vendredi 13 septembre 2013

Daniel Pipes : think tanker, faucon, néocon, sioniste, arabophobe, islamophobe, palestinophobe, obamaphobe et même voyagiste, est-ce possible ? (Art.180)


Qui suit l’actualité assidûment, tombera un jour ou l’autre sur certains noms incontournables. Robert Fisk par exemple, dans la presse anglaise. Bakhos Baalbaki aussi, sur le web libanais francophone. Michel Éléftériadès également, à la frontière du réel. Et Daniel Pipes bien évidemment, dans les médias américains.

Daniel Pipes est un infatigable écrivain. Un militant acharné. Un journaliste à ses heures perdues. C’est une institution à lui tout seul. Il est l’auteur de 3500 articles, notes et weblogs ! Il s’enorgueillit de 60 millions de pages web visitées. Le rêve ! C’est sans compter ces innombrables conférences qu’ils donnent partout dans le monde. Un vrai gourou médiatique, il n’y a qu’à faire un tour sur son site pour s’en convaincre. Ses spécialisations, ce sont la politique étrangère des États-Unis, le Moyen-Orient et l’Islam. Il dirige le Middle East Forum, qui fait escale pendant huit jours à Chypre vers la mi-octobre, où ce think tank, convertit pour la peine en agence de voyage, organise entre deux excursions, des discussions sur les enjeux de la découverte du « gaz offshore » en Méditerranée orientale et sur la « menace islamiste turque », avec des experts chypriotes et israéliens. Il faut prévoir 3 150 $ pour une personne seule, sans le billet d’avion et le déjeuner, 5 190 $ pour un couple, soit 1 110 $ d’économie, ce qui loin d’être négligeable, le think tank de Daniel Pipes pense à tout, absolument tout. Lol !

Voilà pour l’intro. Pour le reste, le sérieux et le consistant, sachez que Daniel Pipes est un homme influent. Il se présente comme un historien respectable et respecté, alors que nombreux de ses propos ne le sont pas. Loin de là. Mais alors, pas du tout. Tenez, sur l’islam par exemple, il pense que « Le problème c’est l’Islam militant. La solution c’est l’Islam modéré. » Mais cela ne l’empêche pas d’ajouter quand même : « les musulmans modérés constituent un très petit mouvement ». Alors, vérité dérangeante ou plutôt islamophobie camouflée ?

En tout cas, puisqu’on y est, restons encore un instant avec l’islam. Vous vous souvenez de la rumeur d’un temps, qui a fait fureur aux États-Unis, lorsque certains médias républicains avançaient, en boucle svp, que Barack Obama était un ancien musulman ? Et bien, c’était lui qui était derrière. Il a écrit de nombreux articles pour l’établir. En vain. Et ce n’était pas une simple référence au père du président américain ou à son enfance en Indonésie uniquement, non, non, Daniel Pipes a mis les bouchées doubles pour y parvenir. Dans un de ces nombreux articles consacrés au sujet, le journaliste se demandait, « Was Barack Obama a Muslim ? » Imaginez une seule seconde, la même chose avec « Was Daniel Pipes a Jewish ? » Yalla bassita, passons. Et devinez quand l’article a été publié ? La veille de Noël de l’année 2007, le 24 décembre précisément. Comme par hasard, un bon timing pour une telle polémique dans l’Amérique puritaine. La volonté de nuire était donc manifeste. Du populisme à 5 cents ! Deux semaines plus tard, il voulait non seulement faire croire aux Américains que Barack Obama était un musulman, mais en plus, qu’il a été pratiquant ! « Confirmed: Barack Obama Practiced Islam. » Pathétique.

C’est du Daniel Pipes tout craché. Pour comprendre l’homme, il faut savoir que le célèbre gourou était défenseur de la guerre du Vietnam dans les années 70. Partisan d’armer Saddam Hussein dans les années 80, pour affaiblir l’Iran. Favorable à la première guerre du Golfe contre l’Irak. Il est parti en croisade contre le « terrorisme islamique » à partir du 11 septembre 2001. A son actif 560 interventions radio-télévisées dans l’année qui a suivi September 11 pour « conditionner » l’opinion publique américaine et la préparer aux interventions militaires des États-Unis en Afghanistan et en Irak. Peu de temps après, il a considéré que « Saddam Hussein représentait une menace imminente  pour les États-Unis ». Proche de l’administration de George W. Bush, il prédisait que « la guerre en Irak conduirait à une réduction du terrorisme ». Comme les événements par la suite ont démontré qu’il était magistralement à côté de la plaque, il a le culot de sortir, « La guerre civile en Irak n’affecte pas ceux d’entre nous qui ne vivent pas en Irak. Ce n’est pas vraiment notre problème. » Pour justifier ses propos, Daniel Pipes dévoile une philosophie guerrière redoutable : « Il est parfois possible et même nécessaire d’aller à la guerre sans prendre des responsabilités pour le pays auquel on fait la guerre. » Waouh ! Eh bien, pour un excité de la gâchette, il n’y va pas de main morte. Quel propos abject, d’un personnage irresponsable ! Daniel Pipes a beau tenir ces propos méprisables pour la population d’Irak d’aujourd’hui, qu’on peut appliquer aux populations de Syrie ou d’Iran de demain, il a néanmoins le mérite d’être parfaitement clair.

Pour ce qui est du dossier syrien, Daniel Pipes a consacré quatre articles sur ce pays depuis la tragédie chimique du 21 août 2013. Ses articles regorgent de tournures populistes à five cents. On apprend par exemple que Bill Clinton, démocrate, était un « président faible et généralement médiocre ». Le journaliste américain lui reproche d’avoir engagé les États-Unis dans des guerres où les intérêts américains n’étaient pas menacés, comme en Bosnie et au Kosovo, des opérations menées pour protéger des populations musulmanes, soit dit au passage ! Un autre exemple. « Alors que des dizaines d'églises coptes étaient en feu, il (Barack Obama) a joué au golf à six reprises. » Si, si, il l’a écrit ! Mais lui, ça ne l'empêche pas d’organiser des excursions touristiques à plus de 400 $ la journée à Chypre ! C’était le 28 août. Dix jours après, il récidive. « Le débat au Congrès sur la Syrie se déroule au moment où la ville chrétienne syrienne de Maaloula, où l’on parle encore l’araméen, est tombée sous un groupe djihadiste d’al-Qaeda. » Pour marquer l’esprit des lecteurs, il publie une photo du village syrien.

Mais, détrompez-vous, ce n’est pas pour autant que Daniel Pipes réclame la défense des coptes d’Egypte ou des chrétiens de Maaloula. Il s’en fout comme de l’an quarante. Ses priorités se limitent aux intérêts américains et israéliens. Et par conséquent, il est contre l’intervention américaine en Syrie, qu’elle soit musclée ou même limitée. Il l’a déjà dit en juin 2012. « Les intérêts occidentaux suggèrent de rester en dehors du bourbier syrien. » Il l’a redit dans un article du 9 septembre. Les deux options comportent beaucoup de risques, notamment pour Israël. Pour Daniel Pipes, l’option « Ne rien faire » présente beaucoup d’avantages, notamment celui de « maintenir un équilibre stratégique bénéfique entre le régime et les rebelles ». L’auteur de ces lignes méprisables, au parcours peu flatteur, a le culot de préciser dans son article du 11 septembre : « Qu’Obama semble pousser à défendre son honneur et sa crédibilité, indépendamment du cout, rend cet épisode particulièrement gênant. Un grand pays se retrouve pris en otage par l’ego d’un petit homme... Les Américains commencent enfin à voir les conséquences de l’élection et de la réélection, sans doute, du pire politicien des temps modernes à habiter la Maison Blanche. » Waouh, et si Daniel Pipes n’était que le pire journaliste américain des temps modernes, « kezbé kbiré » comme on dit au Liban (un gros mensonge)? En tout cas, l’autre avantage majeur de ne rien faire en Syrie selon Pipes est de « ne pas distraire Washington du pays vraiment important, l’Iran », qui serait selon l’activiste américain à deux doigts de fabriquer une bombe nucléaire. Et là, Daniel Pipes est explicite : « Contrairement à l'utilisation d'armes chimiques contre les civils syriens, cette perspective est la préoccupation personnelle la plus directe et la plus vitale pour les Américains car elle pourrait conduire à une attaque électromagnétique sur leur réseau électrique, qui les ferait soudainement retourner à une économie du 19e siècle et provoquerait des centaines de milliers de morts. » C’est c’là oui, on connait la stratégie de la peur de W pour conditionner les Américains ! Ainsi, il demande au Congrès de rejeter le plan Obama, et « d’adopter une résolution encourageant et approuvant l’utilisation de la force contre l’infrastructure nucléaire iranienne ». Là aussi, Daniel Pipes a le mérite d’être franc.

Il est intéressant de constater que la position de Daniel Pipes sur le dossier syrien colle parfaitement avec la vision dominante en Israël. En effet, les Israéliens craignent davantage le dérapage avec le « nucléaire iranien » des mollahs. Il faut bien reconnaître que la tyrannie des Assad, père et fils, a assuré à l’État hébreux un calme olympien sur le front du Golan, qui n’a jamais été perturbé, même à l’annexion de la région syrienne par Israël en 1981, la dernière balle tirée sur ce front pépère remonte à 1974 ! C’est ce qui a valu à Bachar el-Assad le titre du « meilleur ennemi d’Israël ». Par contre, Syriens et Libanais, ont plus à craindre davantage et dans l’immédiat, des dérapages du « chimique syrien », comme le prouve la tragédie du 21 août 2013, que les auteurs soient Bachar el-Assad ou le Hezbollah et Jabhat al-Nosra, après le transfert, volontaire ou accidentel, des gaz mortels à ces deux groupes djihadistes.

Sachez également que Daniel Pipes publie ses articles essentiellement dans le Washington Times, un quotidien fondé en 1982 par des membres de « l'Église de l'Unification », pour concurrencer le respectable Washington Post. Ce mouvement religieux, connu aussi sous le nom de « l’Association de l'Esprit Saint pour l'unification du christianisme mondial », a été créé en 1954 par le coréen Sun Myung Moon, installé aux États-Unis en 1972, un proche de la famille Bush par la suite, mort il y a un an à l’âge de 92 ans. Ce mouvement fut considéré comme une secte dans un rapport parlementaire français. Le révérend Moon s’est définit lui-même comme le nouveau Messie, depuis que Jésus lui est soi-disant apparu à l’âge de 16 ans. Last but not least, Moon pensait qu’un jour « Le Washington Times deviendrait l'instrument qui propagerait la parole de Dieu dans le monde ». Encore un illuminé. Tenez, à tout hasard, Daniel Pipes se définit lui-même comme un néoconservateur, de la trempe des fanatiques chrétiens, locataires de la Maison blanche entre 2001 et 2009, W & Co.

Et avant que je n’oublie, le journaliste américain s’affiche comme un soutien indéfectible d’Israël. Il critique même les Israéliens pour leur manque de fermeté à l’égard des Palestiniens et leur « politique d’apaisement ». Il était contre le retrait israélien de Gaza en 2004. Daniel Pipes est même farouchement opposé à la création d’un État palestinien. Pour lui la solution au conflit israélo-arabe est simple : rattacher la Cisjordanie à la Jordanie et Gaza à l’Égypte. Que deviennent les millions de réfugiés palestiniens dans les pays arabes ? Daniel Pipes n’en a cure, ce n’est pas son problème. Il reproche à Obama de poursuivre « le projet illusoire d'un processus de paix israélo-palestinien » (propos du 21 août 2013). Encore un détail, l'activiste américain a reçu en 2006 le Guardian of Zion Award, le prix du Gardien de Sion, une récompense universitaire israélienne décernée annuellement depuis 1997 aux personnes de confession juive qui se sont montrées favorables à l’État d’Israël.

Et je termine par ce qui nous concerne directement, nous autres Libanais. Sans se perdre dans 1001 détails, deux éléments significatifs. Lors de la guerre de juillet 2006 d’Israël et du Hezbollah sur le Liban, « une guerre qu’Israël doit gagner » (20 juillet), Daniel Pipes a multiplié les critiques à l’égard de certains médias occidentaux sur leur couverture biaisée du conflit, pas favorable à Israël. Deux jours seulement après la fin du conflit, tout ce qu’il a trouvé à dire sur ce désastre qui a couté au Liban plus de 1 200 morts et l’équivalent de la moitié de son PIB (soit près de 11 milliards de dollars), c’est de conseiller « au gouvernement israélien de voir ses relations publiques comme faisant partie de sa stratégie » pour éviter que certains ne puissent « blesser l’image d’Israël » à l’étranger. Il faut savoir par ailleurs que Daniel Pipes s’acharne depuis des années à faire passer l’idée que seulement 1 % des 5 millions de Palestiniens inscrits auprès de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East), soit 50 000 personnes, peuvent être considérés comme « réfugiés palestiniens », c’est-à-dire uniquement ceux qui se trouvaient en Palestine entre juin 1946 et mai 1948, mais pas leurs descendants, qui sont selon l’activiste américain, de « faux réfugiés ». Ah, Daniel Pipes fait le malin. On devine aisément pourquoi ! Ainsi, dans quelques années, Israël n’aura plus un problème de « réfugiés palestiniens ». Evaporés ! Génial. Depuis cent ans, on fait immigrer des ressortissants juifs du monde entier en Israël, des gens qui n'ont plus aucun lien avec la Terre sainte depuis des siècles, mais on veut refuser à des descendants palestiniens directs de la 1re génération d'expulsés, de retourner sur les lieux de naissance de leurs parents ! J'ai rarement lu une contorsion intellectuelle de plus injuste et de plus lamentable. Voilà ce que Daniel Pipes écrit en mai 2012 : « 1948 est arrivé, il est temps d’être réaliste... Résoudre le conflit israélo-arabe, pour faire court, nécessite de mettre fin à la farce absurde et dommageable de la prolifération de faux réfugiés palestiniens et leur installation définitive (dans les pays d’accueil). » Nous avons près de 500 000 réfugiés palestiniens au Liban !

Vous aurez sans doute l’occasion de tomber sur le nom de Daniel Pipes un jour ou l’autre. Maintenant que vous avez un bref aperçu du bonhomme, vous saurez à quoi s’en tenir.