samedi 18 mars 2017

Pendant que des Occidentaux se battent contre « Trump », le « Muslim Ban » et le « Mexican Wall », l'Arabie saoudite loue le président américain, défend son décret et approuve son mur (Art.422)


Sacrée semaine ! Il était difficile ces derniers temps d'échapper à la polémique autour du « Muslim Ban 1.0 ». Et encore, quiconque avait réussi cet exploit s'est fait rapidement rattraper par le « Muslim Ban 2.0 ». Depuis la fin du mois de janvier, j'ai saisi l'occasion à plusieurs reprises pour dénoncer le contenu de ces décrets pris par Donald Trump mais aussi leur appellation inappropriée. De l'eau a coulé sous les ponts et voilà qu'on apprend au début de la semaine, que le vice-prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane Al Saoud, ministre de la Défense, Président du Conseil des affaires économiques et du développement et fils du roi Salmane, a été reçu en grande pompe par le président américain le mardi 14 mars.

Autorisation spéciale de se balader dans les rues de Washington en thawb-bisht-chechiya-chemagh-agal (le costume traditionnel saoudien), déjeuner royal dans la salle à manger familiale des Trump, visite guidée de la Maison Blanche par le locataire des lieux lui-même, malek el bournouss woul chips, enfin bref, il est clair que les Américains se sont mis en quatre pour laisser une bonne impression à leur hôte saoudien.


A la suite de cette belle journée passée en bonne compagnie, le service com' de Mohammed ben Salmane Al Saoud a adressé à l'agence américain Bloomberg, un communiqué dont la lecture est tout simplement édifiante.

D'emblée nous apprenons que la réunion fut « un énorme succès, marquant un tournant historique dans les relations bilatérales ». Ça alors ! « Tout cela est dû à la grande compréhension du président Trump de l'importance des relations entre les deux pays et à sa vision claire des problèmes dans la région ». Notez bien, hal latché la obama, ce sous-entendu que Barack Obama était à côté de la plaque. Bon, ne fatiguez pas vos zygomatiques tout de suite, garder vos fous rires pour la suite.

Comme moi, vous imaginez naturellement que les deux hommes ont évité les sujets qui fâchent. Par exemple, les décrets américains interdisant à des ressortissants de plusieurs pays musulmans d'entrer aux Etats-Unis. Alors là, vous n'y êtes pas du tout. « L'Arabie saoudite ne croit pas que cette mesure vise les pays musulmans ou la religion islamique ». Moi aussi d'ailleurs, j'en ai parlé dans mon article sur le sujet. Sauf que les choses sont un peu plus compliquées que ne voudrait faire croire l'affirmation simpliste de l'émissaire saoudien du roi Salmane. En théorie, non, mais en pratique, si ! Et pour preuve, Donald citant Trump lors d'un meeting le 7 décembre 2015. « Donald J. Trump appelle à un arrêt total et complet de l'entrée des musulmans aux États-Unis, jusqu'à ce que les représentants de notre pays puissent comprendre que diable se passe-t-il ! Nous n'avons pas le choix. » Mais, il semble que le jeune prince soit complètement déconnecté de la réalité. « Cette mesure est une décision souveraine dont le but est d'empêcher les terroristes d'entrer aux États-Unis d'Amérique ». C'est une plaisanterie ? Il faut dire qu'à l'époque, il venait d'avoir 16 ans. Son précepteur devrait lui expliquer trois choses. Primo, on ne peut pas décréter que tous les ressortissants de tel ou tel pays sont potentiellement terroristes, c'est abjecte, pour ne pas dire raciste et xénophobe. Secundo, si par malheur et par populisme on devait le faire, la logique voudrait que les décrets Trump incluent les ressortissants saoudiens car 15 des 19 terroristes responsables du 11-Septembre étaient Saoudiens. Tertio, et puis quoi encore, c'est comme si les frontières des Etats-Unis étaient grandes ouvertes aux Syriens, Irakiens, Iraniens, Libyens, Somaliens, Soudanais et Yéménites !

Et comme le ridicule ne tue pas, on apprend de Bloomberg que le prince saoudien a fait savoir au président américain que le royaume possède des renseignements sur « l'existence d'un complot contre les États-Unis d'Amérique qui a été planifié dans ces pays en secret ». Mais voyons, comme par hasard ! Voilà pourquoi son Altesse royale a exprimé « sa compréhension et son appui à cette mesure de précaution vitale et urgente visant à protéger les États-Unis d'Amérique des opérations terroristes prévues ». C'est c'là oui ! Il faut quand même bien réaliser dans quelle situation surréaliste on se trouve : ben Salmane nous explique que c'était « vital et urgent » pour Trump d'agir et d'empêcher tous les ressortissants musulmans de sept pays au monde d'aller aux Etats-Unis.

Les deux hommes ont parlé de religion bien entendu. « Le Président Trump a exprimé son profond respect pour la religion musulmane, en la considérant comme l'une des religions divines qui est venue avec de grands principes humains (aujourd'hui) détournés par des groupes radicaux ». Respect, sauf que comme par hasard, Président Trump a fait le black-out sur Twitter entre le 13 et le 15 mars 2017, pas un gazouillis ni sur l'islam ni sur la visite de son Excellence. Il a pris le soin de laisser son hôte s'exprimer à sa place. En tout cas, il y a un an, voici ce que pensait le principal candidat à l'élection présidentielle américaine. « L'islam nous (Américains) déteste... il y a là, une énorme haine. »

Ils ont parlé aussi d'investissements, bien évidemment. « Les deux parties ont exprimé leur accord sur l'importance du grand changement que le président Trump mène aux États-Unis et qui coïncide avec le changement en cours en Arabie saoudite à travers "Vision 2030" (programme de réformes économiques et sociales pour transformer l'économie saoudienne) ». Quelle harmonie, c'est ce qu'on appelle en Orient, we7dat el masar, unis sur le même chemin : Trump a des affaires en cours en Arabie saoudite, d'où l'exclusion des Saoudiens du Muslim Ban, et Ben Salmane prévoit d'investir aux Etats-Unis pour diversifier les ressources financières du royaume.

Il était également question d'un ennemi commun, l'Iran. « Mohammed ben Salmane a souligné combien l'accord nucléaire est très mauvais et très dangereux pour la région (…) Le président et le vice-prince héritier partagent les mêmes vues sur la gravité des mouvements expansionnistes iraniens dans la région ». Wa houna beito el kasid, c'est le principal but de la rencontre du côté saoudien, tout le reste n'est que palabres, we7dat el masir, comme on dit en Orient, unis par le même destin.

Comme c'est souvent le cas, le meilleur est toujours pour la fin. « Les deux parties ont discuté de l'expérience saoudienne réussie dans la construction d'une clôture sur la frontière irako-saoudienne, qui a conduit à empêcher l'entrée illégale des individus, ainsi que la prévention des opérations de contrebande ». En gros, l'Arabie saoudite pourrait profiter de son expérience réussie dans ce domaine pour encourager et conseiller les Etats-Unis dans la construction du mur à la frontière mexico-américaine. Alors là, on tombe des nues. Trump sait maintenant ce qui lui reste à faire : au lieu de se coltiner le groupe franco-suisse Lafarge-Holcim, il n'a qu'à prendre Saudi Binladin Group pour la sale besogne.


Parlons peu, parlons bien.

D'un côté, on a des Saoudiens sunnites qui sont prêts à tout pour contenir le « croissant chiite » (Iran-Irak-Syrie-Liban-Yémen-Bahrein), même si ceci doit les conduire à bénir les pires décisions de la nouvelle administration américaine qui n'a jamais caché son mépris pour l'islam. « Son Excellence, le président Trump, a une intention sérieuse, sans précédent, de travailler avec le monde islamique et de réaliser ses intérêts ». Raisonner en « monde islamique » est déjà sectaire, mais admettons, le reste laisse perplexe. L'Arabie saoudite va aujourd'hui jusqu'à considérer Trump comme « un véritable ami des musulmans, qui servira le monde islamique d'une manière inimaginable », et tenez-vous bien, « contrairement au portrait négatif que certains ont essayé de promouvoir, par la publication de déclarations injustes sorties de leurs contextes et d'analyses irréalistes ». Mais voyons, les médias, moi compris, nous avons tenté de ternir l'image de Trump avec des propos injustes et des analyses biaisées ! Allez, finissez votre lecture rapidement, car cet énième article critique de Donald Trump s'autodétruira dans 5 minutes. Mais sachez avant que le 9 mars 2016, un journaliste américaine demanda à Trump : « Ya-t-il une guerre entre l'Occident et l'islamisme ou entre l'Occident et la religion musulmane ? » Voici la réponse exacte du « véritable ami des musulmans » : « C'est (contre) l'islam radical. Mais c'est très difficile à définir. Il est très difficile de les séparer parce que vous ne savez pas qui est qui ».

De l'autre côté, on a des Américains qui sont eux aussi prêts à tout pour briser « l'isolationnisme » dans lequel leur président enferme les Etats-Unis, même si ceci doit les conduire à dérouler le tapis rouge à l'héritier d'un royaume à l'islam rigoureux, qui ne laisse toujours pas ses sujettes conduire une voiture et qui a fournit la majorité des terroristes qui ont commis la pire attaque meurtrière de l'histoire américaine. Au moment où Donald Trump a beaucoup de mal à imposer le bannissement de ressortissants musulmans, à cause d'une forte opposition américaine interne, il avait impérativement besoin de recevoir la bénédiction « du pays leader du monde islamique, le siège de la Révélation, la terre des deux Saintes Mosquées et de la Qibla (direction de la Kaaba à La Mecque) », le pays qui a « une légitimité (islamique) sans égale », l'Arabie saoudite. Il l'a eu ! Et ce n'est certainement pas par hasard que Mohammed ben Salmane Al Saoud, a tenu à faire figurer tous ces termes, dans l'évaluation de sa rencontre avec le président américain. D'ailleurs, ce n'est certainement pas par hasard non plus que le vice-prince héritier saoudien a rendu publique ce que les deux hommes se sont dits en privé. C'est une bénédiction urbi et orbi et non en catimini, afin que Trump puisse l'exploiter.  !

De part et d'autre, Saoudiens et Américains ont voulu montrer que l'ère Obama est révolue et sans regret. Soit, mais encore. Les deux parties n'ont pas vraiment les mêmes desseins pour la Syrie. Il ne fait pas de doute que Trump, encore plus qu'Obama, ne rentrera pas en conflit ouvert avec Poutine afin de déloger par la force le dernier tyran des Assad, l'obsession des Saoud depuis six ans. Toutefois, les deux hommes se retrouvent sur un point essentiel, rejoint par Israël d'ailleurs, diminuer l'influence de la République islamique d'Iran dans la région. Mais de là à imaginer que le nouveau président américain ait l'intention et la possibilité, notez bien la nuance, de révoquer l'accord international signé avec l'Iran, il n'y a qu'un pas qu'il serait très hasardeux de franchir. Il n'y a qu'au Yémen où le royaume peut espérer du concret, des renseignements, mais aussi des armes et des frappes américaines.

Inutile de spéculer davantage, nous verrons bien si Trump laissera le Moyen-Orient dans un meilleur état qu'il ne l'était à son arrivée. J'en doute pour les raisons évoquées précédemment. Mes doutes se sont même renforcés en apprenant qui était le binôme chargé de rendre le séjour du prince saoudien en Amérique si agréable. Eh bien figurez-vous ce sont Stephen Bannon, chef de la stratégie à la Maison Blanche, un proche des milieux d'extrême droite considéré par Bloomberg comme « l'homme le plus dangereux de la vie politique aux Etats-Unis », et Jared Kushner, haut conseiller du président et mari d'Ivanka, un homme décrit comme un juif orthodoxe, soutien indéfectible d'Israël et chargé par le beau-père de définir la politique moyen-orientale américaine.

En quittant les Etats-Unis hier, Mohammed ben Salmane Al Saoud a adressé un câble à son hôte pour « exprimer sa profonde gratitude pour l'accueil chaleureux et l'hospitalité généreuse » qu'il a reçu et qu'il a rencontré. On apprend aussi qu'il n'avait qu'à « se louer des relations historiques et stratégiques » entre l'Arabie saoudite et les Etats-Unis et qu'il a souhaité « au peuple américain ami, une bonne continuation sur le chemin du progrès et de la prospérité ». Allez, l'avenir nous en dira plus. En attendant, disons que le jeune homme n'a sans doute pas été suffisamment initié par son précepteur aux coulisses des soudaines attentions et de tant de salamalecs. Il est clair, au moins pour l'instant, que c'est plutôt Trump qui peut mettre à profit cette rencontre, pas Ben Salmane !

*

L'ironie de l'histoire est donc dans ce constat surréaliste. Pendant que des Occidentaux se battent contre « Trump », le « Muslim Ban » et le « Mexican Wall », l'Arabie saoudite loue le président américain, défend son décret et approuve son mur. C'est à vous dégouter de faire de la politique. Mais heureusement qu'il y a tous les jours au moins une nouvelle pour vous en dissuader. Vendredi, 72 heures après la mascarade du vice-prince héritier saoudien à la Maison-Blanche, c'était au tour de la chancelière allemande, Angela Merkel de rencontrer Donald Trump. Même décor, mais changement d'ambiance. A l'arrivée, le protocole habituel. On se serre la main, on sourit et on blague de bon coeur. Au départ, un protocole inhabituel. Trait d'humour forcé, aucun regard complice et pas de poignée de mains, malgré l'insistance des journalistes. Par charité chrétienne, il ne faut pas oublier qu'Angela est la fille d'un pasteur, la chancelière allemande dédaigne proposer au président américain de répondre favorablement à l'insistance des journalistes, « Handshake, handshake, handeshake ». Trump boudant dans son coin, a préféré faire semblant de ne pas avoir entendu. Niet. Seul le bruit des obturateurs réchauffait l'ambiance glaciale qui régnait hier dans le Bureau ovale. Idem à la conférence de presse commune. Il faut dire que ces deux personnalités n'ont rien, absolument rien, en commun. Sur l'Union européenne comme sur l'OTAN, sur l'environnement comme sur les échanges internationaux, sur les réfugiés comme sur les migrants, tous les sujets les séparent. Eh oui, Son Altesse Royale, Mohammed ben Salmane Al Saoud, potentiel futur roi d'Arabie saoudite, pourrait conclure qu'il y a encore des leaders de principes dans ce monde pour qui la fin ne justifie pas les moyens


Comédie en quatre actes, lecture de gauche à droite, de haut en bas.
Captures d'écran, source CNN
1. Merkel demande à Trump, qui regarde de l'autre côté de la pièce,
s'il souhaite avoir une poignée de main.
2. Elle l'observe pendant trois éternelles secondes. Il a bien entendu,
il ne se retourne pas, il regarde droit devant lui. Manifestement, il est hagard.
3. La chancelière allemande est dubitative.
Elle est maintenant certaine que le président américain boude.
Il n'a pas dû apprécier ce qu'elle lui a dit en privé.
4. Angela Merkel semble amusée par le comportement puéril de son hôte,
qui lui, attend impatiemment que ce long supplice photographique prenne fin.