux sélectionner les candidats par les bases militantes que par les bureaux politiques, sauf que ce n'est pas forcément à l'avantage des électeurs, qui boudent massivement ces shows privés. Il est évident que les primaires n'ont pas de réelles justifications démocratiques dans un processus électoral qui prévoit deux tours comme en France. Qui veut se présenter devant le suffrage universel a le droit absolu de le faire, sous conditions bien entendu. De la sorte, les électeurs qui se mobiliseront en masse le jour de l'élection présidentielle, une fois pour toutes, pourront départager les candidats en deux temps.

4. A part leur légitimité contestée, les primaires représentent un risque pour la qualification des candidats. Si on regarde les primaires des Etats-Unis, on s'aperçoit que celle du camp des Républicains a conduit à la sélection d'un candidat-type de la droite extrême, Donald Trump, tandis que celle du camp des Démocrates, a permis la sélection de la candidate de l'establishment, Hillary Clinton, au détriment du candidat populaire, Bernie Sanders. De ce côté de l'Atlantique, la primaire de la droite a vu s'imposer le candidat austère et ultra-libéral, François Fillon, au détriment du candidat de « l'identité heureuse », Alain Juppé, alors que celle de la gauche a laissé émergé un candidat-type de la gauche extrême, Benoit Hamon, au détriment d'un candidat de gouvernement, Manuel Valls. Ce survol permet de mettre le doigts sur une des tares des primaires : à l'ère des réseaux sociaux, ce type de présélections politiques semble favoriser les extrêmes et l'establishment. Tout candidat non conventionnel, qui ne fait pas partie de l'une ou de l'autre catégorie, aura sans doute du mal à percer avec ce système. C'est le cas de Bernie Sanders aux Etats-Unis et d'Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon en France. Ceci vient du fait que les primaires ne motivent qu'une minorité d'électeurs, les militants des partis et les sympathisants motivés, alors que les élections mobilisent les électeurs en masse et ratissent au-delà de ces deux catégories. Dans un système de primaires, Sanders et Macron, auraient beaucoup de mal à s'imposer.

5. L'autre problème majeur des primaires réside dans le danger politique qui consiste à mettre ses œufs dans un seul panier et tout misé sur un seul candidat. Flashback, le 14 mai 2011, le monde politique est secoué par l'affaire Dominique Strauss-Kahn. Le directeur du FMI et favori de la gauche pour l'élection présidentielle de 2012 est accusé d'agression sexuelle sur une femme de chambre travaillant à l'hôtel Sofitel de New York. Le scandale l'écarte définitivement de la course à l'Elysée. Dans leur malheur, les socialistes avaient un bol de pendu, l'affaire a éclaté avant la Primaire qui a eu lieu cinq mois plus tard, le 9 octobre. Imaginez maintenant que c'était après. Ça aurait été la catastrophe pour la gauche ! Revenons en 2017, nul ne peut prédire la tournure que prendra l'affaire PenelopeGate et ses conséquences sur la candidature de François Fillon. 61% des Français ont aujourd'hui une mauvaise opinion de « monsieur probe » qui est censé défendre un programme d'austérité inouïe. L'aventure du vainqueur de la primaire de la droite risque d'être très courte et malheureuse. On pense déjà à un plan B. Alain Juppé, humilié justement par la primaire, a fait savoir qu'il n'était pas question de servir de roue de secours pour la droite. Le problème ne se poserait pas en cas de présentation directe de tous les candidats devant tous les électeurs le jour de l'élection présidentielle. Le tocard se retire sans faire beaucoup de dégâts. Certes, on dira qu'un parti politique comme Les Républicains ou le Parti socialiste, ne peut pas se permettre de présenter plusieurs candidats à une élection présidentielle car il existe un risque réel de dispersion des voix. Il n'empêche que les affaires DSK et Fillon, doivent pousser les uns et les autres à réfléchir à remettre en question le dogme du candidat unique à l'élection présidentielle surtout dans un processus électoral à deux tours auquel participe jusqu'à 87% des 44,8 millions d'électeurs, contre un processus de primaire boudé par 90 à 96% des Français concernés.

6. Revenons à la primaire de la gauche. Question candidats on a eu d'une part, Benoit Hamon, le favori, surtout après le ralliement d'Arnaud Montebourg, l'idéaliste, avec son slogan de campagne, « Faire battre le cœur de la France », et le père Noël, qui avancent des idées séduisantes mais irréalistes, au financement occulte, comme le revenu universel et les 32 heures. Il propose aussi l'embauche de 40 000 enseignants ; la fin des avantages accordés au diesel ; la légalisation de l'euthanasie, du cannabis et la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et les homosexuels ; l'introduction d'une dose de proportionnelle aux élections, le retour au septennat non renouvelable ; la suspension des règles budgétaires européennes ; une alliance des gauches européennes et des accommodements raisonnables avec la laïcité !

De l'autre côté, on avait Manuel Valls, l'outsider, contraint d'endosser son bilan politique de père Fouettard, comme lors de l'élaboration de la loi Travail, et le réaliste, comme le suggère son slogan de campagne, « Une République forte, une France juste ». Il propose aussi la défiscalisation des heures supplémentaires, la revalorisation du statut et des salaires dans l'Education nationale, plutôt que l'embauche de nouveaux enseignants ; la rénovation thermique d'un million de logements ; des débats sur les questions de société (euthanasie, PMA) ; le maintien de l'interdiction du cannabis ; le maintien des scrutins sans dose de proportionnelle, la réduction du nombre de députés, la limitation du recours au 49.3 ; le respect des règles budgétaires européennes ; le renforcement du partenariat franco-allemand et une application stricte de la laïcité.

7. Benoit Hamon et Manuel Valls représentent deux gauches bel et bien immiscibles sur beaucoup de points, la gauche réaliste de gouvernement et la gauche protestataire de proposition. La première est celle des Mitterrand, Rocard, Jospin, Valls et Hollande, la seconde est celle des Marchais, Laguiller, Besancenot, Hamon et Mélenchon. Tout est dans ce dualisme. La gauche de gouvernement doit tenir compte de la réalité du monde, la gauche de proposition s'en affranchit. Les partisans de Benoit Hamon auront donc du mal à rassembler leur camp, à moins de mettre de l'eau dans leur vin, en revenant sur les mesures populistes qui leur ont permis de gagner, au risque de décevoir leur base. De l'autre côté, on voit mal les partisans de Manuel Valls faire campagne pour des mesures controversées et dangereuses de leur adversaire : le revenu universel et les 32 heures (alors que la dette publique de la France équivaut son PIB), les "accommodements raisonnables" avec la laïcité (au risque de "libaniser" et de "communautariser" la France toujours un peu plus), l'introduction d'une dose de proportionnelle (qui ouvrirait grand les portes de l'Assemblée aux partis extrêmes, droite et gauche) et la dispense du respect des règles budgétaires européennes (qui affaiblirait un peu plus l'Union européenne, au moment où l'Europe est confrontée à la trumpisation des Etats-Unis et la poutinisation de la Russie). Ainsi, les idéologies et les affinités étant ce qu'elles sont, pour aller plus loin, les vainqueurs pourront être tentés par Jean-Luc Mélenchon et les vaincus par Emmanuel Macron.

L'enjeu de ce dimanche n'était évidemment pas l'élection présidentielle de 2017. Hamon comme Valls y a pensé sans vraiment y croire. Ce qui s'est joué hier c'était l'avenir du Parti socialiste. Les deux finalistes de la primaire de la gauche tenteront de prendre le contrôle du PS et de s'en servir afin de se préparer pour les prochaines élections en France : notamment les législatives de juin 2017, mais aussi les européennes de 2019 et les municipales de 2020, et surtout, les présidentielles de 2022, qui viendraient après cinq ans d'alternance, de déception, de maturité et de toutes les chances. La marge est très étroite. Il existe un risque réel d'éclatement du Parti socialiste.

vendredi 20 janvier 2017

Non, je n'assisterai pas à la cérémonie d'investiture de Donald Trump, mais j'enverrai la carte postale du Manneken-Pis de Bruxelles (Art.409)


L'impensable est dans tous les esprits et l'inavouable est sur toutes les lèvres. Eh oui, l'inévitable est bel et bien arrivé, Donald Trump entre en fonction ce vendredi 20 janvier 2017, comme le 45e président des Etats-Unis.

La grandeur et la décadence de cette nation, qui ne cesse de fasciner et façonner le monde, peuvent être résumées dans cette alternance et son contraste, Barack Obama vs. Donald Trump. Le premier était un président élégant, raffiné, décontracté, réfléchi, raisonnable, responsable, et j'en passe et des meilleures. Le second sera tout le contraire, rustre, fruste, grossier, impulsif, populiste, irresponsable, et j'en passe et des meilleures. D'après une étude universitaire, le nouveau président a un niveau de grammaire en dessous de celui d'un élève de 6e. En tout cas, l'ex-président a su, ou au moins tenter, pacifier son pays et le monde, le nouveau président saura, consciemment ou pas, attiser le mépris des Etats-Unis dans le monde et le clivage entre les Américains.

Il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails de la politique intérieure américaine. Vu d'Europe et du Moyen-Orient, ça n'a pas beaucoup d'intérêt. D'autant plus que de par la Constitution américaine, le président des Etats-Unis est obligé de composer avec le Congrès en matière de politique intérieure, alors qu'il a beaucoup de marges de manoeuvre sur le plan international. Limitons-nous donc à ces deux régions spécifiques et au sujet qui n'a aucune limite temporo-spatiale, l'environnement, et voyons ce que le nouveau locataire de la Maison Blanche pourrait faire. Hélas, sur ces trois dossiers, Donald Trump sera un désastre.

Dans un entretien accordé à deux journaux conservateurs allemand et anglais il y a quelques jours, le président américain s'est félicité du Brexit. « Le Brexit va s’avérer être une chose géniale ». Et dire que la majorité des experts en doutent. Il a même assuré qu'il y aura d'autres sorties de l'Union européenne. Et pourquoi donc ? « Les gens ne veulent pas que d’autres gens viennent dans leur pays et les dérangent. » Ah bon, et Trump ça ne sonne pas très américain on dirait. Il va peut-être falloir retourner en Allemagne ou en Ecosse ! Le populiste s'insurge et se demande : « Quand on va sur la 5e Avenue (New York), on voit que tout le monde a une Mercedes garée devant chez lui, pas vrai? (…) Combien de Chevrolet avez-vous en Allemagne ? (…) Dehors on n’en voit pas une seule. » La réponse la plus humiliante est venue du vice-chancelier allemand et ministre de l'Économie, Sigmar Gabriel : « Les États-Unis doivent construire de meilleures voitures ». Trump a fait savoir par ailleurs, que l'OTAN est « obsolète ». Dans la foulée, cet admirateur de Poutine a évidemment dénoncé ces sanctions « qui font très mal à la Russie ». Ah bon ! Et quid de l'annexion de la Crimée au grand mépris du droit international ? Enfin bref, si tout cela relève du wishful thinking, il faut bien comprendre que Donald Trump mettra tout en œuvre pour affaiblir l'Union européenne, la contrée où il fait bon d'y vivre, le seul et unique pays concurrent sérieux des Etats-Unis, sur tous les plans et dans tous les domaines.

Au Moyen-Orient, certains ressortissants arabes, libanais compris, considèrent qu'il sera difficile d'être pire que Barack Obama. Au cœur de leur constat, la politique américaine depuis 2011, après le soulèvement populaire contre la tyrannie des Assad. En réalité, ces personnes commettent trois erreurs d'appréciation.

. Primo, il faut bien comprendre qu'aucun président américain, qu'il se nomme Trump, Obama ou Bush, n'engagera les forces armées américaines dans le monde, si les intérêts des Etats-Unis ne sont pas en jeu ou sans en tirer des bénéfices compensatoires. Ce n'était pas le cas en Syrie. Le maintien d'Assad au pouvoir est principalement dû à la terreur imposée par le régime (comme en témoigne les milliers de photos prises par le dénommé César qui prouve la barbarie du régime de Bachar el-Assad), au soutien indéfectible de la Russie et de l'Iran (qui jouaient gros) et aux erreurs fatales des opposants au régime (division, militarisation, généralisation du conflit et radicalisation).

. Secundo, l'histoire retiendra que Barack Obama a réussi à débarrasser le Moyen-Orient de deux menaces apocalyptiques à court et à moyen termes, constituées par les armes de destruction massive : l'arsenal chimique du régime syrien de Bachar el-Assad et le programme nucléaire du régime iranien des mollahs. On peut railler ces menaces hypothétiques, il n'empêche que sans la stratégie intelligente de la part de l'administration Obama, on aurait assisté à une dissémination certaine des armes de destruction massive, chimique et nucléaire, vers les groupes armés en conflit dans la région, sunnites (Kurdes, Nosra, Daech, al-Qaeda, etc.) et chiites (milices irakiennes, Hezbollah, etc.).

. Tertio, il faut sans doute le rappeler, sans la coalition internationale formée autour des Etats-Unis il y a deux ans et demi, sous l'égide de Barack Obama, l'Etat islamique serait mieux implanté en Syrie et en Irak, Bagdad serait tombée entre les mains de Daech. L'intervention irano-russe n'a pas affaibli l'organisation terroriste autant qu'elle a renforcé le régime fasciste de Bachar el-Assad, comme en témoigne la prise d'Alep récemment.

Manneken Pis, Bruxelles
Eh oui, l'humour belge ne date pas d'hier!
« La statuette en bronze a été créée par
Jérôme Duquesnoy l'Ancien, en 1619.
Celle exposée de nos jours à l'angle
des rues de l'Étuve et du Chêne
est une réplique datant de 1965,
l'original étant conservé à la Maison du Roi,
musée de la ville de Bruxelles. » Wikipédia.
Photo de Jean-Pol Grandmont,
WikiCommons. 
Cela étant dit, à quoi doit-on s'attendre avec Trump? Au Liban, à pas grand chose. C'est à se demander si le nouveau président sait vraiment où se trouve notre pays et quel est le goût de notre tabboulé. Certains compatriotes croient que la présence d'un conseiller libanais à ses côtés, Walid Fares (ex-milicien des Forces libanaises, ex-14Mars), changera la donne, notamment en ce qui concerne le Hezbollah. Un vœu pieux là aussi. D'une part, parce que les actions politico-militaires ont un pouvoir limité sur le Hezbollah comme l'ont démontré la guerre de Juillet (2006) et la guerre en Syrie (depuis 2011). Bien au contraire, la menace externe renforce la cohésion interne, sauf si elle en mesure de l'écraser, ce qui ne sera jamais le cas au Liban. D'autre part, parce qu'on oublie qu'on pourrait éventuellement affaiblir la branche armée, la milice, mais pas le parti, la force principale du Hezbollah découlant essentiellement du soutien massif de la communauté chiite libanaise et pas seulement de ses armes. La preuve, les mesures financières prises par les Etats-Unis à l'encontre du Hezbollah ont eu un impact limité non seulement parce que le fonctionnement du Hezb n'est pas conventionnel, mais surtout parce que le Hezb sait mobiliser ses partisans au sein de l'Etat libanais.

En Syrie et en Irak, partant de la tactique en trompe-l'oeil qu'il faut changer une stratégie qui ne marche pas, ça sera le statu quo dans le meilleur des cas. Roue libre pour la Russie, jusqu'à la victoire de Bachar el-Assad, et frappes aériennes contre Daech, jusqu'à ce que mort s'en suive. Le problème c'est que cette double stratégie va droit dans le mur car elle est aveugle comme l'a été celle de son prédécesseur, George W. Bush, en Irak. Elle ignore le problème fondamental en Syrie : un tyran sanguinaire comme Bachar el-Assad, issu d'une communauté alaouite représentant 10% de la population, responsable d'une guerre ayant fait 300 000 morts et qui a jeté la moitié de la population syrienne sur les routes, ne peut pas continuer à réprimer en toute passivité et à massacrer en toute impunité, 75% de la population sunnite de Syrie. Daech va de pair avec Assad : soit on se débarrasse des deux, soit on aura les deux, au monde de choisir. En tout cas, la nomination de T. Rex, Rex Tillerson, comme Secrétaire d'Etat, un néophyte en politique, PDG du géant pétrolier ExxonMobil, décoré de l'Ordre de l'Amitié par Vladimir Poutine lui-même, est de bien mauvais augure.

Concernant l'Iran, vouloir n'est pas pouvoir. Le nouveau président a beau prétendre vouloir renégocier l'accord nucléaire, il ne pourra pas imposer sa vision des choses aux autres signataires, notamment à la Russie, la France et l'Allemagne. Dans tous les cas de figure, toute nouvelle pression sur l'Iran, s'effectuera au bénéfice d'Israël et au détriment du Liban.

A propos du dossier israélo-palestinien, il faut s'attendre au pire, comme en témoignent les trois premières décisions de Trump. Primo, de nommer David Friedman, comme ambassadeur des Etats-Unis en Israël, un homme connu pour être un partisan de la colonisation israélienne des Territoires palestiniens occupés. Secundo, de reconnaître Jérusalem comme « la capitale éternelle d'Israël ». Tertio, de transférer l'ambassade américaine en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem.

Sur le plan de l'environnement, ça sera également un désastre. La nomination de Scott Pruitt, un climatosceptique, une espèce qu'on croyait en voie d'extinction, à la tête de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), annonce déjà la couleur. Que dire encore, de cet ami du secteur pétrolier, qui a passé une partie de sa vie contemporaine à se battre contre les mesures imposées par l'agence qu'il préside aujourd'hui. C'est du Trump tout craché. Aussitôt après avoir prêté serment, il y a quelques heures seulement, il a décidé d'abandonner le plan de réduction des énergies polluantes au profit des énergies renouvelables et de relancer les forages de pétrole et de gaz de schiste « pour créer des emplois et apporter de la prospérité à des millions d’Américains », dans un total mépris des risques encourus. 


A ce stade et connaissant le personnage, nul ne peut affirmer avec certitude que l'heureux élu terminera son mandat. La destitution planera au-dessus de sa tête, comme une épée de Damoclès. Pas à cause de ses détracteurs, mais à cause de ses erreurs. Trump entre en fonction avec seulement 40% d'opinions favorables. Par comparaison, Obama avait le double à l'époque. Reagan, Clinton, Carter et même W. étaient plus populaires. Autre fait révélateur, son équipe a un mal de chien à embaucher des célébrités pour la cérémonie d'investiture. Le milliardaire découvre sans doute, qu'il y a encore des choses dans ce monde que son argent ne peut pas acheter. Le maître de cérémonie, Tom Barrack, un homme d'affaires d'origine libanaise, a fait savoir qu'il se passerait bien des vedettes puisque le président était lui-même « la plus grande célébrité du monde ». C'est c'là oui, Tom est un peu comme le renard gascon de La Fontaine qui prétendait que les raisins au haut d'une treille n'étaient pas mûrs, parce qu'en réalité, il ne pouvait pas les atteindre.

Donald Trump peut être considéré comme une célébrité du monde, mais il est aussi un « bouffon ». Pour éviter toute confusion qui pourrait être à son avantage, sachez que dans ce texte et le contexte, dès aujourd'hui et pour les quatre prochaines années, ce terme dans mes articles ne désignera pas un personnage dont les plaisanteries font rire, mais celui dont la conduite fait perdre toute considération.

En songeant à l'investiture de Donald Trump, qui a l'indécence de jeter par la fenêtre près de 200 millions de dollars pour mettre son nombril en scène pendant plusieurs jours (couverte par des donations privées et de l'argent public !), je me suis demandé, comme Michael Moore, Meryl Streep, Alec Baldwin, Cher, Robert de Niro, Madonna, Moby, Scarlett Johansson et d'autres célébrités, si je devais me rendre à la cérémonie. Finalement, j'ai décidé de l'ignorer. Je me suis contenté de lui envoyer une carte postale du Manneken-Pis, en griffonnant ces mots : « Bonne chance Mr. President. Et bons baisers de Bruxelles. BB ». Veuillez noter que tout lien et toute ressemblance avec des personnes, des figures et des événements existants ou ayant existé, particulièrement entre « le gamin qui pisse » de Bruxelles et les « golden showers » de Moscou, n'est que sarcasmes et pas fortuits. 

Je préfère me joindre à la Marche des femmes, ces manifestations organisées ce samedi dans les principales villes américaines et beaucoup de villes dans le monde, pour défendre les droits civiques des femmes et protester contre l'arrivée au pouvoir d'un homme profondément machiste et misogyne.