mercredi 23 juillet 2014

De l’ultimatum de calife Ibrahim, au projet de sayyed Hassan Nasrallah, à l’anathème de Yahvé (Art.239)


Son apparition en ce vendredi 4 juillet dans une mosquée de Mossoul, où il a débarqué avec sa horde djihadiste dans des 4x4 Toyota flambant neufs, devait être solennelle et impressionnante, à l’image des exactions dont ses hommes en sont capables. Il n’en a rien été. À l’arrivée, on a vu un homme ordinaire qui peine à montrer un escalier de sept marches. Accroché à la rambarde, il met treize secondes, top chrono, pour atteindre l’estrade d’où il a prononcé son premier serment public au cours duquel il a demandé à tous les fidèles musulmans du monde de lui prêter allégeance. Sur la base de quoi, nul ne le sait ! D’un ton monocorde, il n’y avait franchement pas de quoi enflammer les foules djihadistes, et de quitter femmes, enfants et poissons rouges, voire, sacrifice suprême, de se désactiver de Facebook pour le rejoindre. De cette première apparition, l’œil de l’observateur ne s’est attardé que sur deux accessoires.

Ce n’était ni une Rolex ni une Omega. En réalité, Abou Bakr el-Baghdadi portait au poignet une Al-Fajr Deluxe, cette montre sophistiquée adaptée aux fidèles musulmans qui indique la date selon le calendrier islamique, les heures de prière et la direction de la Mecque. Le tout pour 450 $ ! Oui mais, c’est Swiss made svp. L’autre accessoire qui a retenu l’attention est le ruban noir qui coiffe la tête du jeune prédicateur pour signifier urbi et orbi, que l’homme qui le porte est un digne descendant de Mahomet et un honorable successeur de Haroun el-Rachid. Tu parles ! Pas de doute, le monde est en déclin. Bon, admettons. Le nouveau calife est donc le Commandeur des croyants. Rappelons au passage que le ruban noir est également porté par Ali Khamenei, le Guide suprême de la République islamique d’Iran, ainsi que par Hassan Nasrallah, le Secrétaire général du Hezbollah, qui se considèrent  tous les deux, eux aussi, peu de Libanais le savent, comme des dignes descendants de Mahomet et d'honorables successeurs d’Ali ibn Abi Taleb, ce qui n’est pas le cas de Hassan Rohani, le président iranien, et de Naïm Qassem, le numéro 2 du Hezbollah, des mortels comme nous tous.

Contrairement à ce que laisse penser son avancée fulgurante vers Bagdad, « l’État islamique » qui a été proclamé le 29 juin, ne compte qu’une dizaine de milliers de combattants en tout et pour tout, répartis entre l’Irak et la Syrie. On y retrouve des djihadistes de tout poil, des ex-officiers de l’armée de Saddam Hussein, des membres des tribus locales, etc. Ils vivent du pillage, du kidnapping, des impositions, de donations et de divers trafics. Son succès récent s’explique par le fait que ce mouvement sunnite évolue en terrains conquis, des régions sunnites d’Irak et de Syrie, et qu’il profite de la complicité affichée ou dissimulée de ceux qui sont censés le combattre, qu’ils soient chiites, alaouites ou même sunnites, qu’importe les raisons des uns et des autres, ce n’est pas le sujet du présent article.

Allant jusqu’au bout de ses idées « l’État islamique » applique désormais une charia aux musulmans des régions qui sont passées sous le contrôle de « calife Ibrahim ». Les deux premières femmes accusées d’adultère ont été lapidées à mort en moins de 24h dans la région de Raqa la semaine dernière (au nord de la Syrie). Malgré les facilités, la mise à disposition des habitants d’un chargement de pierres, le refus de la population de participer à l’exécution de leurs pécheresses coreligionnaires, a obligé les djihadistes a exécuté les femmes eux-mêmes.

Pour les populations non-sunnites du nouvel État, qui n’est reconnu par personne, même pas par Al-Qaeda, les nouvelles autorités auraient mis en place un programme de confiscation des biens. Commencé à Mossoul, la campagne d’expropriation toucherait aussi bien la communauté chrétienne que la communauté chiite à ce qu’il parait. Pour faciliter la gestion immobilière des biens confisqués, et terroriser les intéressés, les islamistes de l’ancien EIIL (acronyme de l’État islamique d’Irak et du Levant, Daech en arabe, la branche dissidente d’Al-Qaeda en Irak), ont apposé sur les murs des propriétés des infidèles l’expression « biens immobiliers de l’État islamique » ainsi que la lettre « N » pour Nasara, ceux qui suivent Jésus de Nazareth, la communauté chrétienne, ou la lettre « R » pour Rawafed, ceux qui refusent les califats d’Abou Bakr, d’Omar et d’Othman, les trois premiers califes, et considèrent  Ali ibn Abi Talib comme le successeur officiel de Mahomet, la communauté chiite.

Comme prévisible et comme cela se faisait autrefois, « l’État islamique » a par ailleurs sommé les chrétiens de Mossoul de choisir l’une des quatre options : la conversion à l’islam, le paiement de la jizya (taxe), le départ ou la mort. L’ultimatum a expiré ce week-end, poussant à l’exil de milliers de familles chrétiennes, dont une grande partie a trouvé refuge dans les régions kurdes d'Irak, dont la population est en majorité sunnite (d’origine iranienne, non arabe). Pour le secrétaire générale de l’ONU, Ban Ki-moon, « les attaques systématiques contre des civils en raison de leur origine ethnique ou de leur appartenance religieuse peuvent constituer un crime contre l'humanité dont les auteurs devraient rendre des comptes ». De son côté, l'Organisation de la coopération islamique, qui regroupe 57 pays musulmans, a dénoncé ce « crime intolérable » et a proposé de porter assistance aux déplacés.

Voilà pour les faits. Face à cette évolution tragique, trois remarques s’imposent.

1. Ce qui se passe actuellement en Irak est l’œuvre d’un homme, sans doute l’un des plus grands imbéciles de l’histoire contemporaine. Il est connu lui aussi par une lettre de l’alphabet : W. En envahissant l’Irak au mois de mars de 2003, alors que Saddam Hussein était affaibli, et en commettant les erreurs de décimer l’armée irakienne et de persécuter tous les cadres du parti Baas qui contrôlaient d’une main de fer l’Irak, George W. Bush et ses vaisseaux irakiens, ont défriché le terrain et semé les graines de l’extrémisme et de la discorde. L’ancien président américain porte donc une très lourde responsabilité dans ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient. Consciemment ou pas, il a fait en sorte que l’Iran et les chiites irakiens sortent vainqueurs des guerres du Golfe, au détriment de l’Irak et des sunnites du pays. Le « Nouvel ordre mondial » des Bush père et fils, a laissé la place à un chaos moyen-oriental généralisé dont il est difficile de s’extraire de sitôt. Contrairement à ce beaucoup d’analystes pensent, le désordre irakien n’est pas un effet indésirable de la troisième guerre du Golfe. Bien au contraire, il était même un des objectifs fixés par la clique de néoconservateurs qui dirigea les États-Unis entre 2001 et 2009, autour d’un illuminé chrétien born again, qui s’est cru chargé d’une mission divine et qui a avoué lors d’un discours sur l’état de l’Union, tenez-vous bien, que sa doctrine en politique étrangère est d’inspiration divine. Ah tiens, bienvenue au Club ! Si ce n’était pas dès le départ, c’est venu après. Les néocons voulaient plonger l’Irak -un des puissants pays arabes, le plus riche et le plus prometteur- dans le chaos afin de soulager Israël d’un de ses adversaires.  

2. Quand je pense que certains compatriotes, très amers sur la situation en Syrie, regrettent George W. Bush, et blâme Barack Obama de ne pas suivre ses pas, allant jusqu’à cocher les jours qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle américaine, je me dis qu’on a vraiment un très gros problème au Moyen-Orient. C’est à croire qu’on n’apprend rien des événements. En dépit des démentis de l’histoire, certains continuent à croire naïvement que les solutions aux « malheurs arabes » dépendent uniquement de facteurs géopolitiques, astrologiques et interstellaires. Pour rester concentrer sur l’Irak, ce n’est pas la peine de fuir la réalité, il est clair sans l’ombre d’un doute qu’on n’aurait jamais atteint cet abime malgré tout l’amateurisme de la bande à W, sans la politique stupide de Nouri al-Maliki, le Premier ministre irakien (nommé en 2006, il est de confession chiite), qui a fait tout ce qui est possible et imaginable pour marginaliser la communauté sunnite d’Irak au détriment de la communauté chiite : exécution humiliante de Saddam Hussein, alliance avec l’Iran, persécution des partisans de l'ancien président sunnite, fermeture des yeux sur les exactions des milices chiites, incapacité à désarmer la milice chiite de Moqta el-Sadr, déclarations sectaires, fermeture des médias sunnites irakiens et arabes, etc. Là aussi, il serait naïf de croire que le chaos actuel est un effet indésirable de l’après Saddam. C’était un des objectifs du plus fidèle soutien de Maliki, la République chiite d’Iran.

3. L’ultimatum fixé par l’État islamique aux chrétiens de Mossoul est particulièrement choquant sur le plan humain. Le comble c’est qu’il ne s’inscrit même pas dans la tradition historique islamique, que partiellement. Si le paiement de la jizya par les dhimmi (citoyen non-musulman d’un État musulman) a existé depuis l’origine -où malgré de fortes discriminations avec les citoyens musulmans (tenues vestimentaires distinctives, interdiction de porter des armes et de monter à cheval, interdiction du mariage mixte avec une femme musulmane, témoignage non recevable, restrictions de culte, etc.), protection et liberté étaient accordées contre le paiement d’une taxe- la conversion à l’islam par la force et l’exécution des prisonniers, des personnes âgées, des infirmes, des femmes et des enfants étaient interdites, même lors du djihad, au moins sur le plan théorique. Non seulement, il est écrit dans le Coran qu’il n’y a « pas de contrainte en religion », la ekrah fi eldinn, mais il est précisé aussi « à vous votre religion, à moi ma religion ».

Et pourtant, l’établissement d’un État islamique et ce genre d’ultimatum ne sont pas propres à l’histoire de la religion musulmane, encore moins au courant sunnite. Ils ne sont pas sans rappeler les discours récents d’un homme bien de chez nous, sayyed Hassan Nasrallah, l’homme au ruban noir, donc descendant de Mahomet à le croire, qui a fait savoir à plusieurs reprises durant les années sombres de la guerre civile libanaise que « le premier et le seul projet unificateur dans ce monde, est celui de l’État islamique (...) l’État islamique unifie bien plus que tout ce monde ne s’imagine ». Et qu’en sera-t-il des gens qui résident dans le futur État islamique ? Pas de souci, de toute façon « Kesrouan et Jbeil reviennent aux musulmans (chiites)... les chrétiens se sont installés comme des envahisseurs (dans ces régions du Mont-Liban) ». Eh bien, ça devrait faire plaisir aux chrétiens de ces deux cazas qui ont voté massivement aux dernières législatives pour les candidats de Michel Aoun, l’homme qui se présente comme un grand défenseur des « droits des chrétiens » mais qui n’a pas trouvé mieux que de signer en 2006 un Document d’entente avec le chef du projet de l’État islamique au Liban. Le comble, c’était dans une église maronite !

Remontons encore plus haut, à l’origine même. Cet ultimatum rappelle étrangement certaines recommandations divines d’antan, qui sont très bien décrites avec moult détails dans la Bible. « Quand tu marcheras sur une ville pour l’attaquer (en dehors de la terre de Canaan), tu l’inviteras au préalable à la paix. Alors, si elle accueille ta proposition de paix et t’ouvre ses portes, tout ce qu’elle renferme d’habitants te devront tribut et te serviront. Mais si elle ne compose pas avec toi et préfère te faire la guerre, tu assiégeras cette ville. L’Éternel ton Dieu la livrera alors en ton pouvoir et tu passeras tous ses habitants mâles au fil de l’épée. Il n’y aura que les femmes, les enfants et le bétail et tout ce qui se trouvera dans la ville en fait de butin, que tu pourras capturer (...) Dans les villes de ces peuples que l’Éternel ton Dieu te donne en héritage (la terre de Canaan), tu ne laisseras subsister aucune âme. Car tu dois les vouer à l’anathème... comme te l’a commandé l’Éternel ton Dieu. » C’est d’une violence inouïe. Deux précisions  supplémentaires. La « paix » proposée aux populations en dehors de la terre de Canaan, était soumise à la condition d’apostasier ses croyances et de reconnaitre certaines règles juives (les Sept lois de Noé). « Aucune âme », désignait hommes, femmes, enfants et bétails. Il faut donc reconnaitre que calife Ibrahim n’a rien inventé. Il pourrait même paraitre d’une certaine clémence, puisqu’un choix est donné aux « infidèles ». Certes, 2750 ans séparent l’anathème de Yahvé, du projet de sayyed Hassan Nasrallah, de l’ultimatum de calife Ibrahim. Il n’empêche que ces recommandations contre les populations antiques, notamment les Cananéens (un terme qui concerne les habitants du IIe millénaire avant JC de la région qui se situe entre la Méditerranée et le Jourdain), sont attribuées à Dieu lui-même et figurent dans le Deutéronome (Dt 20:10-18), le cinquième livre de l’Ancien Testament, le dernier de la Torah, celui qui contient selon les traditions du judaïsme, du christianisme et de l'islam, l'enseignement transmis par Moïse, dont les dix commandements de Dieu.

Eh bien, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais très humblement, je pense que la « validation » du caractère divin de textes aussi violents que celui-là, pose un problème éthique grave, puisque ce texte est reconnu par les trois religions monothéistes. Par conséquent, il est peut-être grand temps d’effectuer une relecture dépassionnée et désacralisée de tous les « textes sacrés » par les dirigeants et les fidèles du judaïsme, du christianisme et de l’islam, surtout par les temps qui courent, notamment au Moyen-Orient. Il n’y aura ni paix entre les États ni apaisement des esprits au Moyen-Orient, et le « printemps arabe » restera inachevé, sans une « révolution religieuse ». Celle-ci est individuelle avant qu’elle ne soit collective. Elle commence par une lecture distanciée du triptyque message divin de la Bible, du Nouveau Testament et du Coran, par les juifs, les chrétiens et les musulmans d’Orient.

Post-scriptum

Les autorités politiques libanaises, représentées par le Premier ministre et les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, respectivement Tammam Salam, Gebran Bassil et Nouhad Machnouk, ainsi que les autorités politiques et religieuses chrétiennes et musulmanes, aussi bien sunnites que chiites, doivent proposer aux « réfugiés religieux » d’Irak, les chrétiens de Mossoul, qui ont été chassés de leurs terres par un usurpateur du califat et de l’Islam, de les accueillir au Liban. Il serait aussi souhaitable que des pays arabo-musulmans soucieux de la cohabitation islamo-chrétienne fassent de même.

dimanche 13 juillet 2014

Gebran Bassil en finale de la Coupe du monde, pardon, en visite officielle au Brésil : et toujours rien sur les revendications historiques de la diaspora libanaise (Art.238)


Pendant que les supporters libanais d’Allemagne et du Brésil se préparaient gentiment pour la fameuse demi-finale au goût d’une finale, et que touyouss el-foot, les boucs du football, les hooligans made in Lebanon, frottaient leurs têtes et affûtaient leurs cornes contre les murs réels et virtuels pour le match de l’après-match, Gebran Bassil a décidé de s’envoler en début de semaine, comme par hasard, pour une visite officielle au Brésil afin de « rencontrer la diaspora libanaise et renforcer les relations entre le Liban et le Brésil... », blablabla, patati patata, etcétéra. De sources douteuses qui ont toutes les raisons de garder l’anonymat, on a cru comprendre que dans l’avion, le gendre de Michel Aoun aurait appris par ses conseillers qu’en ce moment se déroule la Coupe du monde de football au Brésil. Incroyable comme le hasard fait bien les choses, une Coupe du monde c’est une fois tous les quatre ans et Dieu sait où sera GB en 2018 ! Assistera-t-il à la finale ce dimanche ? « Bien sûr, comment peut-on être au Brésil au même moment et manquer ça ? », a lancé le jeune ministre avant le décollage de son avion. C’est c’là oui !

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, personne ne peut contester le dynamisme de Gebran Bassil. Toujours est-il que les Libanais en général, notamment ceux de l’étranger, moi en tête, attendent beaucoup plus de Gebran Bassil que de le voir photographier en transit avec Michel Platini, puis 3al waslé avec Christian Karembeu, et se presser de publier ses photos sur Instagram (respectivement 2e et 6e photo de cette « visite officielle » au Brésil !), sans oublier les hashtags de circonstances bien entendu (#Brazil et #CoupeDuMonde). Depuis son arrivée, notre infatigable ministre des Affaires étrangères multiplie les rencontres aussi bien avec les autorités brésiliennes qu’avec la diaspora libanaise. Justement puisqu’on aborde le sujet, cette diaspora attend son ministre, entre autres, sur deux dossiers qui traînent dans les tiroirs de son ministère depuis des lustres : le vote des expatriés libanais dans les ambassades libanaises et l’acquisition de la nationalité libanaise par les descendants de Libanais, deux « revendications chrétiennes » de très longue date. Si j’insiste sur la référence communautaire, c’est justement parce que Gebran Bassil, ainsi son beau-père, Michel Aoun, se présentent comme de grands défenseurs des « droits des chrétiens », 7o2ou2 el masi7iyéet ils possèdent le plus important bloc parlementaire chrétien depuis l’Indépendance. Alors, voyons ce qu’il en est.

Dans ce but, je vous propose d’analyser d’abord la campagne publicitaire intitulée « Elkheir la2edam » mise en place dans le cadre de l’initiative Live Lebanon et annoncée par Gebran Bassil sur les réseaux sociaux au mois de juin dernier, il y a donc à peine trois semaines. Cette campagne a été concoctée par l’UNDP (United Nations Development Programme), en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et des Émigrés et en partenariat avec la chaîne Al-Jadeed. Le but est, d’après le ministre himself, de « sensibiliser l’opinion publique sur le rôle important que les Libanais au Liban et à l'étranger peuvent jouer dans le développement de leur pays ». Tach cha3er badano la bakhos wlo, lui qui ne fait que ça depuis des années. Le concept est de décliner l’idée suivante sur treize affiches : la photo d’une personnalité libanaise et un décompte de l’immigration libanaise pour un pays ou une région du globe. Il existe même une version vidéo. Tout aurait pu se passer dans le meilleur des mondes, mais hélas, cette campagne est ratée.

Zappons sur le fait qu’elle a été invisible (la preuve par Google), qu’aucune des personnalités libanaises choisies ne vit à l’étranger, que le sex ratio est de 8/5, qu’on a pris des journalistes colorés politiquement et que les affiches ne soient pas signées. Le principal problème de cette campagne réside dans le texte qui accompagne les portraits. Il est à la fois mensonger et choquant. Tenez, on apprend dans cette campagne par exemple qu’il y a « 7 000 000 de Libanais au Brésil ». Désolé, mais il s’agit d’une allégation mensongère car elle confond, et ce n’est pas du tout nouveau -la confusion date de l’époque du départ d’Elissa, la princesse phénicienne, de Tyr à Carthage- la notion de « libanais », un terme qui désigne les citoyens qui possèdent la nationalité libanaise, avec celle « d’origine libanaise », une locution qui désigne des citoyens étrangers qui ne détiennent pas la nationalité libanaise mais qui ont des ascendants qui la détenaient. Nuance et de taille. Non monsieur le Ministre, il n’y a pas « 7 000 000 de Libanais au Brésil » comme le prétend cette campagne publicitaire à laquelle vous avez collaboré, et c’est inexact de répéter sans cesse que « le nombre de Libanais au Brésil est le double de celui au Liban » comme vous l’avez dit avant votre départ du Liban, à votre arrivée en Amérique latine et dans un tweet du 9 juillet. Ce chiffre et votre allégation englobent les Libanais vivant au Brésil, les Libano-Brésiliens, et les Brésiliens dont les ancêtres sont Libanais mais qui ne sont pas eux-mêmes Libanais. Si une telle confusion est tolérée au niveau populaire, elle n’a pas du tout sa place dans les hautes sphères de l’État libanais, des médias libanais et de l’ONU. La précision et la rigueur sont essentiels aussi bien en politique qu’au football, comme vous le verrez cet après-midi au stade Maracanã à Rio de Janeiro avec la performance de la Deutsche Fußballnationalmannschaft.

Le pire, c’est la suite. Toutes les affiches de cette campagne reprennent le même leitmotiv : il y a tant de Libanais dans ce pays, « woul kheir la2eddém ». Wlak aya kheir ? Non mais, que faut-il comprendre par « Et ce n’est pas fini » ou « Le meilleur est à venir » ? Plus d’émigration par exemple ? Mais bordel, quel est donc ce message vasouillard inconsistant de cette campagne publicitaire bâclée avec un texte inapproprié utilisé dans un contexte aussi grave que l’hémorragie migratoire qui affecte gravement le Liban depuis plus de 150 ans ? Et si c’est de l’ironie, mais bordel depuis quand un ministère d’État sur cette planète communique avec sarcasme ? Consternant.

Passons maintenant au plat de résistance. Le ministre des Affaires étrangères et les responsables de l’UNDP et de New TV devraient savoir que le nombre de Libanais qui résident à l’étranger ne dépasserait pas en réalité le tiers de ceux qui vivent au Liban. Il se situe entre 1 250 000 à 1 500 000 personnes, moins de 10 % du chiffre mythique mis en circulation par de nombreux compatriotes dont le ministre des Affaires étrangères et des Émigrés lui-même. Désolé d’avoir à contredire Gebran Bassil encore une fois, mais c’est archifaux d’affirmer comme il l’a fait deux jours avant son départ pour le Brésil, « qu’il y a plus de 15 millions de ressortissants libanais résidant à l'étranger ». Impossible, même en comptabilisant toutes les personnalités schizophréniques fi loubnann wal mahjarr. A supposer que ce chiffre soit fondé, il y aurait donc en théorie plus d'une douzaine de millions de personnes « d’origine libanaise » dans le monde, dont une partie pourrait être intéressée par la « récupération de la nationalité libanaise », esti3adat el jensiyé el lebnéniyé (c’est le terme communément utilisé). Wa houna beito el 2asid. Inutile de vous dire que c’est un énorme dossier pour tous les locataires du palais Bustros, qui a toujours divisé les Libanais, pour des raisons confessionnelles et démographiques. L’immigration libanaise date essentiellement de la deuxième moitié du 19e siècle. Elle a connu plusieurs vagues successives suite aux massacres de 1840-1860 (qui ont visé massivement les communautés chrétiennes du Levant, notamment maronite ; les estimations font état de 15 000 morts au Liban et 5 000 morts en Syrie), aux persécutions ottomanes des communautés chrétiennes, aux deux guerres mondiales, à la famine de la Première guerre mondiale (à cause de la guerre, d’une invasion de sauterelles et de la confiscation des récoltes par les autorités ottomanes ; bilan autour de 150 000 morts), aux difficultés économiques, à la guerre civile, aux guerres libanaises, etc. Pendant longtemps, l’immigration libanaise était essentiellement chrétienne, notamment maronite. Aujourd’hui, elle toucherait à parts pratiquement égales, toutes les communautés libanaises, les chrétiens de toutes confessions, mais aussi les sunnites, ainsi que les druzes et les chiites.

En théorie, il n’y a aucune urgence à légiférer sur cette question. Mais, pas en pratique. Le ministre des Affaires étrangères et des Émigrés doit s’atteler au chantier de la récupération de la nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise au plus vite. Dans un premier temps, il faut préparer un projet de loi dans ce sens et le faire adopter par le Parlement où le groupe politique de Michel Aoun détient 1/5e des voix. Dans un second temps, il conviendra de recenser et d’informer les descendants libanais de la possibilité qui leur est offerte d’acquérir la nationalité de leurs ancêtres sans trop de tracas administratifs et de conditions rédhibitoires. Un tel projet de loi doit redonner au droit du sang (acquisition par une personne de la nationalité libanaise de ses parents indépendamment de son lieu de naissance ou de résidence) la primauté sur le droit du sol (acquisition par une personne vivant au Liban de la nationalité libanaise indépendamment de la nationalité de ses parents). Un pays de 4,2 millions d’habitants comme le Liban où résident pour un temps indéterminé, pour ne pas dire définitif pour certains, 1 250 000 Syriens réfugiés enregistrés auprès du HCR, 800 000 Syriens non enregistrés auprès du HCR, 700 000 Palestiniens réfugiés du Liban et de Syrie, 500 000 travailleurs étrangers, où les esprits des Libanais sont communautaires, et qui a autant de contentieux historiques avec les Palestiniens et les Syriens, eh bien, ce pays ne peut tout simplement pas s’offrir le luxe humaniste et universaliste de privilégier le « droit du sol » au détriment du « droit du sang ». En 1994, des demandes de « récupération de la nationalité libanaise » par des personnes d’origine libanaise mais n’ayant pas de résidence au Liban, ont été rejetés tout simplement parce que les demandeurs ne résidaient pas au Liban, alors que des résidents Syriens et Palestiniens ont été naturalisés. Oui mais nous sommes 7 000 000 de Libanais au Brésil, ma heik ? Pathétique.

Il reste donc à savoir est-ce Gebran Bassil sera capable de demander la suppression de cette obligation de résider au Liban pour les personnes d’origine libanaise pour qu’elles puissent récupérer la nationalité de leurs ascendants, une condition à laquelle tiennent les cercles proches de son allié, le Hezbollah ? En tout cas, comme Michel Aoun et Gebran Bassil défendent les soi-disant « droits des chrétiens » et nous mettent en garde depuis plus de deux ans sur le danger de l’implantation des Palestiniens et des Syriens au Liban, ils devraient, en toute logique, présenter au Parlement un projet de loi qui privilégie jusqu’à nouvel ordre, le droit du sang au détriment du droit du sol. Il n'y a rien à l'horizon pour l'instant.

Quant à l’autre grand dossier qui traîne sur le bureau de Gebran Bassil, sachez que l’actuel ministre des Affaires étrangères et des Émigrés est à ce jour, opposé au vote des expatriés libanais dans les ambassades du Liban à l’étranger selon leurs lieux d’état civil, 7asab séjill el noufouss. Eh na3am ! Il est pour la création d’une circonscription réservée aux Libanais de l’étranger. Je regrette là aussi, mais ce n’est surement pas de la sorte qu’on peut « renforcer les relations de la diaspora libanaise avec la mère-patrie ». Alors quoi, les Libanais de l’étranger seraient trop déconnectés des problèmes du Liban pour participer aux élections législatives comme les Libanais du pays du Cèdre ? Enno chou, Bakhos Baalbaki par exemple, n’est pas au courant des problèmes politiques, sociologiques et écologiques du Liban ? Non mais, quoi encore ! Comment Gebran Bassil peut-il trouver plus logique qu’un même député représente à la fois les Libanais du Brésil et ceux d’Argentine, ceux d’Algérie et d’Afrique du Sud, ceux de France et de la Pologne, ceux du Canada et de Cuba, ainsi que ceux de la Turquie et d’Australie ? Foutaises.

L’explication est évidemment ailleurs. Elle relève d’un autre domaine que celui de la logique. Cette opposition contre la participation des expatriés libanais aux élections législatives selon les lieux d’état civil, trouve sa motivation au niveau politique : celle d’empêcher les voix des compatriotes qui ne sont pas à la portée des intimidations locales, que l’on observe lors des législatives dans les régions contrôlées par le Hezbollah, notamment au Sud-Liban, et à l’abri des propagandes médiatiques, comme c’est le cas avec certains médias libanais, de peser sur le résultat du vote. L’attachement des Libanais du monde à leur pays, la logique démocratique d’une bonne représentativité et la situation communautaire des esprits au Liban, exigent que les Libanais de l’étranger puissent voter dans les ambassades des pays où ils résident et selon la circonscription où se trouve leur état civil. Pour l’instant, ce vote n’est pas garanti.

Il est donc préférable que Gebran Bassil œuvre pour rendre le vote des expatriés libanais possible à l’étranger et selon les circonscriptions où se situe leurs états civils et faciliter la récupération de la nationalité libanaise par les personnes d’origine libanaise, au lieu de s’enorgueillir faussement de la formidable dispersion de « plus de 15 millions de ressortissants libanais à l’étranger ».

À part ça, bonne finale ma3alé el wazir.