samedi 17 mars 2018

« We've Vlad enough ! » Réélu et pourtant, le monde entier en a assez de Vladimir Poutine (Art.516)


« Make Russia Great Again » aurait pu être le slogan de campagne de Vladmir Poutine. Il pourrait même servir de déclaration de politique générale pour un président élu avec 75% des 66% des voix exprimées. Ainsi soit-il, mais pas via des pratiques héritées de l'Union soviétique !


1. L'effet papillon ou le voyage dans le temps


On l'appelle l'effet papillon. L'expression désigne deux situations différentes. Celle qui nous intéresse aujourd'hui implique un voyage dans le temps, tel qu'il a été conté par l'écrivain américain Ray Bradbury, dans sa nouvelle A Sound of Thunder (Un coup de tonnerre, 1952). L'effet papillon a été abordé dans de nombreux films, dont The Butterfly Effect (Eric Bress et J. Mackye Gruber, 2004) et Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993). L'idée avancée est à chaque fois la même, celle de savoir quel sera l'impact sur l'avenir, quand des gens ont la possibilité de remonter le temps et de modifier un élément du passé aussi insignifiant soit-il. L'écrasement d'un papillon il y a 60 millions d'années, peut avoir des effets inimaginables sur l'évolution. Bienvenue dans le monde de la science-fiction.

Bon, revenons sur Terre et à ses moutons. S'il ne m'est donné de modifier qu'un paramètre et un seul, de l'histoire contemporaine du monde en général et du Moyen-Orient en particulier, j'aurai rendu Ali Souleiman el-Wahéch stérile avec un seul testicule comme Hitler, au moment où il a changé son nom de famille en 1927. Sans descendance ni aucun rejeton, nous n'aurions eu ni Assad père ni Assad fils ni aucun "monstre" de cette espèce. Si par ce choix judicieux, le bon Dieu me permet de faire un second choix, j'aurai retiré l'escalier d'embarquement de Khomeini en 1979 ou j'aurai laissé l'escalier et retiré l'avion d'Air France du tarmac. Rouhollah Moussavi serait resté dans les Yvelines à coucher sa colère sur les bonnes vieilles cassettes ou en haut de l'escalier à attendre l'avion providentiel pour l'emmener à Téhéran. Sans Guide suprême ni République islamique, nous n'aurions ni Wilayat el-Fakih ni Hezbollah ni le casse-tête d'une milice armée à désarmer au Liban. Maintenant, si Allah tout puissant est tellement ravi de mon second choix qu'il m'accorde à titre exceptionnel de faire un troisième, là je me porterais sans l'ombre d'un doute sur Poutine. J'aurais saisi un moment où Boris Eltsine est sobre pour lui murmurer à l'oreille de quoi le dissuader de nommer cet ex-agent subalterne du KGB, président du gouvernement russe en 1999, en lui racontant avec moult détails, ce qu'est devenue la Russie en 2018 par sa faute.

 The Putin Interviews by Oliver Stone (Showtime 2017)

2. De 1999 à 2024 : 6 présidents américains (avec six approches différentes des relations avec la Russie) VS. 1 président russe (avec une seule et même obsession de l'Occident)


Après la chute du mur de Berlin en 1989, la dislocation de l'URSS en 1991, les tentatives de réanimation de l'Union entre les ex-républiques de l'URSS vers 1995 et l'enterrement définitif du modèle communiste de gouvernance et de société à la fin des années 1990, le monde était plein d'espoir. L'humanité a cru être entrée dans une nouvelle ère de pacification des relations internationales. Si le processus de désescalade était enfin enclenché, personne n'était assez naïf et dupe pour croire que le siècle qui s'engageait serait celui des Bisounours. Mais personne n'imaginait un instant non plus, que moins d'une vingtaine d'années plus tard, le monde replongera dans une nouvelle guerre froide, par la faute principale d'un homme, Vladimir Poutine.

Certes, les leaders occidentaux ont une certaine part de responsabilité dans la détérioration des relations avec la Russie. Ce ne sont pas les sujets de friction qui ont manqué durant cette période : l'extension de l'OTAN vers les ex-pays de l'Est, le soutien des aspirations européenne et occidentale de l'Ukraine, la transformation de l'intervention en Libye en un changement de régime, l'annexion de la Crimée, les ingérences et les interférences dans les élections américaines et françaises, l'opposition au maintien au pouvoir de Bachar el-Assad en Syrie, etc. Il n'empêche que dans aucun pays occidental, le pouvoir de décision est concentré entre les mains d'un seul homme, le même de surcroit, depuis une vingtaine d'années, comme c'est le cas en Russie avec Poutine. Ce point est capital pour évaluer le différend qui oppose l'Occident et la Russie, indépendamment des sujets de frictions eux-mêmes.

De 1999 à 2018, quatre présidents américains se sont succédés à la Maison Blanche. Clinton, Bush fils, Obama et Trump, c'est autant d'approches différentes des relations avec la Russie. Les relations entre Obama et Poutine n'ont rien à voir avec celles entre Trump et Poutine. Et pour cause, le tempérament et le Russiagate. Et pourtant, de l'autre côté, de 1999 à 2018, il n'y a qu'un homme qui prend les décisions, c'est le même, Vladimir Poutine (président et premier ministre), et il n'a qu'une obsession, c'est la même, rendre sa grandeur à la Russie, quel qu'en soit le prix à payer. A la fin du nouveau mandat du président russe, 2024, on pourrait avoir deux autres présidents américains dans le Bureau ovale, en 2020 et en 2024, qui auront deux approches différentes des relations avec la Russie, et de l'autre côté, toujours le même homme au Kremlin, avec la même vision sclérosée des relations de la Russie avec l'Occident.

Au total, six présidents américains avec des visions assez différentes des relations internationales notamment avec la Russie vs. un président russe avec la même vision, nostalgique, revancharde et conflictuelle. Poutine est nostalgique de la grandeur de la Russie à l'époque soviétique, il voudrait bien prendre sa revanche de l'Occident rendu responsable de l'effondrement de cette grandeur et il est prêt à tout, y compris les conflits, pour « Make Russia Great Again ».

3. L'assassinat politique avec une arme chimique d'un agent double au Royaume Uni


« We've Vlad enough » a titré The Sun, le quotidien de langue anglaise le plus
vendu au monde ce mardi. Et dire qu'il n'y a pas que les Anglais qui en sont là, le monde entier en a assez de Vlad, en tout cas, une grande partie! Devant tous les représentants de la nation réunis et sous un état de choc, la Première ministre britannique rappelle que « nombre d'entre nous regardions la Russie post-soviétique avec espoir ». Eh oui! « Il est tragique que le président Poutine ait choisi de suivre cette voie ». Oh « yeah » répondaient en choeur les parlementaires anglais. Pour Theresa May, « il n'y a pas d'autre conclusion, que celle selon laquelle la Russie est coupable de la tentative de meurtre de monsieur Skripal et sa fille ».

Salisbury, le 4 mars. L'ancien agent double russe Sergueï Skripal (66 ans) et sa fille Loulia (33 ans) sont retrouvés morts sur un banc. On découvre par la suite qu'ils ont été empoissonnés par le Novichok, une arme chimique « Made in USSR », dix fois plus puissante que n'importe quel gaz neurotoxique, comme le sarin, utilisé par Bachar el-Assad lors du massacre de la Ghouta (août 2013) ou le VX, utilisé par Kim Jong-un pour tuer son demi-frère (février 2017). Ils sont actuellement dans un état critique. Un des policiers qui sont intervenus sur les lieux est dans un état grave. C'est la première fois depuis la Seconde guerre mondiale qu'une attaque chimique est commise sur le sol européen. Elle a visé un homme qui ne représente plus aucun danger pour la Russie. Le choix de l'arme ne doit rien au hasard. Le fait qu'il soit encore en vie aussi. Son cas devrait servir d'exemple. Quand on trahit la Russie, on est plongé dans d'affreuses souffrances pour le reste de sa vie.

Flash-back. Nous sommes à Dresde en 1985. Vladimir Poutine vient de prendre ses fonctions dans cette ville d'Allemagne de l'Est. Officiellement comme employé consulaire, officieusement comme recruteur d'espions. Son principal fait d'armes à cet époque était d'avoir fait chanter un professeur de médecine, avec des éléments pornographiques compromettantes, afin d'obtenir les résultats d'une de ses études portant justement, sur les poisons mortels qui ne laissent pratiquement aucune trace. Simple coïncidence diraient encore el comandante et les idiots utiles.

4. La Russie est une plus grand menace pour le monde que la Corée du Nord


Malgré la gravité de ce crime odieux, on pourrait zapper l'incident de Salisbury, si nous n'étions pas au énième assassinat louche, dans lequel la Russie est soupçonnée. On pourrait même classer tous ces assassinats dans un dossier intitulé « règlement de comptes », si la Russie n'est pas devenue au fil du temps une plus grande menace pour le monde que la Corée du Nord.

Nous sommes le 1er mars. Vladimir Poutine monte à la tribune pour prononcer son discours annuel devant les représentants de la nation et diverses personnalités réunis en congrès. Pendant deux heures, il exposera les grandes orientations de la Russie.

Sur le plan économique, c'est un inventaire à la Prévert. Les promesses et les réalisations sont savamment mélangées pour brouiller les esprits et plaire à tout le monde. Il a été question d'augmentation du niveau de vie des citoyens, de l'accès de tous à une médecine de qualité même dans les petites villes, de la lutte contre le cancer, de la mortalité sur les routes, de logement, de natalité, d'espérance de vie, d'éducation, de culture, d'agriculture, d'écologie, d'investissements, d'aménagement du territoire, de développement des aéroports régionaux, de renforcement de la recherche dans les domaines génétique et mathématique, de compétence, d'innovation et même de libertés individuelles. « Tout cela se résume en un seul mot: c'est le développement de la Russie, un mouvement vers l'avant ».

Au total, 70 minutes de belles paroles pour faire oublier aux Russes, l'essentiel. D'une part, que le PIB global de la Russie, 1 469 milliards de dollars (selon les estimations du FMI pour 2017), se situe seulement entre celui de la Corée du Sud et l'Australie, pays six fois moins peuplé. Par comparaison, les Etats-Unis et l'Union européenne sont respectivement à 19 362 milliards et 17 113 milliards de dollars. D'autre part, que le PIB par habitant est de 10 248 $ (pour 2017), soit moins que les Libanais, à savoir 11 684 $. Par comparaison, les Grecs sont à 18 945 $, les Français à 39 673 $, les Suédois à 53 880 $ et les Américains à 59 495 $.

Sur le plan militaire, il y avait tout ce qu'il fallait également pour flatter le nationalisme des citoyens et faire oublier aux Russes où ils se situent sur le plan économique par rapport au reste du monde« Nous avons 300 types d'équipements militaires nouveaux, 80 nouveaux missiles balistiques, 200 nouveaux sous-marins... » A l'aide de vidéos d'illustration, il a été question de missiles de croisière nucléaires type Tomahawk (américain), à la trajectoire imprévisible et d'une portée illimitée, de drones sous-marins à armes conventionnelles et nucléaires, d'armes hypersoniques de 10 Machs, d'armements qui suivent leurs cible comme une météorite en feu à 2 000°C et de la nouvelle génération d'armes lasers. Poutine prend tout de même la précaution de préciser au passage que « pour des raisons qu'on comprend très bien, nous ne pouvons pas vous montrer l'aspect de ce système d'armes... mais je vous assure que tout cela est opérationnel et fonctionne très bien ». C'est c'là oui ! Mais encore,  « comme vous le comprenez, rien de tel n'existe chez personne dans le monde. Peut-être un jour. Mais ne vous inquiétez pas, le jour où ça arrivera chez nos concurrents, nous aurons déjà avancé de plusieurs pas ». Mais voyons !

En tout cas, ce qui a retenu l'attention des observateurs ce sont les menaces à peine voilées adressées par Poutine aux Occidentaux en général, et aux Américains en particulier.

Dans la panoplie des nouvelles armes russes, où il est difficile de faire la part des choses entre la parade soviétique et le coup de bluff, Vladimir Poutine a annoncé urbi et orbi que la Russie détiendrait désormais un nouveau type de missile nucléaire, qui aurait la capacité de frapper n'importe quel point sur Terre, en passant par le pôle nord ou le pôle sud comme le montre l'illustration présentée par le président russe, et qu'aucun système de missile anti-balistique ne pourrait l'intercepter. Là aussi, nous aurions pu rejoindre les idiots utiles pour trinquer avec eux, si la simulation présentée aux Parlementaires russes ne montrait pas à titre d'exemple une attaque nucléaire sur la Floride !

Photomontage. A gauche, capture d'écran de la simulation d'une importante attaque nucléaire russe sur les Etats-Unis (Floride) via le missile Sarmat (Satan 2), présentée par Vladimir Poutine aux représentants de la nation (Source: Russia Today France 1:22:00-1:22:50). A droite, carte de la Floride (Google Maps)

« "Sarmat" est une arme impressionnante et très puissante », nous dit Vladimir Poutine. Et pour cause, il est surnommé "Satan 2" par l'OTAN et il semble bien porter son surnom. Ce missile balistique furtif peut porter une douzaine de têtes nucléaires de forte puissance, capables de raser un pays comme la France en quelques secondes nous dit-on. Là aussi et encore, on pourrait zapper cet étalage militaire de style soviétique, revenir à nos occupations terre à terre et dire que c'est la réponse russe aux programmes américains Ballistic Missile Defense Systems, communément appelé bouclier anti-missile, et Prompt Global Strike, dotant les Etats-Unis d'une force de frappe nucléaire planétaire rapide, si Vladimir Poutine ne cherchait pas à utiliser son arsenal nucléaire pour exercer un chantage sur le monde (1:49:17-1:49:54 et 1:35:39-1:37:00).

« Je veux dire à ceux qui ont essayé durant les 15 dernières années de booster la course aux armements, ceux qui violent les traités internationaux, ceux qui décrètent des sanctions économiques... tout ce que vous avez essayé d'empêcher, s'est produit. Vous n'avez pas réussi à barrer la voie à la Russie (...) Dans un avenir proche, les forces nucléaires russes seront équipées d'éléments et d'armements permettant de frapper tout point (sur Terre) avec une grande manoeuvrabilité et une grande vitesse... Notre système est unique au monde, aucun état ne l'a... Nous l'avons dit ouvertement de façon à inciter nos partenaires (pays occidentaux) à discuter... La Russie a longtemps eu du retard. Personne ne voulait parler avec la Russie. Personne ne nous a écoutés. Maintenant, écoutez-nous ! » Et pour cause, la Russie est devenue une menace pour le monde plus grande que celle de la Corée du Nord et de l'Iran.


5. Sans les dix vetos de Poutine à l'ONU, la guerre de Syrie n'aurait pas eu lieu et Daech-EIIL ne serait pas né


La Russie a été vivement critiquée pour le rôle néfaste qu'elle a joué en Syrie depuis le déclenchement de la rébellion le 15 mars 2011. Pas parce qu'elle a défendu ses intérêts stratégiques au Moyen-Orient. D'autres pays l'ont fait comme elle. Mais parce qu'elle a tout fait pour sauver la tyrannie des Assad. Son intervention militaire, indirecte puis directe (depuis septembre 2015), a visé essentiellement tous les groupes armés en dehors des jihadistes de Daech. L'objectif de Poutine, comme celui d'Assad, et des idiots utiles de l'un, de l'autre et des deux, était de voir éliminer toutes les forces d'opposition capables de remplacer le régime syrien et de présenter Bachar el-Assad comme le seul rempart aux terroristes.

Vladimir Poutine était d'autant plus à l'aise dans ses choix en Syrie qu'il savait depuis le début de la guerre en 2011 que les pays occidentaux n'ont aucune envie de s'embourber dans une longue guerre meurtrière et couteuse, rentrant en conflit avec la Russie, alors qu'ils n'ont pas d'intérêts majeurs à défendre. Il savait aussi qu'une coalition internationale opère activement depuis août 2014 pour anéantir l'Etat islamique, aussi bien en Syrie qu'en Irak. Avec le recul dont nous disposons aujourd'hui, on peut dire que si le monde devait compter sur Poutine pour se débarrasser de l'Etat islamique en Irak et au Levant, eh bien, nous aurions eu à la fois le régime terroriste d'Assad et l'organisation terroriste de Daech encore pour longtemps.

Plus grave encore, pour protéger Bachar el-Assad et sauver le régime syrien, le président russe a bloqué dix résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU portant sur le conflit en Syrie (le premier blocage en octobre 2011, le dernier en novembre 2017). Les vetos de Vladimir Poutine ont permis à Bachar el-Assad de s’offrir le luxe de l’intransigeance dès le départ, et d’avoir les coudés franches dans la répression sanglante et grandissante du soulèvement populaire syrien. Il en résulta, d’une part, un durcissement de la Révolution syrienne, dont on a commémoré il y a quelques jours le 7e anniversaire, qui a conduit à la militarisation et la généralisation du conflit, et d’autre part, un enlisement de la guerre civile syrienne, qui a offert à « l'Etat islamique en Irak et au Levant » (EIIL, Daech en arabe), les meilleures conditions pour se développer, s’épanouir et s’exporter.

Si nous avions réussi à faire voter la première résolution de l'ONU sur la Syrie en octobre 2011, la Syrie, le Moyen-Orient et le monde entier ne seraient vraiment pas là aujourd'hui. Mais encore, l'Etat islamique d'Irak serait resté en Irak, Assad aurait lâché du leste, l'Etat islamique en Irak et au Levant (Daech) ne serait pas né, l'international jihadisme ne se serait pas constitué, les attaques de Paris n'auraient pas eu lieu, l'Europe n'aurait pas à faire face au retour de milliers de terroristes de Syrie, la crise des réfugiés syriens n'aurait jamais existé, la coalition internationale ne serait pas obligé d'effectuer des dizaines de milliers de frappes en Irak et en Syrie pour tenter d'anéantir cette organisation terroriste, et j'en passe et des meilleures. Une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU ferme aurait permis d'éviter ce désastre. Il n'y a rien de plus significatif pour illustrer l'effet papillon évoqué au début de l'article. Voilà pourquoi le président russe Vladimir Poutine porte une très lourde responsabilité dans le chaos et le drame syriens.

6. « Make Russia Great Again », #metoo dirait Poutine


Vladimir Poutine est un homme qui aime son pays. Lui aussi, il veut « rendre sa grandeur à la Russie ». Comme Donald Trump, il se prend de la plus mauvaise des manières, à travers des pratiques révolues héritées de l'Union soviétique: autoritarisme, décongélation de la guerre froide, assassinats des opposants et des anciens espions, engagement dans une course aux armements, compensation de l'infériorité militaire en armes conventionnelles et de l'infériorité technologique par la prolifération nucléaire, usage de la menace nucléaire permanente comme moyen de faire pression, invasion et annexion de territoires étrangers, ingérences dans les affaires occidentales, défense des tyrannies, tirer profit des idiots utiles, etc.

Pour William Hague, ancien ministre anglais des Affaires étrangère (2010-2014), « l’affaire Skripal contient tous les éléments du régime Poutine, vengeance, déni, inventivité et capacité de discerner les faiblesses des sociétés ouvertes et libres ». Voilà pourquoi il estime que « ce sera douloureux, mais l’Occident endormi doit se réveiller face à la véritable menace posée par Poutine ».

A trois jours de sa nouvelle intronisation, le jeudi 15 mars, dans une déclaration solennelle commune, Emmanuel Macron, Angela Merkel, Donald Trump et Theresa May ont tenu à exprimer leur grande inquiétude et leur unité face à la première utilisation ciblée de l'arme chimique sur le sol européen depuis la Seconde guerre mondiale. « Nous, les chefs d’État et de gouvernement de la France, de l’Allemagne, des Etats-Unis et du Royaume-Uni, exprimons notre consternation après l’attaque contre Sergeï et Ioulia Skripal à Salisbury, Royaume-Uni, le 4 mars 2018 (...) Cet emploi d’un agent neurotoxique de qualité militaire, d’un type développé par la Russie... est une atteinte à la souveraineté britannique… et une violation claire de ladite convention (sur l'interdiction des armes chimiques) et du droit international. C’est notre sécurité à tous qui est menacée. » Ils ont tenu également à faire savoir qu'à ce stade de l'enquête, la responsabilité de la Russie dans l'attaque chimique ne fait pas beaucoup de doute. « Le Royaume-Uni a informé en détail ses alliés sur le fait qu’il était hautement probable que la Russie soit responsable de l’attaque. Nous partageons le constat britannique qu’il n’y a pas d’autre explication plausible. » Les quatre dirigeants occidentaux ont mis en garde Vladimir Poutine dans des termes à peine voilés. « Nos préoccupations sont également renforcées par un contexte préexistant caractérisé par une dynamique de comportements russes irresponsables. Nous demandons à la Russie de faire face à ses responsabilités de membre du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. »

Pour le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, « il est clair que Londres se trouve dans une situation très difficile en ce qui concerne les négociations avec l'Union européenne sur le Brexit... la popularité de ce gouvernement ne cesse de baisser (...) cette manière d'organiser des provocations autour de Sergueï Skripal détourne l'attention ». Un autre digne héritier du Comité central du PC!

Le même jour, le 15 mars, le département du Trésor américain a infligé des sanctions à 5 entités et 19 individus russes pour « leur tentative d'ingérence dans les élections américaines ». Pas spécialement parce que l'administration Trump voulait le faire de gaieté de cœur. Le principe des sanctions était imposé par le Congrès des Etats-Unis, après l'inculpation d'une douzaine de ressortissants russes par Robert Mueller, le procureur spécial américain chargé de diriger l'enquête sur la collusion du candidat Donald Trump avec la Russie ! Ce sont les sanctions les plus sévères à ce jour, elles touchent des proches de Poutine (dont Yevgeniy Prigozhin), qui dirigeaient officiellement « l'Internet Research Agency », et officieusement la « Troll Factory », l'usine à fake news, basée à Saint-Pétersbourg, chargée de semer « la discorde dans le système politique des Etats-Unis », comme dit l'acte d'accusation de Mueller.

7. La Russie post-soviétique telle qu'elle a été façonnée par Poutine est une grande déception


Il n'y avait aucun suspense sur l'issue de l'élection présidentielle russe de dimanche. D'ailleurs, selon les premières résultats de la Commission électorale centrale, Vladimir Poutine est réélu dès le premier tour avec 75% des voix exprimées et une participation de l'ordre de 66%. Ainsi, l'aventure qui a commencé en 1999, continuera jusqu'en 2024.

Le nouveau mandat du président russe ne suscite ni enthousiasme ni espoir en Occident. La tactique de la Russie post-soviétique pour se faire une place au soleil, telle qu'elle a été élaborée essentiellement par le grand vainqueur du scrutin d'aujourd'hui, déçoit. Plus grave encore, elle est vouée à l'échec. Elle ramène ce grand pays qui a un potentiel considérable à la case de départ, la guerre froide. « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », signé Albert Einstein. La stratégie des leaders soviétiques a conduit à l'explosion de l'URSS. Celle de Vladimir Poutine fait courir à la Russie le risque de l'implosion*.

* phénomène physique dans lequel un milieu solide ou un corps creux, soumis à une pression externe supérieure à sa résistance mécanique, s'écrase violemment et tend à se concentrer en un volume réduit (Larousse)

dimanche 4 mars 2018

Les « idiots utiles » de Bachar el-Assad et de Vladimir Poutine, mais aussi ceux de Benyamin Netanyahou et de Donald Trump (Art.514)


Un idiot utile désigne de nos jours quelqu'un qui sert les intérêts d'une autre partie, alors qu'il croit être resté fidèle à ses convictions. Nouveau cas, la Syrie.


Mais qu'est-ce que c'est un « idiot utile » ?


L'expression est en usage aux Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale. L'auteur ne serait autre que Lénine. A l'origine, les useful idiots sont des ressortissants occidentaux, adhérents sincères ou naïfs à l'idéologie communiste. Du fait de leur incapacité à critiquer les dérives de l'Union soviétique, même quand les évidences étaient irréfutables, ils participaient, volontairement ou pas, à la diffusion de la propagande de l'URSS. Ils servaient en quelque sorte les intérêts soviétiques au détriment des intérêts occidentaux. Ils devenaient alors, sans s'en rendre compte, ces grands idiots occidentaux utiles aux petits malins soviétiques. 

Près de 30 ans après la réunification de Berlin et le triomphe du modèle occidental, marqué par la dissolution de l'URSS et l'effondrement du modèle communiste, rien à changer dans le fond. Les idiots utiles sont toujours légion, mais les choses sont devenues plus précises. L'URSS est morte, vive la Russie. Le communisme est mort, vive l'anti-américanisme primaire. Les idiots utiles d'aujourd'hui comme ceux d'hier, préfèrent Moscou à Washington. Cependant, au stricto sensu, un idiot utile désigne de nos jours quelqu'un qui sert les intérêts d'une autre partie, alors qu'il croit être resté fidèle à ses convictions. 

De célèbres idiots utiles dans l'histoire contemporaine


Donald Trump lui-même peut être considéré comme l'idiot utile de Mohammad Ben Salmane. Il a suffi de débloquer 380 milliards de dollars de promesses et de contrats, pour lui monter la tête contre l'Iran. Et vice versa, diraient certains, depuis que MBS est allé jusqu'à bénir le Muslim Ban de la Maison Blanche, sauf que le président américain a une prédisposition naturelle à être idiot tout court, inutile de surcroit.

A ce propos, Trump est aussi l'idiot utile de Benyamin Netanyahou, depuis qu'il a reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël et a décidé d'y transférer l'ambassade américaine. Et puisqu'on y est, Bibi est lui-même l'idiot utile des Juifs orthodoxes et des colons israéliens. D'ailleurs, avec Israël, ohlala, les idiots utiles sont légion aussi. Sous prétexte que le pays est une démocratie et à cause de l'horreur de l'holocauste, l'Etat hébreux bénéficie d'une immunité qui lui permet de violer une dizaine de résolutions de l'ONU sans jamais être vraiment inquiété par beaucoup de leaders et d'intellectuels occidentaux.

A posteriori, on peut dire également que Tony Blair était l'idiot utile de George W. Bush, qui était lui-même l'idiot utile des néoconservateurs américains. Tous étaient à l'origine de la stupide guerre en Irak en 2003 dont on n'a pas fini d'en payer le prix. Et parmi les grands idiots utiles de la politique de l'histoire contemporaine, qui méritent la palme d'or d'ailleurs, il y a lord Arthur Balfour, qui n'a pas mesuré les conséquences de sa déclaration pro-sioniste sur l'avenir du Moyen-Orient, un siècle d'injustice, de tension, de colonisation, de conflits et de guerres, et c'est loin d'être terminé. Du côté intellectuel, le plus célèbre des idiots utiles, c'est de loin Jean-Paul Sartre, grand défenseur de l'URSS. « La liberté de critique est totale en URSS (...) Le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition au sein d'une société en progression continuelle », jusqu'à l'implosion sans doute.

On peut multiplier les exemples à l'infini. Toujours est-il que certains idiots utiles avouent ouvertement leurs convictions, d'autres n'osent pas le faire, mais n'en pensent pas moins. Restons concentrer sur les idiots utiles de Syrie et de la Russie.


La polémique créée par l'intervention de Claude el-Khal dans Le Média 


Pendant des semaines, de jour comme de nuit, la Gouta était soumise à un déluge de fer et feu par le régime syrien et son allié russe. Bachar el-Assad est déterminé à en finir avec ce bastion d'opposants à son régime de la banlieue de Damas, qui lui tient tête depuis le début de la rébellion en 2011. C'est la guerre, mais à quel prix! De centaines de civils tombent comme des mouches, dont des dizaines d'enfants. Ils sont sacrifiés sur l'autel de cette soi-disant lutte anti-terroriste menée par la tyrannie des Assad, qui terrorise la Syrie et le Liban depuis 1970. Des photos de victimes circulent. Elles témoignent de la cruauté du régime terroriste de Damas. Elles sont terribles. Tous les médias en publient, sauf un, « Le Média », une chaine de télévision d'obédience mélenchoniste, créée récemment sur internet. 

Après de mures réflexions, la web-tv proche du parti d'extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise, a pris la décision le 23 février de ne rien diffuser. « Nous avons choisi de ne montrer aucune image. Nous ne sommes pas là pour faire du sensationnalisme, mais de l'information. » C'est c'là, tout le monde fait du sensationnalisme sauf les journalistes du Média et comme si les images ne font pas partie intégrante de l'information. Oui mais, attention, dans le conflit syrien, « il y a deux versions différentes qui sont racontées, pro- ou anti-Bachar » et « aucune image n'est vérifiée ». Mais voyons! Ce sont donc les deux éléments fondamentaux qui ont justifié la décision de ce nouveau-né des médias, qui a connu en l'espace de six semaines, un licenciement sec à la Bolloré de sa présentatrice vedette (Aude Rossigneux), plusieurs départs précipités (Noël Mamère, ex-député ; Catherine Kirpach, ex-LCI ; Léa Ducré, ex-Libé/Inrocks) et la fuite d'une dizaine de soutiens (dont Aurélie Filippetti, ex-ministre de la Culture). En cause, au moins en partie, la couverture du média de la guerre en Syrie, notamment par son correspondant franco-libanais, Claude el-Khal.

Claude el-Khal est un ami des réseaux sociaux. Nous sommes tous les deux des écrivains francophones, passionnés, évoluant hors du système. Nous avons le verbe haut et nous militons pour laisser le monde, le Moyen-Orient en général, et le Liban en particulier, dans un meilleur état que celui dans lequel nous l'avons trouvé. Nous sommes d'accord sur certains points. Nos avis divergent sur d'autres points. Sur la Syrie, nos positions sont diamétralement opposées. Celle de Claude el-Khal est résumée lors de son intervention dans Le Média. Celle de Bakhos Baalbaki est beaucoup plus courte, elle se résume ainsi: « Bachar el-Assad est un criminel de guerre. Toute approche du conflit en Syrie doit commencer par ce constat non-négociable ». Je rajouterai même : « Bachar el-Assad a le choix, soit de comparaitre devant la Cour pénale internationale pour répondre de ses crimes de guerre et de ses crimes contre l'humanité, soit d'assurer une transition politique en Syrie, prendre ses cliques et ses claques, et demander l'asile politique à Poutine ». Encore faut-il qu'il le lui accorde.

Pour les détails sur les positions de l'un et l'autre, je renvois à nos publications respectives depuis des années. Pour la critique de la position de Claude el-Khal, je vous recommande trois articles: « Ghouta : quatre contre-vérités de la propagande pro-Assad » (Anthony Samrani, L'Orient-Le Jour, critique la position de CEK sans le nommer!), « La désinformation d'une partie de la gauche sur la guerre en Syrie » (Antoine Hasday, Slate), « 'Le Média' sur la Syrie : naufrage du 'journalisme alternatif' » (Sarah Kilani et Thomas Moreau, Lundi Matin). Pour la défense de la position de Claude el-Khal, il faut se tourner vers le communiqué de Sophia Chikirou, la directrice du Média: « Syrie : Claude el-Khal a raison ». Dans le présent article je n'aborderai que trois angles de vue.

Le Mélenchon ou l'Imposteur


On ne peut pas bien comprendre la polémique actuelle sans passer par la case Mélenchon. Les fondateurs, les journalistes et les spectateurs de la web-télé « Le Média », sont pratiquement tous des militants et des sympathisants du candidat malheureux à l'élection présidentielle française.

Jean-Luc Mélenchon est un mauvais perdant, on le sait. Pire, il est de la trempe de Trump, mais d'apparence plus sympathique. Dans le fond, il est aussi bouffon que lui. Aussi dangereux également. Il a tout fait pour parvenir à l'éclatement du Parti socialiste. Son désir profond et inavouable, après sa défaite présidentielle, c'était de voir Marine Le Pen installée au palais de l'Elysée, ce qui devait faire de lui le Don Quichotte de la République française. C'est la raison pour laquelle il n'a jamais appelé à voter Macron afin de faire barrage à Le Pen. Raté. 

Depuis, il est en colère et plein d'amertume. Et il le fait savoir. Macron lui file des complexes et les journalistes l'agacent. Lundi dernier, el comandante declara, franco texto : « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine ». Son post est d'une rare violence pour un politicien qui croit naïvement avoir un destin au-delà de la Canebière. Cette énième colère a une raison: des révélations sur ses comptes de campagne lors de l'élection présidentielle, et pas des moindres: des soupçons de surfacturations destinées à obtenir un remboursement plus important de l'Etat.

Et qui a bénéficié de cette belle manne financière qu'a constitué la campagne présidentielle de 2017 svp? C'est Sophia Chikirou, la fondatrice, directrice et même propriétaire de Mediascop, une agence de com' créée en 2011, et de Le Média, la petite web-télé-grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf, créée en 2018. D'ailleurs, le montage financier du candidat du peuple et de cet anticapitaliste lors de la dernière présidentielle vaut le détour. Pour simplifier, la directrice de la com' de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017, Sophia Chikirou, a fait appel à la propriétaire de Mediascop, Sophia Chikirou elle-même, pour accomplir des prestations de services payées par le candidat présidentiel, pour un montant global de 1 161 768 €, dont une petite partie était surfacturée. Elle n'est pas belle la gestion financières de l'extrême gauche !

Sur le plan idéologique, l'anti-américanisme primaire de Jean-Luc Mélenchon permet de le situer sur le plan international. Quant on l'interroge sur Poutine, il se réfugie derrière son doigt: il ne s'intéresse qu'à la politique de la France. Ce qui ne l'empêche pas quelques minutes après de déblatérer sur Erdogan. Et sur Assad, bizarrement, pas grand-chose. Il pense même que c'est au peuple syrien d'en décider. Sous la répression, la terreur, les bombardements et les massacres. Pas de doute, c'est Le Mélenchon ou l'Imposteur ! 

Doit-on diffuser les images des victimes du conflit en Syrie ?


Dans une guerre, il y a autant de camps que d'horreurs, cela va de soi. Mais, il est particulièrement malhonnête de mettre tout sur un pied d'égalité. Dans la pratique médicale, on apprend à hiérarchiser les urgences. Dans la pratique juridique, on apprend à hiérarchiser les responsabilités.

Ainsi, si du côté d'al-Ghouta, on dénombre plus de 500 morts en quelques jours et du côté de Damas, il y a 50 morts pour la même période, cela signifie que la situation est plus alarmante à al-Ghouta qu'à Damas, qui est, rappelons-le aux amnésiques par omission ou par conviction, une région assiégée depuis des années par le régime de Damas. Il est donc normal qu'elle soit plus citée dans les grands médias occidentaux. Maintenant, si la situation est plus préoccupante à al-Ghouta qu'à Damas, c'est parce que le régime de Damas se montre plus criminel que les rebelles d'al-Ghouta, d'où la différence importante dans le bilan humain. Il est donc normal là aussi qu'il soit placé sur le banc des accusés par les grands médias occidentaux et que la charge contre lui soit plus grande.

A cette logique accablante, on peut rajouter des circonstances aggravantes pour le régime de Bachar el-Assad. A commencer par le fait que le chef du régime alaouite syrien prétend être le représentant de l'Etat et du peuple syriens, alors que les rebelles ne sont qu'une nébuleuse de groupes, de guérillas et des milices armés. Plus grave encore, si les rebelles, les islamistes et les jihadistes ont la volonté de tuer leurs adversaires, mais relativement pas de grands moyens de le faire et pratiquement aucun soutien conséquent pour y parvenir, les hommes de Bachar el-Assad ont tout pour tuer leurs adversaires davantage : la volonté (comme le montre le bombardement des hôpitaux et des centres de soin d'une manière systématique ou l'album de César prouvant qu'ils ont affamé, torturé et tué 11 000 Syriens en détention), les moyens (armes conventionnelles, aviations, armes non-conventionnelles, barils d'explosifs, armes chimiques, gaz sarin, chlore, etc.) et les soutiens (Russie, Hezbollah, Iran). C'est ce qui explique le nombre très élevé de morts à al-Ghouta.

َAinsi, prétexter que dans le conflit syrien « il y a deux versions différentes qui sont racontées, pro- ou anti-Bachar », pour justifier de ne pas diffuser des images d'al-Ghouta, alors qu'on ne se gêne pas pour parler en long, en large et de travers de la guerre en Syrie, est donc bidon. Pour Christian Chaise, le directeur régional de l’AFP pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord: « Il n’est pas possible de rendre compte d’une guerre sans montrer au moins en partie les formes qu’elle prend et ses conséquences, notamment son impact humain... Cela relève de l’information, pas du sensationnalisme. Ne pas diffuser ces images reviendrait à faillir à notre mission (et notre devoir) d’informer. Encore faut-il savoir que nous ne diffusons pas toutes les images que nous recevons de Syrie, loin de là. Nous ne diffusons pas celles que nous estimons d’une trop grande violence. » 

Quant à l'autre argument « aucune image n'est vérifiée », il apporte la preuve que le ridicule ne tue pas. A ce propos, Christian Chaise précise : « Toutes les photos que diffuse l’AFP de la Ghouta orientale (et plus généralement de Syrie) sont vérifiées et authentifiées par notre desk d’édition photo, situé à Nicosie, moyennant un travail aussi minutieux qu’indispensable (...) Nous couvrons les deux côtés du conflit... Le fait d’être présent des deux côtés nous permet de rendre compte du conflit de manière équilibrée. » Maus encore, pour Grégoire Le Marchand, rédacteur en chef adjoint à l'AFP : « Ce message est insultant pour tous ceux, journalistes, activistes, ONG... qui travaillent sans relâche depuis des années pour vérifier tout ce qui se passe dans le chaos syrien. Se faire renvoyer à la figure 'journaliste français propagandiste', c'est consternant ».

Al-Ghouta, du déluge de fer et de feu en 2018 à l'attaque chimique en 2013: Bachar el-Assad cumule les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, et Vlamir Poutine le couvre 


Al-Ghouta, parlons-en. Cette région fut le théâtre d'un massacre chimique odieux au gaz sarin, mené par les troupes d'Assad le 21 août 2013, qui a couté la vie à 1 429 personnes dont 426 enfants, morts en un clin d'oeil, paralysés et asphyxiés. A l'époque aussi, des idiots utiles se sont offusqués par les accusations contre le régime syrien et ont prétendu qu'il n'y avait pas de preuves. On a eu beau leur fournir image sur image, enquête sur enquête et rapport sur rapport, de l'ONU, de Human Rights Watch, de Médecins sans frontières, des services de renseignement américains, français et allemands, en vain. On a eu beau leur parler de la preuve ultime de la culpabilité du régime syrien, à savoir l'acception sans contrepartie par Bachar el-Assad et Vladimir Poutine de se débarrasser d’un arsenal chimique que la Syrie des Assad, père et fils, acquit méticuleusement durant les quarante dernières années, une opération qui aurait coûter à son pays plus d’un milliard de dollars, rien à faire, les idiots utiles demandaient encore et toujours plus de preuves. 

Attaque aux armes chimiques (gaz sarin) d'al-Ghouta, menée par les troupes du régime de Bachar el-Assad dans la nuit du 21 août 2013. Bilan : 1 429 morts, dont 426 enfants. Pour plus de détails, se reporter à ma trilogie sur ce massacre odieux, les articles n° 177178 et 182

Il est donc évident que la décision du Média de ne pas diffuser des images d'al-Ghouta n'est qu'une manœuvre médiocre pour éviter de se prononcer sur les horreurs commises par le régime syrien, en Syrie en général et à al-Ghouta en particulier, en 2013 comme en 2018. Certains le font par sympathie pour le président syrien, d'autres par sympathie pour le président russe, voire par anti-américanisme primaire. Qu'importe, comme aucune de ses motivations n'est avouable, au moins par des intellectuels, cette sympathie ne peut être affichée, elle est forcément refoulée. Ainsi, bon gré mal gré, les uns et les autres, deviennent les idiots utiles de Vladimir Poutine et de Bachar el-Assad

Si on suit le raisonnement du Média, il serait préférable de ne plus diffuser des images du conflit israélo-palestinien. Deux camps s'affrontent et des vérifications pas suffisantes, ces arguments sont universels et intemporels. Il faudrait même détruire les archives de la guerre du Liban, du Vietnam, d'Algérie ou même de la Seconde guerre mondiale. Avec cette mentalité, les négationistes boivent du petit lait. Oublions le génocide des Arméniens, des Juifs, des Cambodgiens et des Rwandais, on peut faire dire aux photos ce que l'on veut. Les Goulags, ça n'a jamais existé. D'ailleurs, il faudra relâcher tous les jihadistes capturés en Syrie et en Irak. Aucune preuve de ce qu'ils faisaient en Orient. Peut-être qu'ils préparaient des falafels pour les terroristes sur le front!

Non, non et non, ne pas être capable de dénoncer les crimes et les criminels, c'est justement, participer à la guerre, couvrir les horreurs et même pire, c'est choisir un camp. Le courage aujourd'hui n'est pas de dénoncer l'évidence, les atrocités des jihadistes. Le courage est ailleurs et il a complètement échappé aux journalistes du Média. L'attaque chimique de 2013 est un crime contre l'humanité évident. Le bombardement intensif de 2018, d'une population civile de 400 000 personnes, assiégées de la pire façon depuis des années, est un crime de guerre flagrant. Ne pas dénoncer ce crime de guerre comme ce crime contre l'humanité et le criminel qui en est responsable, Bachar el-Assad, et ceux qui le protègent, Vladimir Poutine, Hassan Nasrallah et Ali Khameneï, est une faute morale impardonnable.

Dans tous les cas, qui a intérêt aujourd'hui de tout mettre sur un pied d'égalité en Syrie, et précisément à al-Ghouta, où l'écart du bilan humain entre les régions contrôlées par le régime et celles contrôlés par les rebelles est si important? Ce sont surtout ceux qui veulent minimiser les crimes commis par Bachar el-Assad depuis 2011 et la faute grave de Vladimir Poutine depuis le début de la guerre, qui a aidé militairement le tyran de Damas à s'imposer sur le terrain et a bloqué une dizaine de résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur la Syrie, la dernière datant du 16 novembre 2017, qui devait prolonger le mandat des experts internationaux enquêtant sur l'utilisation des armes chimiques en Syrie. S'ils le savent, ils sont complices et pas idiots du tout. Et s'ils ne le savent pas, ils sont justement, les idiots utiles de Bachar el-Assad et de Vladimir Poutine