dimanche 8 septembre 2013

Obama expliqué aux nuls. Episode 2/3 : Ce que l’on sait sur le massacre d’al-Ghouta (Art.178)


De toute la tragédie syrienne, deux dates resteront dans la mémoire de l’Histoire. Jusqu’à ce jour en tout cas. Le 15 mars 2011, qui marque le début d’une révolte pacifiste en Syrie sous le règne du dernier tyran des Assad, et le 21 août 2013, où l’horreur a atteint l’inimaginable. Dans le 1e épisode de cette trilogie que j'ai décidée de consacrer à la Syrie après ce dernier événement odieux, j’ai mis la lumière sur notre grande responsabilité en tant que Libanais ayant des compatriotes chiites engagés massivement dans la guerre civile syrienne aux côtés de Bachar el-Assad, pour combattre les soi-disant takfiriyines sunnites. Dans ce 2e épisode de la trilogie, je rentrerai dans le vif du sujet « Obama expliqué aux nuls », en me demandant, mais au fait, qu’est-ce que nous savons à ce jour du massacre d’al-Ghouta ?

Grâce à la rivière Barada, dont la source se situe dans l’Anti-Liban, et aux travaux d’irrigation depuis les civilisations antiques, les terres qui entourent Damas ont été transformées au fil du temps en une oasis dans le désert de Syrie, al-Ghouta en arabe. Ni les Araméens, ni les Romains, n’ont imaginé que cette région agricole sera tristement le théâtre d’un grand massacre à l’arme chimique un jour. Si une certaine confusion a pu régner pendant les quelques heures qui ont suivi le massacre d’al-Ghouta en Syrie, aujourd’hui il n’en reste rien ou presque. L’attaque chimique est bien confirmée, le bilan est très lourd et les auteurs sont parfaitement identifiables. 

A décharge du régime, le clan Bachar el-Assad et sa machine de propagande avec ses nombreux défenseurs libanais, le Hezbollah et le Courant patriotique libre entre autres, et ses quelques alliés internationaux, l’Iran et la Russie, ont avancé l’argument fallacieux, qu’il serait complètement « illogique », terme utilisé par Bachar himself dans l’interview déplacé que le Figaro lui a accordé le 1er septembre, que le régime syrien fasse usage des armes chimiques alors que les enquêteurs de l’ONU résidaient à quelques minutes des zones gazées. Cette argumentation rachitique, reprise en boucle par ses fidèles défenseurs, oublie un détail, et de taille. Bachar el-Assad ne souffre d’aucun trouble psychiatrique, contrairement à ce qu’on croit. C’est un homme pragmatique, tout le monde le sait. Non, il ne gazera pas ses compatriotes par plaisir, il faut arrêter de fumer la moquette ! Mais il le fera par nécessité, sans aucune hésitation. Le recoupement des informations provenant du terrain et des services de renseignements franco-américains, laissent penser que c’est exactement ce qui s’est passé ce « mercredi noir » du 21 août 2013.

Depuis des mois, deux poches de résistance sont bien ancrées à l’est et au sud-ouest de la capitale, dans la banlieue de Damas, la fameuse région d’al-Ghouta, comme le montre le dessin diffusé par le ministère français de la Défense. Ces zones rebelles se situent à une douzaine de kilomètres du palais présidentiel de Bachar el-Assad et à une lancée de pierre de l’aéroport militaire de Mazzeh. Les combats sont quotidiens. La frustration des forces loyalistes, incapables de déloger les rebelles de la banlieue de Damas depuis plus d’un an est énorme. Les renseignements français détiennent des informations qui prouvent que « le régime redoutait une attaque d’ampleur de l’opposition sur Damas dans cette période ». Cette nuit-là, le front s’est enflammé une nouvelle fois, menaçant encore une fois le centre du pouvoir du régime alaouite. Bachar el-Assad, voulait non seulement briser les offensives est-sud-ouest sur le palais présidentiel, mais en plus, en finir une fois pour toutes avec ces poches de résistances menaçantes, qui se trouvent comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête à Damas. Il souhaitait aussi marquer les esprits, en terrorisant à la fois les rebelles et la population qui les soutient. La suite des événements est particulièrement odieuse.

Les troupes de Bachar envoient sur une douzaine de zones d’al-Ghouta alcharquiyé (à l’est de Damas) et al-Ghouta algharbiyé (au sud-ouest de Damas), ces deux zones tenues par les rebelles, des roquettes remplies de gaz sarin. Selon le chef d'état-major de l'Armée Syrienne Libre (ASL), le brigadier général Selim Idriss, des missiles et des obus ont été tirés depuis l'aéroport militaire de Mazzeh à partir de 2h25 du matin, par la brigade 155 et depuis le Mont Qassioun par la brigade 127, celle qui est rattachée à la 4e division dirigée par Maher el-Assad, le frère de Bachar. Les informations de l’ASL sont confirmées par les Américains qui détiennent des renseignements et des images satellites qui prouvent, qu’à l’heure du massacre des roquettes sont parties des zones loyalistes vers les zones rebelles. Et ce n’est pas tout, pour brouiller les pistes, entraver la circulation des individus et des secours, empêcher la population de recueillir des indices compromettants le régime, et surtout lancer une attaque terrestre ultérieurement, les deux Ghouta ont été soumises pendant les 24 heures qui ont suivi l’attaque à un bombardement intensif aux roquettes conventionnelles de l’artillerie du régime, quatre fois plus que le rythme habituel observé depuis dix jours. Ces bombardements qui se sont prolongés jusqu’au 26 août, visaient surtout à retarder le plus longtemps possible l’arrivée des enquêteurs de l’ONU, afin de détruire les indices et permettre au temps de faire disparaître les preuves. Et le comble de l’horreur, un élément qui prouve non seulement la culpabilité du régime mais aussi le fait qu’il était parfaitement conscient du crime qu’il avait commis, des incendies volontaires ont été déclenchées, afin de créer des appels d’air et accélérer la dissipation des gaz neurotoxiques après l'attaque.

Tous les rapports des services de renseignements occidentaux sur la tragédie du 21 août 2013 arrivent à la même conclusion. « Le gouvernement des États-Unis estime avec une grande certitude que le gouvernement syrien a mené une attaque aux armes chimiques dans la banlieue de Damas, le 21 août 2013. » Cette conclusion se fonde sur une myriade d’éléments accablants pour le régime de Bachar el-Assad : les renseignements américains ont détecté dans les trois jours qui ont précédé l’attaque chimique, des activités du régime qui sont associées à la préparation de cette attaque, notamment la présence entre le 18 août et le 21 août à l’aube, des unités du régime syrien spécialisées dans les armes chimiques dans le secteur d’Adra qui est situé à une vingtaine de kilomètres des zones gazées ; des interceptions de communication entre les militaires du régime syrien ; des images satellites qui prouvent que des roquettes sont parties des zones contrôlées par le régime vers la région d’al-Ghouta (Kafr Batna, Jawbar, Ayn Tarma, Darayya et Mu’addamiyah) 90 minutes avant que le premier cas d’attaque chimique n’ait été reporté sur les réseaux sociaux à l’aube ; des centaines de témoignages de survivants sur les réseaux sociaux pendant 4h à partir d’une douzaine de zones contrôlées par les rebelles ; une centaine de vidéos différentes des victimes de l’attaque ; tous les signes cliniques observés indiquent une exposition à des agents chimiques neurotoxiques : perte de connaissance, absence de blessure corporelle, convulsions, nausées, vomissements, hypersécrétion salivaire, étouffement, myosis (contraction des pupilles), dyspnée (difficulté respiratoire), cyanose (coloration bleutée des lèvres) ; des rapports médicaux sur les victimes (trois hôpitaux de Damas ont reçus 3600 patients en 3h, présentant des symptômes nerveux, à l’aube du 21 août) ; contamination du personnel soignant ; des analyses de laboratoire sur des échantillons prélevés sur les victimes (sang, cheveux) ; des indices sur le terrain ; les types de roquettes « spécifiques » utilisées (dont les éclats ont été analysés et qui confirment que ces roquettes, qui ne sont pas classiques, étaient vectrices d’agents chimiques et que seul le régime en possède) ; de l’analyse du comportement des troupes de Bachar el-Assad après l’attaque (frappes massives aux armes conventionnelles des zones ciblées, par l’artillerie et l’aviation du régime pendant cinq jours, pour retarder l’arrivée des enquêteurs et effacer les preuves) ; de l’analyse des capacités limitées des rebelles (humaines, techniques et militaires), etc. Le fait que l’attaque chimique ait touché douze zones différentes et simultanément de la banlieue de Damas, comme le montre le dessin publié par la Maison blanche, prouve la préméditation et la volonté délibérée de « nettoyer » les zones gazées. Il existe d’autres éléments compromettants, qui sont restés classer par les services de renseignements américains, mais qui ont néanmoins été transmis au Congrès et aux partenaires des États-Unis.

De leurs côtés les services de renseignement français, la Direction générale de la sécurité extérieure et la Direction du renseignement militaire, ont mis à la disposition de la presse un rapport dont les conclusions sont aussi formelles. Après avoir authentifié et expertisé les vidéos publiées, les renseignements français concluent qu’il s’agissait d'une attaque massive et coordonnée à l’arme chimique dont les rebelles syriens n'ont absolument pas les moyens de la mener. Pour eux aussi, l'attaque du 21 août a été perpétrée par le régime de Bachar el-Assad et son clan, les seuls habilités à donner l'ordre d'utiliser des armes chimiques. De l’autre côté du Rhin, les services de renseignement allemands, affirment que l’attaque est bel et bien l’œuvre du régime mais que son ampleur serait due à une erreur de dosage.

Le bilan humain de l’attaque chimique et conventionnelle de ce mercredi noir est très lourd. L’Armée Syrienne Libre l’estime à 1845 morts et 9924 blessés. Selon le gouvernement américain, au moins 1429 personnes sont mortes à l’aube du 21 août 2013, dont 426 enfants. Une liste provisoire de 585 morts, nommément identifiées, a été établie par le Centre de documentation des violations en Syrie (VDC), une ONG syrienne. L’ONG française Médecins sans frontières a confirmé avoir soigné 3600 patients souffrant de symptômes neurologiques dans trois hôpitaux damascènes qu’elle soutient. Elle atteste la mort de 355 d’entre eux. La majorité des personnes a été tuée dans son sommeil. D’où le caractère pernicieux et odieux des attaques aux armes chimiques. Disons aussi au passage, que la plupart des animaux des zones bombardées, animaux domestiques et bétail, ont subi le même sort que les humains. 

Un an avant cet odieux massacre -jour pour jour, et quelle ironie!- le président américain Barack Obama, avait prévenu que « Nous ne pouvons pas avoir une situation dans laquelle des armes chimiques tomberaient entre les mains de mauvaises personnes. Nous avons été très clairs avec le régime d’Assad, mais aussi avec d’autres acteurs sur le terrain, qu’il s’agissait d’une ligne rouge pour nous, si nous commencions à voir des armes chimiques déplacées ou utilisées. Cela changerait mes calculs. Cela changerait mon équation ». Il a réitéré sa mise en garde en décembre dernier. « L'emploi d'armes chimiques est et serait totalement inacceptable. Si Bachar el-Assad commet l'erreur tragique d'utiliser ces armes, il y aura des conséquences. » A la suite de la tragédie, le président américain a été très clair : « Après une mûre réflexion, j'ai décidé que les États-Unis doivent prendre des mesures militaires contre des cibles du régime syrien. Ça ne sera pas une intervention ouverte. Nous ne voulons pas envoyer des soldats sur le terrain. Notre action sera conçue pour une durée limitée. Je suis convaincu que nous pouvons tenir le régime d'Assad responsable de l'utilisation d'armes chimiques, décourager ce genre de comportement et détériorer ses capacités de mener à bien de telles attaques. » De son côté, Vladimir Poutine a qualifié les rapports des renseignements franco-américains qui attribuent l’attaque chimique du 21 août au régime syrien « d’absurdité totale ». Il a prévenu que toute action en dehors du Conseil de sécurité sera considérée comme une « agression et une violation du droit international ». Quelle déclaration abjecte de cet ex-KGBiste sachant que la Russie prend en otage le Conseil de sécurité, empêchant toute décision sur la Syrie depuis deux ans et demi, notamment en bloquant par son veto trois projets de résolution dans le passé. Dans tous les cas, le président russe estime que s’il est nécessaire, « nous allons réfléchir à ce qu'il convient de faire pour la fourniture d'armes sensibles à certaines régions du monde », c’est-à-dire à la Syrie et à l’Iran. Pas de doute, ceux qui se ressemblent, s’assemblent ! Et pour couper l’herbe sous les bottes du régime syrien, le président français, François Hollande, a indiqué que « Le rapport des inspecteurs doit être délivré le plus tôt possible... Le mieux serait que le Conseil de sécurité puisse être le cadre de cette condamnation... Sinon une large coalition devra se former, se forme en ce moment même, pour rassembler tous les pays qui n'acceptent pas qu'un pays, qu'un régime, puisse utiliser des armes chimiques. »

A ce jour, le monde se divise en trois catégories par rapport à une intervention militaire en Syrie :
- Pays favorables à une réponse internationale forte, même en cas de veto de la Russie : États-Unis, France, Allemagne, Arabie Saoudite, Qatar, Émirats, Koweït, Jordanie, Libye, Turquie, Japon, Canada et Australie.
- Pays favorables à une réponse de la communauté internationale si la culpabilité du régime syrien est formellement prouvée et sous l’égide de l’ONU : la grande majorité des pays européens avec l’Inde et le Brésil.
- Pays opposés à l’intervention : Russie, Chine, Irak, Égypte, Algérie, Tunisie, et bien entendu le Liban... toujours du mauvais côté.

Tous les éléments sont accablants pour le régime de Bachar el-Assad. L’attaque d’al-Ghouta du 21 août 2013 ne s’inscrit absolument pas dans le cadre des « manœuvres guerrières », des « actes de guerre », des « offensives militaires », même des « bombardements de terreur », voire des « crimes de guerre », il s’agit indéniablement d’un « crime contre l’humanité », dont les seuls responsables sont Bachar el-Assad et son clan. Dans le prochain épisode sur la Syrie, je développerai les raisons qui imposent une intervention militaire en Syrie, même, et surtout, symbolique. Vous saurez pourquoi pour l’Occident, notamment pour Barack Obama, François Hollande et Bakhos Baalbaki, l’utilisation des armes chimiques constitue le franchissement d’une ligne rouge qui exige une riposte programmée et puissante de la communauté internationale. Un point qui n’a pas du tout été compris d’une part, par la majorité des populations et de l’intelligentsia des pays d’Orient et des pays émergents, et d’autre part, par une partie de l’opinion publique occidentale. Les premiers se demandent pourquoi 1 % de victimes mobilisent tant les pays occidentaux, sans saisir parfaitement le caractère particulière grave de l’utilisation des armes chimiques, les seconds, ne souhaitent surtout pas s’embourber dans ce qui s’apparente pour eux à une « guerre civile ». Ces deux points de vue prouvent que la communication des médias libanais, arabes et occidentaux sur ce sujet gravissime et sur cette tragédie est insuffisante. Aujourd’hui, l’intervention militaire en Syrie attend trois réponses : d’abord, le feu vert du Congrès américain à Barack Obama (d’ici deux semaines), ensuite, le rapport des enquêteurs de l’ONU sur l’attaque chimique du 21 août (vers la mi-septembre) et enfin, une dernière tentative de passer par le Conseil de sécurité (sans doute la deuxième quinzaine de septembre), avant de décider de la suite des événements.

Réf.

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