vendredi 10 novembre 2017

La propagande autour de la « rétention de Saad Hariri » par l'Arabie saoudite vise à faire oublier la « surveillance suspecte » du Premier ministre à Beyrouth, « l'anomalie du Hezbollah » au Liban et les « ingérences iraniennes » au Moyen-Orient (Art.482)


Ce qui est impressionnant avec les adeptes des théories du complot c'est tout cet effort qu'il déploie pour ériger une ossature argumentaire, pourtant rachitique dès le départ! Savez-vous que des gens ont prétendu pendant longtemps que les Américains n'avaient jamais marché sur la Lune et que tout avait été tourné dans le Nevada par un certain Stanley Kubrick? Il est fascinant l'esprit humain. 



 1  Restons sur Terre et revenons à nos moutons. Alors que Saad Hariri explique lui-même sa démission par la traque sécuritaire dont il a fait l'objet à Beyrouth (qui laisse penser qu'on projetait son assassinat, comme son père Rafic Hariri), ainsi que par les agissements anti-souverainistes du Hezbollah et de l'Iran (dans les affaires libanaises, mais aussi arabes), et par la couverture que le président de la République, Michel Aoun, leur offre (hypothèse que j'ai développée dans un de mes articles), et d'autres facteurs secondaires, les adeptes libanais des théories du complot, à l'ego surdimensionné, montrent une incroyable détermination à zapper toute nouvelle donne qui contredit leur croyance. 


Saad Hariri accueillant le roi Salmane
à son retour à Ryad en provenance de Médine,
samedi 11 novembre.
Photo Bandar al-Jaloud / AFP
 2  Si on suit bien le raisonnement de ces compatriotes, la maléfique Arabie saoudite et le tout puissant MBS, Mohammad ben Salmane, qui n'ont rien pu entreprendre (absolument rien), à l'automne 2016, pour empêcher les deux ex-piliers du 14-Mars, Saad Hariri et Samir Geagea, de faire de l'un des deux plus fidèles alliés du Hezbollah (la bête noire du royaume wahhabite), Sleimane Frangié ou Michel Aoun, un président de la République libanaise, ont réussi comme par hasard et par magie un an plus tard, à l'automne 2017, à convoquer le Premier ministre du Liban, Saad Hariri (après avoir convoqué les deux SG, Samir Geagea et Samy Gemayel), à le forcer à démissionner, à lui écrire un mot dans ce sens, à le dépouiller de son argent et à l'empêcher de quitter le royaume! Cerise sur le gâteau, alors qu'il est humilié et plumé jusqu'à l'os, Saad Hariri continue à afficher un grand sourire, pendant qu'Aoun, Berri, Bassil & Nasrallah rient jaune. Et ce n'est pas tout, ce même MBS laisse Saad Hariri rencontrer l'ambassadeur d'Arabie au Liban, le prince héritier des Emirats (à Abou Dhabi), les ambassadeurs de la France, du Royaume Uni, de la Turquie, de l'Union européenne et des Etats-Unis en Arabie saoudite. Il a été reçu par le roi Salmane en début de semaine et il a lui même acceuilli le roi Salmane à son retour de Médine en fin de semaine. Bienvenue dans l'univers surréaliste tragicomique de certains compatriotes. 

Aux dernières nouvelles, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a estimé le vendredi que Saad Hariri est "libre de ses mouvements". Avant lui, le président français Emmanuel Macron a affirmé depuis Abou Dhabi, que le Premier ministre libanais n'avait formulé aucune demande pour venir en France, démentant du coup cette rumeur qui avait circulé en début de semaine. Après le Quai d'Orsay, c'est au tour du ministère allemand des Affaires étrangères de faire savoir que "Berlin croit que Hariri est libre de ses mouvements... Nous n'avons pas de preuve qu'il soit détenu à Ryad"Mais il va falloir bien davantage pour que les autruches d'Orient se décident enfin à redresser leur cou du bac à sable dans lequel leur tête est plongée depuis samedi dernier.

 3  Prétendre que Saad Hariri est quasiment en état d'arrestation (pour corruption), en garde à vue ou retenu, assigné à résidence, contraint et forcé de dire et faire ce que l'Arabie saoudite lui demande, relève d'une propagande qui a été élaborée par le Hezbollah et la République islamique d'Iran, et propagée par leurs partisans au Liban, dans le but de détourner l'attention des Libanais de l'essentiel. 

 4  Primo, de l'anomalie que constitue le Hezbollah au Liban et dans le monde : milice armée, classée terroriste, accusée d'assassinats politiques, qui dit urbi et orbi qu'elle veut établir une république islamique chiite au Liban, qui utilise ses armes où, quand et contre qui elle veut, pour déclencher des guerres destructrices (juillet 2006, afin de libérer un criminel détenu en Israël et mort en Syrie), pour faire tomber des gouvernements libanais souverains (mai 2008 et janvier 2011), et pour impliquer le pays dans une guerre civile syrienne (depuis 2012, afin de sauver une tyrannie qui a occupée et martyrisée le Liban pendant 29 ans), etc. 

 5  Secundo, des ingérences de l'Iran au Moyen-Orient, Liban compris, de l'aveu même de Hassan Rohani, il y a moins de trois semaines: "Il n'est pas possible de prendre une mesure décisive en Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du Nord et dans la région du golfe Persique, sans l'Iran". Cette reconnaissance par le président iranien que l'Iran viole la souveraineté libanaise n'a provoqué aucune réaction de la part de Michel Aoun, président de la République libanaise, et de Gebrane Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL) et ministre libanais des Affaires étrangères.

 6  Tertio, de la défense du Hezbollah par Michel Aoun, à l'époque où il était chef du CPL (2006-2016) et depuis qu'il est président de la République (2016), à chaque fois que l'occasion se présente, liant le sort de la milice chiite, qui constitue un Etat dans l'Etat et qui a fait allégeance à l'Iran, à une problématique insoluble, alors qu'il est censé veiller au respect de la Constitution libanaise, qui exige sa dissolution et son désarmement. Chapeau! 

Tout le reste n'est que palabres et poudre aux yeux. 

 7  La plupart des pays arabes du Golfe, l'Arabie saoudite en tête, ont demandé à leurs ressortissants de quitter au plus vite le Liban. Cela ne veut pas dire qu'une guerre est imminente, mais que la situation actuelle du pays du Cèdre ne permet pas de garantir leur sécurité, alors que s'engage un bras de fer entre l'Arabie saoudite, soutenue par les Etats-Unis, et l'Iran. Le Liban ne peut plus faire comme si de rien n'était ou suivre une politique de l'autruche qui se révélera désastreuse pour le pays du Cèdre, sur tous les plans, économique en premier, sécuritaire en dernier. La balle est dans le camp de Michel Aoun, président de la République libanaise. Lui et lui seul, peut encore sortir le Liban de cette grave crise géopolitique. La solution passe par le respect absolu de la Constitution libanaise et non par les manoeuvres de diversion : il doit cesser de soutenir le Hezbollah et l'Iran et traduire ça sur tous les plans. Cette crise a prouvé magistralement l'immaturité de la majorité de la classe politique et religieuse libanaise, chrétiennes et musulmanes, des moulins à vent qui tournent à plein régime depuis samedi!, et d'une frange des citoyens libanais, tellement aveuglés par leur haine de Saad Hariri et de l'Arabie saoudite qu'ils sont tombés facilement dans le piège de la propagande du Hezbollah! Une des pires erreurs commises par les amateurs d'ici et d'ailleurs, est de sous-estimer leurs adversaires. Il est grand temps d'arrêter de fumer sa moquette, ou en choisir une de bonne qualité, et dans tous les cas, procéder de toute urgence, à la régulation de la circulation des éléphants roses dans le ciel libanais! 


 8  Je terminerai cette note par deux éléments qui selon moi permettent de bien cerner le problème qui secoue le Moyen-Orient depuis le 4 novembre. Pour le premier, faites entrer l'accusé ! Deux apparitions médiatiques en une semaine, c'est que l'heure est grave. Voici les principaux points développés par Hassan Nasrallah, lors de sa conférence de presse tenue vendredi, sans la presse bien entendu, car le chef du Hezbollah est, et c'est l'occasion de le rappeler, détenu et retenu, en résidence surveillée et assignée à résidence, SDF par la faute d'Israël, depuis qu'il s'est aventuré à défier l'Etat hébreux lors de la désastreuse guerre de Juillet 2006.

- « L'Arabie Saoudite a convoqué le Premier ministre à la hâte, elle l'a forcé à présenter sa démission et à lire une déclaration saoudienne... Hariri est détenu en Arabie saoudite, on lui interdit de retourner au Liban ». Comme je l'ai dit depuis le départ, cette théorie du complot a été élaborée par le Hezbollah et propagée par ses partisans et ses alliés, pour faire oublier aux Libanais l'anomalie de la milice chiite au Liban et les ingérences iraniens au Moyen-Orient. 


- « L'Arabie saoudite a demandé à Israël de frapper le Liban, en échange de dizaines de milliards de dollars... 
Selon nos infos d'aujourd'hui, la guerre de Juillet 2006 a été fomentée par l'Arabie Saoudite ». Waouh deux scoops, pour faire oublier aux Libanais que cette guerre, que le Hezbollah a déclenchée, nous a couté 1 500 morts et la moitié de notre PIB de l'époque, soit une bonne dizaine de milliards $, pour libérer un criminel d'Israël qui a fini ses jours dans les bras d'un tyran en Syrie. Face à l'étendue du désastre, Nasrallah s'était contenté d'un « si j'avais su... » à l'époque. 

- « Qu'il fasse ce qu'il veut, mais qu'il revienne au Liban », foutaises pour deux raisons. D'un côté, parce que l'homme est libre et il fait ce qu'il veut. De l'autre côté, parce que Hassan Nasrallah tente de faire oublier aux Libanais, qu'un des motifs de l'éloignement et de la démission de Saad Hariri était la menace qui pesait sur sa sécurité et sa vie. Pour se dédouaner, le chef du Hezbollah s'est protégé avec la feuille de vigne des services libanais de renseignement: ils n'auraient rien détecté, l'argument mortel! Foutaises, le 14 février 2005 jusqu'à 12h54, les services de renseignement n'avaient rien détecté d'anormal non plus.

- « La démission est illégale et anticonstitutionnelle car elle a été obtenue sous la contrainte ». Deuxième sourire. Paroles d'un expert constitutionnel, qui a boycotté avec son allié Michel Aoun, 44 séances électorales, provocant 888 jours de vacance du pouvoir présidentiel, et qui se trouve actuellement à la tête d'une milice armée, classée terroriste par la majorité des pays démocratiques, en violation de l'accord de Taef et de la Constitution libanaise.

 9  L'autre élément concerne l'article publié jeudi par l'un des journalistes saoudiens les plus suivis, Ahmed Adnan. Sa lecture est indispensable pour bien comprendre la détermination actuelle de l'Arabie saoudite. Je vous propose en traduction les extraits les plus marquants : 

« La démission du président (du Conseil) Saad Hariri est un événement international et régional autant que c'est un événement libanais. Il est malheureux que certains Libanais traitent cet événement à la légère... C'est un affront à la Constitution (libanaise) et aux Sunnites (...) 

Les allégations sur le kidnapping de Saad Hariri... sont totalement inacceptables (...) Le président Hariri est le seul à décider quand il s'exprimera et quand il entrera (au Liban), selon les intérêts nationaux et les circonstances sécuritaires (...) S'il était corrompu, il ne souffrirait pas d'une crise financière... Pas d'alternatif à Saad Hariri que Saad Hariri (...) 

L'Arabie saoudite est le bouclier des Sunnites et l'épée des Arabes de toutes les confessions. Les souverainistes libanais n'ont pas à agir comme des orphelins et des veuves (...) Aux Chrétiens (libanais) nous disons, les Arabes sont le cèdre, l'Arabie saoudite est la ligne rouge (qui protège ce cèdre), "en temps de paix le royaume construit, et en temps de guerre, le royaume n'est que forces" (allusion à un slogan du parti des Forces libanaises de Samir Geagea, qui constitue avec Saad Hariri, les piliers du mouvement souverainiste du 14-Mars)... Aux Chiites arabes nous disons... c'est le temps de l'indépendance, de la liberté, de la souveraineté nationale et arabe, votre place est préservée et estimée (...)

Il est triste et regrettable que le bloc parlementaire et les ministres du Courant du Futur (parti de Hariri) ne soient pas à la hauteur des positions et du discours de Saad Hariri et de la rue sunnite (...) Ils ont dit que la force des milices signifie la puissance de l'État, alors que la véritable force des milices signifie le déclin de l'État (libanais) et sa chute (...) La décision de faire face au terrorisme iranien est une décision internationale... 

Les Libanais n'ont pas à avoir peur, il n'y aura pas de guerre contre le Liban, mais contre les milices de l'Iran uniquement (...) De la même façon que l'Arabie saoudite s'est tenue aux côtés du Liban contre la tutelle syrienne, elle se tiendra à ses côtés contre la tutelle iranienne. Le sang de Rafic Hariri et des martyrs de la Révolution du Cèdre (dont Samir Kassir, George Haoui, Gebrane Tuéni, Pierre Gemayel, Walid Eido, Mohammad Chatah...) n'a pas été versé inutilement, la punition est proche (...) 

Je conseille aux alliés des milices iraniennes (au Liban) de s'en éloigner afin de ne pas subir le même sort. Qui avait comme slogan "la résistance islamique au Liban"(Hezbollah), au lieu de la résistance libanaise (les milices chrétiennes des "Forces libanaises"), au pays de la modération, n'a rien à voir avec l'islam, le christianisme ou le Liban (...) Les milices qui ont lancé une guerre ouverte contre le royaume doivent s'attendre à une guerre ouverte (...) La région (du Moyen-Orient) est sur le point de prendre des mesures militaires, économiques et politiques contre l'Iran et ses agents. Quiconque n'est pas avec nous est contre nous. »

 10  Jamais un politicien arabe n'a tenu des propos aussi fermes à l'égard du Hezbollah et de l'Iran. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de cet article. Certes, Ahmad Adnan n'est qu'un journaliste en fin de compte. Il n'empêche que son point de vue traduit la ligne officielle de son pays en ce moment. Une chose est donc sûre et certaine: l'Arabie saoudite est déterminée à empêcher que « le croissant chiite ne devienne une pleine lune », comme le craignait le plus jeune fils d'Abdel-Aziz Al-Saoud, le fondateur du royaume, le prince Moukrine, et à combattre l'hégémonie iranienne au Moyen-Orient, dont l'anomalie que constitue la situation du Hezbollah au Liban. Les leaders libanais en général, et le président de la République, Michel Aoun, en particulier, sont prévenus. Si la neutralité est encore permise, continuer à défendre le Hezbollah et l'Iran par les temps qui courent, ou à faire l'autruche, constitue aujourd'hui la plus grave menace pour le Liban et les Libanais.