mardi 31 janvier 2017

« Muslim Ban » : bienvenue aux Etats-Unis d'Amérique, pour le meilleur et pour le pire (Art.412)


Chose promise, chose due. C'est sans doute la principale leçon de ce nouvel acte qui fait voler en éclat une veille croyance naïve selon laquelle, une fois au pouvoir, les extrémistes de droite, de gauche et de tout poil, mettent de l'eau dans leur vin. Jamais.

1. Avant de continuer la réflexion sur le sujet, il convient de préciser d'abord de quoi il s'agit. En suivant l'actualité, via mon entourage, les réseaux sociaux et la presse, j'étais frappé par le fait que malgré ce tollé médiatique déclenché par la décision de Donald Trump, peu de gens semblaient être en mesure de dire exactement qui sont les personnes concernées par le décret du nouveau président américain. « Musulim Ban » était sur toutes les lèvres et tous les murs. Et pourtant, cet étendard levé par les anti-trumpistes ne convient pas vraiment. Certes, Trump himself en a parlé à plusieurs reprises lorsqu'il était candidat. Mais dans les faits, le décret présidentiel du 27 janvier 2017, qui se base sur une loi américaine datant de 1952, interdit pendant 90 jours à des ressortissants de sept pays du Moyen-Orient et d'Afrique d'entrer aux Etats-Unis. Nulle part il n'est question de noms de pays ou de musulmans. Les pays concernés figurent déjà sur une liste américaine de « pays à risque ». L'interdiction est portée à 120 jours pour les réfugiés en général et d'une durée illimitée pour ceux de Syrie. Autre chose, le décret prévoit la suspension des exemptions de visa de l'IWP (Interview Waiver Program), qui contraint les ressortissants des 38 pays qui en bénéficient (dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne...), d'avoir un entretien personnalisé pour renouveler leur visa. Cette interdiction ne s'applique pas, entre autres, aux Américains, Français, Britanniques, Suisses, Canadiens et Australiens qui détiennent aussi une des sept nationalités concernées, à condition qu'ils aient un visa valide, sauf s'ils viennent des pays bannis. Ainsi, comme on le voit, il s'agit nullement du « bannissement des musulmans » au sens strict du terme. Nous avons affaire à une discrimination odieuse. Mais, l'honnête intellectuelle exige un respect scrupuleux des faits. Ce n'est pas seulement une question morale, c'est aussi une question d'efficacité. Attaquer un adversaire, démagogique de surcroit, sur des éléments faux, ne fait que le renforcer. Avis aux amateurs.

2. Les sept pays concernés sont : la Syrie, l'Irak, l'Iran, le Yémen, la Somalie, le Soudan et la Libye. Certes, les populations de tous ces pays sont dans leur écrasante majorité des musulmans. Mais, là aussi, il y a une approche du problème qui ne sert pas vraiment le combat contre les dérives de Donald Trump. Primo, on ne peut certainement pas parler de « Muslim Ban » quand 87% des Musulmans du monde ne sont pas concernés par le décret. Les populations des pays concernés ne représentent que 13% des populations musulmanes du monde et ils ne seront concernés que pendant 90 jours si l'on croit les autorités américaines. Secundo, comment parler de « Muslim Ban » alors que les 3,3 millions de musulmans qui vivent aux Etats-Unis et qui disposent de 1 200 mosquées, ne sont pas concernés non plus ? Tertio, parler de « bannissement de musulmans » se révèle simpliste sachant que contrairement à ce qu'on pourrait croire, un peu plus de la moitié des personnes bannies sont des musulmans chiites (Iran, Irak Yémen), qui combattent Daech en Syrie et en Irak, un peu moins sont des musulmans sunnites (Syrie, Irak, Yémen, Somalie, Soudan, Libye), qui sont victimes de l'organisation Etat islamique, et une frange d'entre eux sont des chrétiens (Syrie, Irak). Ainsi, le bannissement est plutôt basé sur la nationalité que sur la religion comme le laisse supposer la campagne internationale actuelle contre le décret Trump.

3. Il faut aussi reconnaître que les pays bannis ne sont pas reconnus pour être des havres de paix pour les babacools en herbe et les retraités de Woodstock. Bien au contraire, ces pays sont plongés dans le chaos depuis longtemps et sont secoués par la guerre, le terrorisme, le jihadisme, l'islamisme, le fascisme et surtout, l'anti-américanisme. Une raison de plus qui montre pourquoi il est abusif de parler de « Muslim Ban ». En tout cas, placer l'islam au cœur de ce décret, rend un énorme service aux organisations terroristes islamistes, Daech et al-Qaeda. C'est précisément le but de Trump et les anti-Trump sont tombés dans son piège.

4. Cela étant dit, les motivations islamophobes de Donald Trump sont réelles. On connait le personnage ! Primo, parce qu'il généralise la défiance à l'égard des ressortissants des pays concernés (« ce sont des musulmans »), et instaure le soupçon permanent dans les esprits (« il faut s'en méfier »). Secundo, parce qu'il banni tout le monde, sans exception, même ceux qui ont rendu service à l'armée américaine en Irak. Tertio, parce que sa décision est rétroactive et touche même ceux qui ont déjà reçu un visa d'entrée aux Etats-Unis, ou pire encore, ceux qui possèdent une Green Card, une carte de résident permanent aux Etats-Unis. Ses partisans oublient que toute généralisation est par essence stupide. C'est comme si aujourd'hui on interdisait à tous les Américains de voyager au Moyen-Orient à cause du désastre que certains de leurs compatriotes ont provoqué par l'invasion irréfléchie de l'Irak ou qu'on bannissait les Libanais chrétiens en Europe à cause du massacre des Palestiniens de Sabra et Chatila. Absurde, n'est-ce pas ?

5. Il est curieux de constater que ce décret qui est soi-disant pris dans le but de renforcer la sécurité des Américains, comme en témoigne son titre « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis », concerne des ressortissants de la liste des « pays à risque », qui ne sont pourtant pas impliqués dans les attaques terroristes menées aux Etats-Unis depuis le 11-Septembre, comme la Syrie, et épargne ceux qui le sont, comme l'Arabie saoudite justement, d'où sont originaires 15 des 19 terroristes qui ont commis le massacre de masse le plus meurtrier de toute l'histoire des Etats-Unis ! Pourquoi l'avoir exclu ? Le président américain aurait pu inclure la Turquie et l'Egypte par exemple. Mais ce n'est pas le cas. La raison est simple. Si Donald Trump est islamophobe, il n'est pas fou pour autant. Il a exclu tous les pays musulmans où ses sociétés sont implantées. Business is business, ce n'est pas un « bouffon » inconsistant comme lui qui dira le contraire.

6. Ce décret est odieux sans l'ombre d'un doute, mais l'hypocrisie de ceux qui le dénoncent relève parfois de la tragicomédie. Alors voyons un peu, on veut faire croire au monde aujourd'hui, que les Syriens et les Libyens étaient accueillis à bras ouverts aux Etats-Unis et dans le reste du monde auparavant, qu'il n'y avait pas un filtrage sévère des Soudanais et des Somaliens qui souhaitaient se rendre aux Etats-Unis ou en Europe et que les Irakiens et les Iraniens n'étaient pas rejetés en masse dans les ambassades américaines et européennes ? Allons bon, les Etats-Unis ont à peine accepter quelques milliers de réfugiés syriens depuis le déclenchement de la guerre en Syrie, nous sommes à près de deux millions au Liban. Après la découverte en 2011 qu'un réfugié irakien avait déjà fabriqué des bombes dans le passé, l'administration Obama avait demandé le réexamen de tous les dossiers des réfugiés irakiens installés aux Etats-Unis et renforcé les conditions d'entrée sur le territoire américain, divisant par trois le nombre de dossiers admis. En tout cas, Donald Trump aurait pu poursuivre en silence la politique américaine en matière d'immigration, qui est très sévère à l'égard de ces ressortissants et de bien d'autres depuis des lustres. Mais non, il a préféré se donner en spectacle et faire oublier à ses électeurs, qu'ils sont les dindons d'une farce qui ne fait que commencer.

7. Les partisans de ce décret arguent, à juste titre, qu'un pays souverain a le droit de bannir les ressortissants des pays avec lesquels il se trouve en guerre ou qui le menacent. Cela a souvent été le cas dans le passé et dans le monde. Pendant longtemps Chinois et Japonais étaient interdits de séjour aux Etats-Unis. N'allons pas loin, tout ressortissant israélien aussi pacifiste soit-il, est interdit de séjour au Liban et dans la plus part des pays arabo-musulmans. Et même tout détenteur d'un passeport sur lequel figure un tampon de l'Etat hébreux, n'a pas droit de cité au pays du Cèdre et ailleurs. Seulement voilà, le problème du décret Trump n'est pas seulement d'ordre morale, il est aussi d'ordre juridique. Le chaos qui règne actuellement au Moyen-Orient, et qui jette les populations de la région sur les routes de l'exode et de l'humiliation, a quand même une origine : l'invasion américaine stupide de l'Irak en 2003, qui a conduit à la naissance de l'Etat islamique/Daech et son installation en Irak puis en Syrie. Moralement et juridiquement, les Américains sont directement responsables de la situation. Ils ne peuvent donc pas se dédouaner et agir comme si de rien n'était et comme s'ils n'étaient que des victimes. Ils doivent assumer les conséquences.

8. Ce décret présidentiel américain odieux n'est pas sans me rappeler les nombreux décrets municipaux libanais qui interdisent aux ressortissants syriens réfugiés au Liban, de circuler la nuit librement

Là aussi, on avance des arguments de sécurité, tirés de cas particuliers ou de l'imagination raciste
débordante de certains, pour justifier la généralisation d'une mesure odieuse, qui n'empêche pas la majorité des Libanais de dormir sur leurs deux oreilles, alors que celle-ci ne fera que renforcer la rancune des Syriens à leur égard. Qui enfreint les lois libanaises en vigueur doit être poursuivi et jugé. Et tout ce qui est en dehors de ça, relève de la trumpisation des esprits.

9. Au lendemain de cette décision populiste abjecte, afin d'enrober son décret discriminatoire odieux d'une couche d'humanisme douteux et détourner les critiques acerbes qui pleuvaient sur lui, Donald Trump a sorti le joker des Chrétiens d'Orient. « Des chrétiens du Moyen-Orient ont été exécutés en grand nombre. Nous ne pouvons pas permettre à cette horreur de continuer ». Ô Chrétiens d'Orient, que de crimes on commet en votre nom en Occident pour des raisons idéologiques et politiciennes. Hier c'était François Fillon, aujourd'hui c'est Donald Trump. De quel christianisme de pacotille peuvent-ils bien se réclamer ceux qui trient les victimes selon leur religion et les réfugiés selon leur nationalité ? A moins de descendre des autruches et d'être islamophobes de surcroit, il est difficile de ne pas admette que des musulmans aussi ont été exécutés en grand nombre et que nous ne pouvons pas permettre à cette horreur de continuer. Comme l'a affirmé le pape François, le chef de l'Eglise catholique, « celui qui veut construire des murs et non des ponts, n’est pas chrétien, ce n’est pas l’Évangile (...) le chrétien n’exclut personne ». Alors, la ferme Trump ou tente ta chance un peu plus loin, avec les Bouddhistes d'Extrême-Orient.

Un fabricant américain de vêtements
s'adresse à ses clients en France
via les étiquettes :
"Nous sommes désolés que notre
président soit un idiot.
Nous n'avons pas voté pour lui"
(Americans for Bernie Sanders)
10. Ce qui frappe dans l'affaire en cours, c'est l'extraordinaire tollé qu'elle soulève aux Etats-Unis. Cela inclut la résistance individuelle contre la trumpisation des esprits (comme ce fabricant de vêtements, photo ci-contre), le combat juridique pour rendre la décision inapplicable (comme à New York), la bataille de certains Etats pour invalider le décret (comme en Californie, Washington, Pennsylvanie), les manifestations dans les aéroports américains (un peu partout), la protestation des patrons de grandes entreprises américaines (Google, Facebook), l'engagement de grands patrons américains d'embaucher des réfugiés et des personnes fuyant les guerres (Starbucks), et j'en passe et des meilleures. Tous les pays du monde, notamment certains protestataires, ne peuvent absolument pas prétendre avoir un tel contraste politique et une telle diversité d'opinions. Bienvenue aux Etats-Unis d'Amérique, pour le meilleur comme pour le pire.