dimanche 27 octobre 2013

Dans les secrets d’Allah, du Gardien des deux saintes mosquées et des Saoudiennes (Art.188)


Les dirigeants de l’Arabie saoudite sont actuellement en colère contre le Conseil de sécurité de l'ONU. Ils refusent même d'y siéger. Ils donnent des leçons en droit international au monde entier. Ils protestent vivement contre l'injustice qui frappe les populations syriennes et palestiniennes. Et pourtant, une grande injustice est là sous leurs yeux, mais ils ne la voient pas. Enfin, ils ne veulent pas la voir plutôt. Aussi incroyable que ça puisse paraître, encore en 2013, les citoyens du « sexe faible » de l’Arabie saoudite ne peuvent toujours pas conduire une voiture.

L’islam n’y est pour rien, naturellement. Le Coran n’en parle pas, évidemment. Mais, là où les choses se corsent c’est qu’il n’y a même pas de législation qui l’interdit. La meilleure ! Et donc, bien qu’il n’existe aucune loi proprement dite dans ce domaine, c’est tout simplement un décret du ministère de l’intérieur de 1990 qui a officialisé une coutume restrictive qui empêche la femme saoudienne de conduire. Les autorités du pays ne manquent pas de raisons pour se donner bonne conscience. Ils justifient le maintien de cette interdiction par des fatwas pour lutter contre la tentation. Il existe aussi des raisons sociales, bien entendu. On dit que la société saoudienne n’est pas prête pour cela. On dit aussi que la majorité des Saoudiens y est favorable. On dit également que c’est nécessaire pour éviter le chaos social. On a même fini par trouver des justifications d’ordre médical. La conduite perturberait le fonctionnement des ovaires et du bassin. C’est le dernier argument, créé de toute pièce par les zones les plus archaïques du cortex cérébral d’un cheikh saoudien, contre la protestation du 26 octobre. « Si une femme conduit une voiture, à l'exception d'une véritable nécessité, cela pourrait avoir un impact physiologique négatif, car des études médicales physiologiques et fonctionnelles montrent que cela affecte automatiquement les ovaires et relève le bassin. C'est la raison pour laquelle nous constatons que celles qui conduisent régulièrement ont des enfants marqués par des problèmes cliniques de différents degrés. » Allah wou akbar ! And last but not least, au grand dam des obsédés de l’hymen, la présence des femmes au volant signifierait « la fin de la virginité ». Wou khédo 3a zél wou té3tir ya chabeb !

Ce n’est pas la première fois que les Saoudiennes défient les autorités politico-religieuses du Royaume. Il y a eu plusieurs tentatives dans le passé. D’abord, en 1990, juste après l’instauration officielle de l’interdiction. Une campagne encouragée sans doute par la déferlante féminine au sein des troupes de la coalition militaire occidentale lors de la guerre du Golfe. Puis, il y a eu des protestations en juin 2011. La compagne Women2Drive, était motivée essentiellement par le Printemps arabe. Certaines femmes ont dû payer cet outrage par le licenciement ou l’interdiction de voyager, d’autres par la condamnation à une dizaine de coups de fouet (annulée par le roi Abdallah), voire par un emprisonnement d’une semaine. Les autorités, qui ne sont jamais à court d’argument, se vantent que les femmes peuvent conduire dans les zones rurales et désertiques du royaume. Wallah, et dans leur garage sans doute aussi. Maskhara wlo.

Tout était organisé pour faire du samedi 26 octobre le rendez-vous à ne pas manquer des femmes saoudiennes. Profitant des expériences passées, aucun rassemblement de masse n’était prévu. L’ingénieuse idée était simple. Les Saoudiennes étaient invitées à continuer leur vie normalement, mais aussi à se faire photographier ou filmer au volant, en roulant, si elle avait le permis (obtenu forcément à l’étranger), ou à l’arrêt, si elle n’en avait pas, et de poster leurs photos et leurs vidéos sur les réseaux ou de les envoyer aux organisatrices de l’événement. Aucun pays ne pouvait faire face à un phénomène aussi dispersé dans le temps et l’espace. Génial ! Un site internet fut créé pour l’occasion (Oct26driving.com). Les militantes saoudiennes notoires ont passé le mot. De Eman al-Nafjan à Manal al-Sharif et Najla al-Hariri. La jeune Loujain Hathloul a appelé courageusement ses compatriotes du sexe faible à se lever pour leurs droits. « Ahlan. C’est une nouvelle campagne pour gagner notre droit de conduire la voiture. Si vous n’avez pas pu y participer en 1991 et en 2011, il y a une nouvelle occasion le 26 octobre 2013. J’espère qu’il y aura un grand nombre de femmes qui pourront y participer cette fois-ci, pour en finir avec cette crise. Quant aux hommes qui tenteront de les arrêter, ils seront considérés comme des oppresseurs car aucune loi ne l’interdit. » Une pétition a été mise en ligne sur le site fédérateur. Elle a recueilli plus de 16 000 signataires en quelques semaines.

Ce franc succès n’a pas plu à tout le monde. A commencer par le ministre de l’Intérieur. Ses services ont contacté les principales militantes pour les dissuader « gentiment » de faire du 26 octobre, une grande journée de confrontation avec les forces de l’ordre. Pour convaincre les récalcitrantes d’abandonner cette bizarrerie -mais quelle idée de vouloir conduire, maa2oul !- le ministère a prévenu la veille, que toute personne qui soutient cette campagne sur les réseaux sociaux risque cinq ans d’emprisonnement. Allez, bonne chance les filles ! Et finalement les filles ont opté pour la raison. Pour Eman al-Nafjan, « la date était symbolique, les femmes ont commencé à conduire avant le 26 octobre et continueront de le faire après ce jour ». Pour Najla Al-Hariri, « par précaution et par respect pour les mises en garde du ministère de l'intérieur, et afin d'empêcher que la campagne ne soit exploitée par d'autres groupes, nous demandons aux femmes de ne pas conduire (samedi) et de changer l'initiative du 26 octobre en campagne ouverte pour la conduite des femmes ».

D’autres mécontents se sont manifestés avec plus de violence. Le site de protestation a finalement été hacké par ceux qui appellent à « faire tomber la suprématie des femmes saoudiennes et à ne pas permettre définitivement à la femme de conduire en Arabie saoudite ». Les hackers qui n’ont pas hésité à partager une vidéo de YouTube publié par un mystérieux « vainqueurs des libéraux », où le visage de la rayonnante Loujain Hathloul a été voilé virtuellement par les obscurantistes créateurs du clip qui prétendent que le mouvement du 26 octobre serait « à l’instigation du sioniste David Keyes », tout simplement parce l’activiste américain arabophone, fondateur de Advancing Human Rights et de Cyber Dissidents -deux organisations qui sont dédiées à la liberté individuelle, la bonne gouvernance, et la liberté d’expression démocratique des activistes arabes et iraniens sur internet- a apporté son soutien au mouvement et porte le prénom coupable de tous les maux arabes, « David ».

Et pour la suite ? Tout dépend d’un seul homme, Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud. Le roi saoudien est plutôt favorable à la levée de cette interdiction. C’est ce qu’il a laissé entendre un jour. A la prise du pouvoir en août 2005, dans sa première interview télévisée, avec une chaine étrangère de surcroit, ABC News, il a déclaré à la journaliste qui l’interviewait : « Je crois fermement aux droits des femmes. Ma mère est une femme, ma sœur est une femme, ma fille est une femme, ma femme est une femme... La question exigera de la patience... Je crois que le jour viendra où les femmes conduiront. » Et il l’a largement prouvé depuis.

Il faut bien avouer que cette prise de position est très louable. Certes, les traditions, les coutumes et le machisme sont tenaces. Il n’empêche qu’on ne pas ignorer le fait qu’en Arabie saoudite, seul le roi fait la loi. Le royaume wahhabite est une monarchie absolue où le roi est à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il nomme les ministres, chargés de le conseiller, ainsi que les 150 membres de Majlis al-Choura, l’Assemblée nationale, dont le rôle est strictement consultatif. Le roi est donc la seule autorité à passer et à faire appliquer les lois. La véritable limitation à son pouvoir est la charia, les règles islamiques qui régissent tous les aspects de la vie religieuse, sociale et individuelle en Arabie saoudite. Ainsi, le roi Abdallah est de facto l'homme qui peut lever cette injustice héritée de ces prédécesseurs qui frappent la moitié des sujets de Sa Gracieuse Majesté.

Il faut reconnaitre aussi que les choses bougent en Arabie saoudite. Dans le domaine économique et commercial par exemple. Les autorités ont fini par comprendre que la présence obligatoire de l’homme, même au rayon lingerie, était une absurdité dans ce royaume ultraconservateur. Malgré l’opposition religieuse, le roi Abdallah a libéré ce secteur de cette pratique. Désormais, les Saoudiennes ont affaire à des femmes, qui peuvent donc travailler théoriquement, dans les rayons de lingerie, aux caisses des supermarchés et aux guichets des banques. Mais pas d’emballement, la cabine d’essayage ce n’est pas pour demain. Même si la séparation des deux sexes au travail reste de rigueur, grâce aux réformes engagées par le roi Abdallah, les Saoudiennes ont un meilleur accès au marché de l’emploi et peuvent prétendre au chômage au même titre que les Saoudiens. A propos, tout cela c’est très joli, mais au fait, comment ces jeunes travailleuses se rendront à leur travail, si elles ne peuvent pas conduire dans un pays où les transports en commun sont peu développés et peu utilisés ? Allah 3alim !

Les choses bougent également au niveau social. Certains écarts par rapport à la législation, ainsi qu’aux us et coutumes, sont tolérés. Comme par exemple, l’accompagnement familial masculin obligatoire des Saoudiennes qui partent étudier à l’étranger. Autre progrès sur le plan politique, grâce aux réformes initiées par le roi, les Saoudiennes pourront à partir de 2015 se porter candidates aux élections municipales, les seules possibles en Arabie saoudite, et voter en toute liberté, soit 153 ans après les Suédoises et 89 ans après les Libanaises ! Le royaume wahhabite se trouve ainsi, être le dernier pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes. Mieux vaut tard que jamais. C’est sans aucun doute un progrès considérable pour les Saoudiennes. Mais, il est ternit par le fait que ces élections concernent uniquement la moitié des sièges, l’autre étant nommée par les autorités, et se déroulent dans un pays où les partis politiques n’ont pas droit de cité.

Ce bémol est largement compensé par une avancée démocratique qui ne déplaira pas aux féministes. Par la volonté du roi Abdallah, les Saoudiennes ont fait leur entrée au Majlis al-Choura en janvier 2013, à hauteur de 20 %, un taux à faire rougir tous les pays arabes, notamment le Liban (avec nos 3,1 %, Gilberte Zouein incluse, au même niveau que la République islamique d’Iran, c’est une véritable honte !), et même certains pays occidentaux (18 % aux États-Unis et seulement 12 % Japon !), soit 30 femmes sur 150 membres, toutes et tous nommés par le roi. Le hic c’est que cette Assemblée nationale reste quand même dominée par une écrasante majorité d’hommes et n’a qu’un avis consultatif, seul le roi fait la pluie et le beau temps en Arabie saoudite. De plus, ces conseillères royales, ne peuvent se prononcer que sur les questions relatives aux droits de la femme.

Toujours est-il, ces avancées positives ne sauraient cacher les conditions particulièrement discriminatoires à l’égard des femmes saoudiennes durant toute leur vie. Pour étudier, travailler, ouvrir un compte, voyager, et même subir une opération chirurgicale, toute femme saoudienne a besoin de l’autorisation de son tuteur légal de sexe masculin. Avant de pester et de s’indigner, il faut savoir que ce fut le cas dans le pays de la Révolution de 1789 aussi, il n’y a pas si longtemps que cela. Si, si ! La réforme du régime matrimonial de 1804 en France, n’est intervenue qu’en 1965 où la femme française a acquis le droit de gérer ses biens, ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l'autorisation de son mari. Pour l’histoire, sachez aussi que le Code Napoléon avait consacré l'incapacité juridique de la femme mariée. Étant considérée comme mineure, la femme était entièrement sous la tutelle de ses parents, puis de son époux ! En tout cas, au Liban, il n’y a pas de quoi pavoiser. Mais, c’est une autre histoire.

Et pourtant, l’Arabie saoudite a signé en l’an 2000 la « Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes » adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1979. C’est tout à son honneur, sachant que ni la République islamique d’Iran, ni le Vatican ne l’ont fait. Jisus-Krayist ! Les États signataires de cette convention s’engagent notamment dans l’article 2 à : « Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes... S'abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes... Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes... Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes... » Bref, on y trouve mille et une raisons pour abolir la privation des femmes saoudiennes de son droit de conduire une voiture. C’est extraordinaire, sauf que le Royaume wahhabite a formulé des réserves qui rendent cette adhésion folklorique : « En cas de divergence entre les termes de la Convention et les normes de la loi musulmane, le Royaume n'est pas tenu de respecter les termes de la Convention qui sont divergents. » Il faut reconnaitre que d’autres pays, comme le Liban par exemple, ont eux aussi formulé des réserves sur le mariage, le patronyme, le divorce et la garde des enfants. Eh oui, hélas, il faudrait encore s’armer de beaucoup de patience pour espérer parvenir un jour à une véritable égalité homme-femme dans les pays arabes, Liban compris.

Au total, malgré les intimidations déguisées et franches des organisatrices, des Saoudiennes ont répondu à l’appel du 26 octobre et ont bravé l’interdiction pour les femmes de conduire en Arabie saoudite. Au moins treize d’entre elles furent arrêtées. Leurs voitures ont été confisquées. Il n’empêche, nul besoin d’être dans les secrets d’Allah, du Gardien des deux saintes mosquées et des Saoudiennes, pour prédire que cette interdiction ne tiendra plus longtemps.